Everything But The Girl

Dans la ville anglaise de Hull, trônait un magasin de literie bien connu des riverains dont le slogan s'affichait sur la devanture : « For your bedroom needs, we sell everything but the girl ! ». Nous étions en 1982. Autre temps, autre mœurs. Sandrine Rousseau avait alors dix ans… C'est à cette époque que deux étudiants de l'université locale, Tracy Thorn et Ben Watt, se rencontrent. De leurs amours créatifs et charnels naîtra le projet Everything But The Girl. Fuse, qui sort le 21 avril sur Buzzin' Fly Records, est le onzième album du duo et le premier chroniqué sur Sound Of Violence.

Et pour cause ! 1999, date de leur dernier album studio (Temperamental). 2000, date de leur dernier concert. Le moins qu'on puisse dire c'est que personne ne s'attendait au retour du duo sophistic-pop britannique qui a vu le jour alors que The Cure, Indochine ou encore Roxy Music étaient au sommet de leur gloire. Après vingt-trois ans d'absence, Tracy Thorn et Ben Watt savent que « revenir après un si long silence ne sera pas chose aisée ». Une déclaration faite du salon londonien où les deux époux de soixante printemps maintenant (ils sont ensemble depuis 1982, ce qui ne doit pas être loin d'être un fait unique dans l'industrie musicale) ont élevé leur trois enfants, devenus adultes, et où trône leur studio de musique. L'album Fuse a été enfanté en sessions privées à la maison à partir de mars 2021 (et dans la ville de Bath en compagnie avec de leur ami ingénieur Bruno Ellingham) ; comme de nombreux autres projets musicaux l'ont été pendant la pandémie de COVID-19. Et, comme il se dit dans les couloirs de Roland-Garros et de l'avis de la presse spécialisée, il se pourrait bien que ce soit un retour gagnant. Ce qui, d'évidence, est loin d'être le cas de tous les come back eighties depuis quelques années.

Le single Nothing Left To Lose qui tourne en ligne depuis plusieurs mois, nous donne quelques clefs. Malgré les affres du temps, la texture de voix si particulière de Tracy Thorn n'a rien perdu de sa tessiture de basse et de sa tonalité songeuse. Avec une assise vocale aujourd'hui plus imposante qui rappelle parfois Annie Lenox et des recherches de sonorités musicales très inventives, Everything But The Girl semblent, dans cette introduction, rompre avec la nostalgie et la tristesse contemporaines qui faisaient leur marque de fabrique dans les années 80 (même si les textes le sont toujours).
Sur un très urbain et très joli vidéo clip réalisé par Charlie Di Placido, Nothing Left To Lose déjoue le sentiment qui prédomine parfois à la réécoute des premiers titres du duo, un sentiment de « musique datée ». A propos du réalisateur (qui a également tourné le vidéo clip du titre Run A Red Light) qui donne la part belle aux danseurs contemporains dans la mise en scène, Tracy Thorn déclare : « Nous avons découvert avec cet album que la chorégraphie peut exprimer l'émotion de notre musique sans avoir à être trop littérale. Les personnages, les vêtements, les mouvements, la mise en scène s'accordent parfaitement. Charlie et son équipe comprennent vraiment les sentiments que nous recherchons. Ce fut une excellente collaboration. ». Ce qui sera le cas tout au long de l'album notamment sur No One Knows We're Dancing ou le très beau Lost qui, malgré son emballage tourmenté, possède sa propre source de lumière.

Si quelques titres reflètent encore un peu de cette mélancolie qui a fait le succès d'Everything But The Girl, il apparaît que la période du COVID-19 et des confinements a eu un effet favorable sur les inspirations de Tracy Thorn et Ben Watt. Des influences modernes et positives, éloignées de la sinistrose que cette crise a pu produire sur d'autres artistes et que le duo assume parfaitement : « Nous ne voulions pas un album reflétant cette période. Mais un terrain de jeu et d'essais pour coller à notre époque, après vingt-trois ans d'absence ».

Ce ne sera sûrement pas l'album de 2023, mais après autant d'années d'éloignement et à soixante ans passés, Everything But The Girl continuent de nous séduire. Et même si aucune tournée n'accompagnera la sortie de cet album (une sage décision), ils nous font comprendre, en filigrane, que l'âge de leur retraite n'a pas encore sonné.