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Kae Tempest

Paris, Maroquinerie - 6 avril 2015

Live-report par Olivier Kalousdian

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Certains couples n'arrivent plus à communiquer ; d'autres ont depuis longtemps dépassé ce stade en s'invectivant avec drôlerie sur scène et en échangeant, coup pour coup via des riffs ardents, l'amour ou les reproches qu'ils se portent dans le groupe qu'ils ont formé. Le rock, l'avenir du couple ? Sûrement pas si on en croit par les tristes fins que connaissent tous les artistes ou people de la planète ayant tenté l'aventure.

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Si Thurston Moore et Kim Gordon ont tenu presque vingt ans en couple et en groupe – un record comparé à Meg et Jack White, mariés pendant quatre années – Aris Bassetti (guitare, voix) et Barbara Lehnhoff (guitare-basse, voix) eux, affichent presque dix ans de vie à deux et autant de vie de scène. Et ce qu'ils donnent à voir ce soir à la Maroquinerie avec leur trio, Peter Kernel, est le meilleur de ce qu'un couple peut produire sur une scène. Une complicité sans ambages (les blagues avec le public et en Français vont se succéder), accompagnés de leur ami et batteur, Ema Matis, et un rock arty punk qui semble rendre hommage aux couples séparés et splittés, cités plus haut. « On n'a pas le temps d'avoir des enfants avec tous nos projets, alors Peter Kernel c'est notre fils et Camilla Sparksss (ndlr : leur side-project) est notre fille ». Voilà, en substance, aussi visqueuse qu'une peau de Klingon grippé comment Barbara et Aris conjuguent le projet Peter Kernel. Canadienne pour l'une et Suisse pour l'autre (autre fait remarquable) le duo amoureux ne place aucun espoir dans la technique et la maîtrise des instruments ; ils préfèrent taper dessus et les tordre pour en faire sortir la substantifique moelle, raclée sur un bitume maculé de sang après un accident de deux roues dans un déluge noisy qui se paie le luxe de rester mélodieux ! Un We Have Band version punkisant, à découvrir d'urgence.

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Choisir finement ses premières parties revient, parfois, à scier la branche sur laquelle repose son set. Quand Kate Tempest pénètre sur la scène de la Maroquinerie, le public est déjà chaud et cette chaleur ne va faire que croître au gré des beats et du flow sauvage distillés par celle qui est largement reconnue et récompensée pour la qualité de sa poésie et qui n'hésite pas à s'engager pour des causes politiques (contre la guerre en Irak, par exemple). Changement total de style, de tempos et de sonorités, donc. Kate Tempest, accompagnée d'une choriste (backeuse), d'un claviériste et de deux percussionnistes est une « MC » qui maîtrise grandement son sujet, du haut de ses vingt-neuf ans (elle fait beaucoup moins). Pas de DJ ou de boucles, mais un vrai groupe de musique qui s'adapte à son flow avec beaucoup de dextérité.
Kate Tempest revendique les influences conjuguées de Virginia Woolf, Samuel Beckett ou encore du Wu-Tang Clan pour asséner un hip-hop sans concession au travers de titres sombres comme Chicken qui n'est pas sans ramener aux meilleures compositions de The Streets ou Circles, un titre qui utilise les rythmiques down-up de la techno. Avec le très downtempo Marshall Law, la politisée Kate Tempest s'en prend, cette fois, à l'industrie de la musique : « Industry slimeballs, showbiz big-deals / The cool new band with the retro feel ». De quoi faire honneur à son aura d'artiste agitateur. Les beats délivrés par son groupe sont souvent puissants et efficaces, mais la diversité des sonorités, des tempos et des styles proposés (free jazz, hip-hop pur et dur ou lo-fi, electronica...) tendent à fatiguer l'ouïe et l'esprit assez rapidement. Le titre Stink est le parfait exemple de ce foutoir sonore à tendance ragga qui vient masquer le talent de son MC.

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Ceux qui sont venus se trémousser sur ce set en sont pour leurs frais, les amoureux des mots et de l'occupation scénique, eux, sont aux anges. La sud londonienne est définitivement un modèle à suivre et un auteur de qualité, mais l'orchestration de ses textes mériterait d'être revue à la baisse pour trouver et poser un style musical qui puisse tenir un fil rouge. Kate Tempest dans un verre d'eau ? On n'en est pas loin...