Lambrini Girls

Concevoir une pochette est un art noble mais difficile, une réflexion profonde entre le besoin de refléter la personnalité d'un album et l'envie de créer une image à l'identité forte, reconnaissable au premier coup d'œil, tendant parfois vers une certaine forme de beauté. Enfin, il y a la théorie, et il y a les Lambrini Girls. Hé oui, passer de la pochette du Rage Against The Machine premier du nom, immolation d'un moine bouddhiste protestant contre l'oppression de sa religion au Vietnam, symbole de lutte à la fois pacifiste et violente, ouvrant dans le même temps vers une forme de sagesse bouddhique et de possible élévation vers le Nirvana (autre pochette mythique, vous l'avez ?), à la pochette du premier EP des Lambrini Girls, un étron dans des flammes au dessin digne d'un bas de caisse de Fiat Punto tunée, est plutôt rude. Le design est d'un mauvais goût crasse, le rendu global digne d'un projet WordArt de 3ème B au collège Saint-Exupéry, on s'attend presque à voir des yeux apparaître sur la crotte enflammée et qu'elle commence à nous parler comme dans un épisode de South Park... Oui, un épisode de South Park !

Oui, la pochette de ce premier EP des Lambrini Girls n'est pas à regarder sous le prisme de 2023 et d'un bon goût quinoa pamplemousse BCBG, mais bien comme un épisode de South Park, comme un grossissement outrancier n'ayant pour volonté que de choquer, et par le choc d'interroger profondément sur la raison pour laquelle quelqu'un a trouvé que c'était une bonne idée de mettre le feu à une bouse de vache. Le sens de la vie, en somme, profondément enfoui dans la merde, la cerise sur le gâteau, ou comme on dit aux US, le chérie on the caca. Et là vous vous dites que j'ai déjà fait pire en matière de digression, mais qu'il serait quand même temps de parler de musique dans cet article censé parler de musique. Eh bien, figurez-vous que c'est déjà fait, car la pochette de l'EP You're Welcome ne cherche à aucun moment à inspirer du bon goût, de la beauté, ou même une quelconque virtuosité artistique, et n'est là que pour passer un message, et décrire le plus simplement du monde ce que sont les Lambrini Girls : un groupe de riot grrrl punk repartant de la base américaine nineties du mouvement pour hurler des problèmes toujours plus actuels et mettre le feu au caca qu'est le patriarcat et la société masculiniste.

Ainsi, la musique et la lutte féministe LGBTQ+ des filles du Lambrini sont indissociables, pour un résultat que l'on pourra résumer de manière assez rapide : une production très 90, minimaliste, do it yourself, basée sur la compression maximale du son et une absence totale de temps morts. La moto cloutée rase le bitume, enflamme chaussée et maréchaussée dans un même hurlement aux relents de gasoil vomi dans une torche microtée, ça crie au début, au milieu, à la fin, et ça crie encore un peu dans les oreilles une fois le déluge industriel écroulé dans nos tympans. Deuxième écoute, et comme on a hurlé toute la première, on peut maintenant écouter les paroles. Boys In The Band rappelle que le monde de la musique est majoritairement masculin, et d'autant plus chez les groupes qui marchent et qui font de l'argent, sur une formule de montées éclatant en bordel proche d'une chanson d'IDLES. Terf Wars dézingue les terfs de tous horizons, comprenez Trans-Eclusionary Radical Feminist, autrement dit les Caroles et Karen féministes excluant les femmes transgenres, voire les femmes racisées et/ou non-hétéros, de la lutte féministe, réservant le féminisme aux femmes blanches un peu bourgeoises et oubliant les difficultés des autres.

Mr Lovebomb insulte copieusement les hommes achetant les femmes à base de roses, de bagues, et de poneys, alors que Lads Lads Lads en remet une couche sur les... hommes. Oui c'est dans le titre, et Help Me I'm Gay s'époumonne envers des parents incompréhensifs et une société qui ne l'est pas vraiment plus. L'EP se conclut sur White Van, la voix est de plus en plus lointaine, écrasée, les propos de plus en plus brouillés, mais ce n'est pas parce qu'on ne nous entend pas qu'il faut arrêter de hurler, alors attendez-vous à toujours plus de violence contre ces mecs avec des camionnettes blanches, symboles de harcèlement sexuel et du bien pire qui arrive bien trop souvent, et ce pour toutes les femmes, peu importe les fringues, l'orientation sexuelle, ou l'heure de la journée. Les collages sur les murs, les slogans en manif', les affiches « seule la musique peut me toucher », tout est là pour hurler une réalité sociale trop marginalisée, et les Lambrini Girls aussi.

En fin de compte, ces Lambrini Girls ne sont pas là depuis bien longtemps, mais au volant d'un premier EP fait de bruit et de fureur, c'est un premier coup de Doc Martens qui vient de s'abattre sur la porte menant à la première division du punk anglais, et on ne parle ici pas de championnat réservé aux femmes. Aux côtés des Dream Nails, M(h)aol, et autres groupes queer punk toujours plus talentueux et revendicateurs, les Lambrini Girls font déjà office de tête de pont, et laissez-moi vous dire que les concerts s'annoncent bestiaux, en espérant que leurs affiches soient un tantinet moins moches que leurs pochettes façon Thrasher !