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Kojaque

PHANTOM OF THE AFTERS

Kojaque - PHANTOM OF THE AFTERS
Chronique Album
Date de sortie : 27.10.2023
Label : Soft Boy Records
45
Rédigé par Franck Narquin, le 25 octobre 2023
Deux ans après l’excellent Town’s Dead qui avait enfin placé l’Irlande sur la carte mondiale du hip-hop, Kojaque est de retour avec son deuxième essai, PHANTOM OF THE AFTERS, toujours via son propre label, Softboy Records. Après quelques premiers sympathiques EPs de rap jazzy, Kojaque était monté d’un cran sur son premier album qui alternait bangers rentre-dedans nourris au punk-rock local et morceaux downtempo. On avait hâte d’écouter son deuxième LP sans s’imaginer que le gaillard était capable d’une telle progression car Kojaque a tout simplement pris l’ascenseur créatif pour monter de dix étages, sauter dans un avion pour New-York et nous offrir une pinte de Guinness dans un bar de Brooklyn. A la première écoute, on jurerait que PHANTOM OF THE AFTERS est le fruit d’un groupe de la ville de Spike Lee, pourtant son identité irlandaise ne cesse de se rappeler à nous. Avec ce disque 100% américain, 100% irlandais, 100% hip-hop, 100% réussi, Kojaque, éternel sale gosse, vient de rentrer dans la cour des grands.

Kevin Smith (le nom de Kojaque à la ville) ne cache pas ses influences et son nouveau style doit autant aux productions rêches et urbaines des rappeurs indépendants de Brooklyn tels que MIKE et Wiki qu’aux brillants laborantins californiens du crew Odd Future, Earl Sweatshirt et Tyler, The Creator en tête. C’est en s’inspirant des autres, voire même en leur piquant quelques idées, que Kojaque a enfin trouvé son style personnel et arrive maintenant à mêler dans un même titre son goût pour un rap direct et authentique et ses racines jazzy et soul. On se réjouit également des featurings, trop souvent guidés par un pur opportunisme, qui ici font sens et où chacun vient apporter sa touche personnelle et contribuer à la réussite globale du projet. Ses compatriotes Biig Piig et Gotts Street Park, la divine diva brésilo-norvégienne Charlotte Dos Santos et la légende du rap underground new-yorkais, Wiki, offrent respectivement d’enthousiasmantes touches de pop acidulée, de jazz chaloupé, de soul sensuelle et de hip-hop nonchalant.

L’album s’ouvre avec GOODBYE, JACKIE DANDELION, courte introduction présentant Jackie Dandelion, alter ego de Kojaque, prenant la forme d’un inquiétant business man de cinquante ans au visage grimé et outrancier qu’on croirait sorti d’un film des frères Safdie. Le premier réel morceau est LARRY BIRD qui annonce d’emblée la tonalité et le niveau d’un disque appelé à faire date dans l’histoire du rap irlandais. Ce morceau de hip-hop new-yorkais pur jus avec sa boucle entêtante, son flow nasillard et son hommage au Shimmy Shimmy Ya du regretté Ol’ Dirty Bastard est un véritable enchantement qui ravira les puristes du genre, de sept à soixante-dix-sept ans. CABRA DRIVE et BAMBI confirment ensuite l’orientation américaine et l’excellent état de forme actuelle de Kojaque avant que la voix mutine de Biig Pigg ne vienne apporter un vent de fraîcheur et une tonalité pop à un WOOF suave au rythme chaloupé laissant entrevoir ce que peut être la dolce vita à l’irlandaise.

Puis vient le tour de Wiki, rappeur new-yorkais mythique issu du collectif Ratking se réclamant autant de Suicide que du Wu Tang Clan (ndlr : c’est pas la capitale, c’est New-York bébé !), qui n’hésite pas à monter au filet pour enflammer ce JOHNNY MCENROE à coup de punchlines aussi cinglantes qu’un passing-shot ou aussi absurdes et poétiques qu’un service à la cuillère de Michel Chang (« Johnny McEnroe, I’m servin’ like it’s thirty love »). A n’en pas douter, Jean-Paul Loth aurait qualifié ce duo digne des plus beaux duels Nadal-Federer de classique instantané ! Les beaux points se succèdent et ce n’est pas YOKO OH NO! qui viendra semer la discorde entre l’irlandais et ses auditeurs, car malgré ce jeu de mot digne d’une enseigne de salon de coiffure de province on ne peut que rester bouche bée devant ce refrain tout en soul vibrante digne de Handsome Boy Modeling School, le supergroupe composé de Dan The Automator et Prince Paul, deux des producteurs les plus influents de l’histoire du hip-hop.

