Chronique Album
Date de sortie : 25.06.2021
Label : Soft Boy Records/Different Recordings
Rédigé par
Franck Narquin, le 23 juin 2021
Dublin, la belle endormie, a été remise à l'épicentre de la scène musicale ces dernières années grâce notamment à Fontaines D.C. et The Murder Capital, les deux plus beaux joyaux post-punk du royaume britannique. Après avoir ravi le trône de fer du rock à Londres et Manchester, les Irlandais seraient-ils prêts à s'engager dans la bataille hip-hop et à affronter la bouillonnante armada anglaise presque aussi armée que l'attaque de son équipe nationale de football ? C'est le message que semble envoyer Kevin Smith aka Kojaque, homonyme à la ville du génial réalisateur de Clerks. Quoi, tu n'as pas vu Clerks ? Va vite sur ta plateforme préférée et reviens ici dans 1h32, je t'attends.
Artiste complet, à la fois plasticien, réalisateur et rappeur, Kojaque, qui présente ici son véritable premier LP, n'en est pourtant pas à son premier essai. Remarqué avec son projet de 2018 Deli Daydreams, concept album narrant le quotidien d'un travailleur dublinois, et fondateur du label Soft Boy Records, collectif hip-hop jazz salué par une série de Boiler Room qu'on vous recommande chaudement, Kojaque n'a pas chômé pendant le confinement et propose aujourd'hui un univers artistique ultra-maitrisé, dans lequel chaque détail a été travaillé, jusqu'à son iconique coupe de cheveu bicolore, pour imposer un style personnel affirmé. Cette démarche n'est pas sans rappeler celle de Tyler The Creator avec Odd Future, à tel point que Town's Dead pourrait être un petit cousin celte de Flower Boy, le chef d'œuvre de l'américain, avec ses seize morceaux suivant l'itinéraire d'un triangle amoureux un soir de jour de l'an à Dublin, alternant hip-hop frontal, parfois brutal, et mélodies jazzy downtempo.
Le premier single éponyme, Town's Dead, et son sample de Going Norway de Girl Band, figure majeure du rock dublinois, saura séduire les lecteurs de Sound Of Violence plus portés sur les guitares agressives et les pogos endiablés que sur les boucles de jazz, et leur offrira une porte d'entrée idéale pour se plonger dans ce dense concept album, aussi agréable à écouter d'une traite qu'à picorer de ci-de là en fonction de son humeur et du moment de la journée. D'un réveil en douceur avec Jinty Boy Blues et sa petite ritournelle à la guitare jusqu'à une nuit torride sur Sex N'Drugs, en passant par une balade paresseuse sous le soleil de midi bercée par la langueur de Wicked Tongues ou une soirée agitée dans un pub bondé rythmée par les beats rageurs de Part II, à toute heure, l'auditeur y trouvera son bonheur.
Si on faisait la fine bouche ou les pisse-froid, on pourrait regretter quelques morceaux un peu trop auto-tunés comme Coming Up, qui semblent là surtout pour augmenter le nombre d'écoutes Spotify et font un peu tâche au milieu des autres titres de haute-volée. Mais que celui qui n'a jamais eu à subir une ou deux mauvaises chansons au cours d'une soirée du jour de l'an lui jette la première pierre.
Grace à Kojaque, l'office de tourisme de Dublin vient de rajouter une ligne à sa présentation. Les prairies y sont vertes, les filles sont rousses et les bières brunes, le rock y est décoiffant et désormais le hip-hop y brûle de mille feux. Qu'on se le dise, Dublin est morte, vive Dublin !