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SLUG

Ripe

SLUG - Ripe
Chronique Album
Date de sortie : 13.04.2015
Label : Memphis Industries
0.5
Rédigé par Hugues Saby, le 13 avril 2015
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Je n'aime pas les disques qui sont présentés comme « inventifs ». Ça sonne prétentieux, et quand bien même ça le serait effectivement – inventif, pas prétentieux – c'est à l'auditeur d'en juger, pas à l'artiste ou à son label. Dans l'histoire de la musique, les groupes et les musiciens proclamés voire autoproclamés inventifs (ou tout autre adjectif comme visionnaires, créatifs, innovants) se sont souvent révélés être de gros prétentieux. Ce qui n'enlève –parfois- rien à leur génie, soit, mais peut avoir un effet dévastateur sur leur œuvre. Comprenez-moi bien : je ne milite en aucun cas pour une musique formatée, aseptisée, ni pour un monde sans artistes de pointe qui font avancer le schmilblick. Chaque génération en compte, et heureusement. Mais les groupes qui font progresser la musique et la pop culture en général sont rarement ceux qui estiment le faire. Loin s'en faut.

Quand on est musicien, on joue de la musique avant tout. Selon son inspiration, son éducation, ses préjugés, sa vision du monde, ses démons intérieurs, son background culturel. Mais on joue de la musique. Si avant d'émettre la moindre note, on proclame vouloir changer le monde, c'est qu'on est, oui, un gros prétentieux. Quand il a pris sa guitare, Kurt Cobain n'a jamais eu l'ambition de devenir un porte-voix pour les adolescents du monde entier. Il exprimait quelque chose de vital pour lui, quoi que ce quelque chose fût. Les Beatles n'avaient –au départ du moins- d'autre ambition que de se défoncer au speed et de tomber les filles en reprenant les Byrds à 200 à l'heure à la Cavern de Liverpool. Voilà pourquoi ce qui nous intéresse ici n'est pas le talent, puisque dans ces deux exemples, les artistes en question en étaient pétris, chacun à leur manière. Ce dont on parle ici, c'est d'intention. Nirvana, les Fab Four et tant d'autres qui ont façonné le monde avec leur guitare n'avaient qu'une seule chose en tête : jouer de la musique. Tout simplement parce que c'était leur raison de vivre, qu'ils ne savaient rien faire d'autre ou que c'était leur moyen d'expression par essence. Ce qui ne les a pourtant jamais empêchés de changer notre culture à tout jamais. Ceux qui en revanche ont eu ce dessein là avant même d'enregistrer un album sont, eh oui, de gros prétentieux. Parfois très doués, mais peu importe. Radiohead est une bonne illustration de cela : tant qu'ils sont restés penchés sur leurs instruments, ils ont été de grands artistes, qui ont largement contribué par leur talent à changer la musique moderne, fût-ce en se changeant eux-mêmes parce qu'ils ne supportaient plus ce qu'ils étaient devenus. Mais à partir du moment où ils ont commencé à vouloir inventer quelque chose de neuf à tout prix, à vouloir redéfinir le streaming, le disque où les règles du marché phonographique, ils sont devenus l'ombre d'eux-mêmes et, oui, vous l'avez deviné, de gros prétentieux. Vous voyez où je veux en venir ? Merci, c'est important.

Parce que chez SLUG, tout suinte la prétention. Ça sent l'autosatisfaction à plein nez, à tel point que c'en est insupportable. Absolument tout transpire la très haute idée de soi que semble avoir Ian Black, l'homme derrière ce projet. De la pochette du disque, sorte de patchwork laid et incohérent (en politiquement correct, on dit arty ou conceptuel) mêlant cosmonautes, paysages de montagne et partitions musicales, à la photo de presse fournie par le label, où M. Black, en toute simplicité, pose en smoking pieds nus sur une plage, un petit sourire en coin, en passant par des titres pompeux et alambiqués (Cockeyed Rabbit Wrapped In Plastic), c'est la panoplie complète de l'artiste tourmenté et capricieux qui nous est proposée. Mais ça encore, ce n'est rien. Car il va bien falloir qu'on parle de la musique.
Et là, tout ce dont on vient de parler prend corps. Tous ces indices qui nous laissaient à penser que SLUG ne se prend pas pour n'importe qui deviennent des preuves accablantes de la suffisance du projet. Les onze morceaux de l'album sont autant de bidouillages décousus d'un artiste touche-à-tout. Ne vous méprenez pas : lui pense toucher à tous les instruments, expérimentant au gré de ses caprices des sonorités éclectiques et originales. Moi ce que j'y entends, c'est un enfant gâté qui tripatouille tous les boutons du synthétiseur qu'on lui a offert à Noël en récompense de sa première année de piano. Au fil de l'écoute, le seul sentiment qui se dégage est celui, déplaisant, que Ian Black a testé tous les effets sonores disponibles sur la machine, en pensant que ça intéresserait quelqu'un d'autre que son ego. Sans surprise, le résultat est inepte, sans but ni fin, et surtout très pénible à entendre.
La surabondance d'effets, de sons, d'échos, de traficotages en tout genre ne fait que masquer une absence béante de fond, d'émotion, de discours. Ce disque de SLUG n'a rien à dire, alors il en met partout en espérant que certains crient au génie. Et ça marchera, sans nul doute. Le pire dans tout ça, c'est que malgré cette volonté affichée de surprendre, ce disque ne fait en réalité que piocher dans des influences bien rodées : Eels période Electroshock Blues ou Radiohead période Amnesiac (Sha La La, Cockeyed Rabbit Wrapped In Plastic). Mais l'influence la plus flagrante c'est celle de –oh, surprise- Field Music, dont Ian Black est le « tour bassiste » (le communiqué de presse dit d'ailleurs « bassiste historique », ce qui en dit long sur l'ampleur de storytelling de l'affaire), et qui partage le même label que SLUG. Et en l'occurrence, ce n'est plus de l'influence, c'est du plagiat. Ripe est ainsi une pâle copie du dernier disque de School Of Language, autre side-project d'un membre (un vrai, cette fois) de Field music. Mais là où David Brewis nous emmenait dans un labyrinthe onirique et sensible tout en délicatesse, Ian Black ne fait que piocher de manière aléatoire dans une banque d'effets sans queue ni tête pour remplir de la bande. Et sur certains morceaux comme Greasy Mind ou Kill Your Darlings, c'est carrément du copier/coller. Le coup de grâce est donné sur Weight Of Violence, où Black est tombé sur la position steeldrum de son synthétiseur. S'ensuivent deux minutes et vingt-neuf secondes d'agacement pur et de prodigieux ennui. Du vent. Écoutez donc ce morceau, il vous épargnera le reste, étant lui-même un parfait résumé de Ripe : inutile, creux et... bien sûr, infiniment prétentieux.

Comme un très mauvais élève au baccalauréat, ce disque ne mérite même pas 0 car il faudrait justifier la note et, franchement, j'ai autre chose à faire.
tracklisting
    01. Grimacing Mask
  • 02. Cockeyed Rabbit Wrapped In Plastic
  • 03. Sha La La
  • 04. Eggs And Eyes
  • 05. Greasy Mind
  • 06. Shake Your Loose Teeth
  • 07. Weight Of Violence
  • 08. Running To Get Past Your Heart
  • 09. Peng Peng
  • 10. Kill Your Darlings
  • 11. At Least Show That You Care
titres conseillés
    Cockeyed Rabbit Wrapped In Plastic - Greasy Mind - Weight Of Violence
notes des lecteurs