Arrivant à mi-album, il est temps de faire une pause jazz avec les impeccables FAT RONALDO / COVENT GARDENS et WAGYU. Kojaque prend le temps de soigner ses références, car quitte à aduler un Ronaldo, autant que soit le vrai, et quitte à tuer un animal dans l’unique but de se sustenter, autant se régaler avec du bœuf japonais (même si comme me le rappelle à chaque barbecue Laetitia Mavrel, qu’elle vienne de chez Hugo Desnoyer ou qu’elle soit cuisinée par Bertrand Grébaut, Meat is Murder !). RAINY DAYS continue d’assurer une météo musicale au beau fixe et les seules traces d’humidité constatées seront les larmes que ne manqueront pas de provoquer la douce mélancolie de la sublime voix de Charlotte Dos Santos à l’écoute de WHAT IF?.

Comme certains chroniqueurs de Sound Of Violence, Kojaque ne peut s’empêcher de parler de cinéma et Citizen Kane vient nous rappeler que son « « rosebud » (pour les moins cinéphiles d’entre vous, on ne parle ici nullement d’un jouet sexuel ayant vocation à égayer vos samedi soirs ou à découvrir l’orgasme prostatique) doit probablement prendre la forme d’un CD de Paul’s Boutique des Beastie Boys. Après ces douze titres savoureux, il eut été décevant de bâcler la fin de l’album mais ce bon Kevin continue de mettre des paillettes dans notre vie avec le flamboyant PEEKABOO, nappé de chœurs soul et porté par un flow aussi coulant que tranchant et le délicat PHANTOM OF THE AFTERS, faisant rimer décontraction et précision. A l’image de nos premières boums, où l’on découvrait conjointement la pop anglaise et l’échec sentimental, PHANTOM OF THE AFTERS se clôt par un quart d’heure américain avec HEAVEN SHOULDN'T HAVE YOU, émouvante ballade qui rappellera également à certains cette douce sensation quand après une nuit passée à danser, vient le moment, où tels des fantômes sortants d’after, on se pose enfin pour contempler le soleil se lever.

Qui aurait pu prévoir qu’en 2023, l’Irlande brillerait plus en hip-hop qu’en rugby ? Si l’hémisphère sud a atomisé les pays européens lors de la Coupe du Monde, c’est un peu car les mecs ne s’injectent pas tout à fait les mêmes produits. On loue souvent les valeurs de l’ovalie, et d’ailleurs ça marche bien si on n’est pas trop regardant niveau dopage, racisme ou agression sexuelle. Heureusement, dans le monde du rap, de Brooklyn à Dublin, tous les lascars tirent sur les mêmes joints, à l’image de ce disque qui nous donne la joyeuse impression que la côte est des Etats-Unis n’est qu’à quelques brasses des plages irlandaises. Le premier album de Kojaque avait confirmé nos attentes, son deuxième vient tout simplement nous mettre un gros tampon en plein face, aussi intense que celui d’un avant sud-africain non sanctionné par l’arbitrage vidéo (ce serait donc ça le fameux « seum » ?). Mais tournons la page de la déception sportive pour ouvrir celle de la satisfaction auditive, car si la musique adoucit les mœurs, elle le fait rarement aussi bien qu’avec ce renversant PHANTOM OF THE AFTERS.
tracklisting
    01. GOODBYE, JACKIE DANDELION
  • 02. LARRY BIRD
  • 03. CABRA DRIVE
  • 04. BAMBI (feat. Gotts Street Park)
  • 05. WOOF (feat. Biig Piig)
  • 06. JOHNNY MCENROE (feat. Wiki)
  • 07. YOKO OH NO!
  • 08. FAT RONALDO / COVENT GARDENS
  • 09. WAGYU
  • 10. RAINY DAYS
  • 11. WHAT IF? (feat. Charlotte Dos Santos)
  • 12. CITIZEN KANE
  • 13. PEEKABOO
  • 14. PHANTOM OF THE AFTERS
  • 15. HEAVEN SHOULDN'T HAVE YOU
titres conseillés
    LARRY BIRD - JOHNNY MCENROE - PEEKABOO
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