Chronique Album
Date de sortie : 08.04.2022
Label : American Recordings
Rédigé par
Franck Narquin, le 6 avril 2022
Poétique ou politique, dramaturge ou rappeur.se, on ne saurait coller d’étiquette sur l’art de Kae Tempest, si ce n’est celle de l’exigence et de l’excellence. Après deux premiers albums nerveux et rentre-dedans puis un troisième minimaliste et introspectif, ce quatrième opus propose une synthèse des différentes facettes de l’anglais.e sans jamais tomber dans la redite et s’avère même plus ample et moins monobloc que ses prédécesseurs. The Line Is A Curve, sorti sur le mythique label American Recordings et produit par Dan Carey, gourou derrière Squid, black midi ou Fontaines D.C., et Rick Rubin, légende vivante et première personne sur terre à avoir compris que guitares saturées et flow saccadées étaient faits pour s’accoupler, laissant aux béni-oui-oui les genres bien définis, s’impose comme l’œuvre la plus aboutie de Kae Tempest.
L’album démarre pied au plancher avec Priority Boredom, morceau tendu à souhait avec sa production synthétique et sombre sur laquelle le flow de Kae monte lentement mais surement en pression. Alors qu’iel n’avait jamais invité.e personne à partager le micro, Kae s’offre ici cinq featurings et pas des moindres. Grian Chatten, chanteur au sein d’un petit combo de Dublin, vient poser quelques spoken words sur I Saw Light, à l’instrumentation minimaliste, sans aucun beat, simplement composée d’une boucle de synthétiseur hypnotisante. Nothing To Prove ne relâche pas la pression avec son intro qu’on dirait issue d’une B.O de John Carpenter, lente, lourde et inquiétante.
Habile, l’anglais.e offre à l’auditeur, de petites bulles de respiration avec le suave No Prizes sur lequel Lianne la Havas offre sa voix soul toute en douceur, Don't You Ever et son sample sixties entêtant ou encore Water In The Rain tout en mélopées envoûtantes et cœurs sensuels. Jamais avare d’expérimentations, Kae Tempest vient flirter avec brio avec le post-jazz à la black midi sur These Are The Days et offre un sublime morceau coupé en deux avec Smoking où, dans une première partie, Kae semble laisser un message téléphonique, laconique et répétitif dans un café bruyant avant que Confucius MC ne vienne poser son flow tranchant, répétant comme un mantra les mêmes paroles, « When I smoke I remember my mother smoking ». Arty et efficace. Move ose même un pas vers la techno dure et robotique, qu’on croirait sorti d’un set de DJ Marcelle à 5 heures du matin au Rex avant que le bien nommé More Pressure n’invite le rappeur Texan Kevin Abstract de Brockhampton à venir sublimer un des titre phare et emblématique de l’album puis que l’aussi bien nommé Grace ne vienne clôturer tout en douceur The Line Is A Curve avec ses arpèges de guitare et ses paroles tendres.
Voyage passionnant et impressionnant de modernité, The Line Is A Curve embrasse une variété de styles ébouriffante tout en conservant à tout moment une identité de style et une véritable cohérence. En ces temps d’obscurantisme politique, religieux ou soviétique, Kae Tempest s’impose en digne héritier.e du siècle des lumières, artiste complet.e, cérébrale et hédoniste, pépite salvatrice dans la boue des temps modernes.