Il y a encore de cela quelques années, nous mettions un point d'honneur à débuter notre saison des festivals non pas chez les gros qui avaient déjà pignon sur rue avant de se faire totalement croquer par les géants de l'entertainment, mais bien chez un festival indépendant, qui a débuté tout petit et réussi à élargir sa notoriété et son lineup, venant rivaliser avec les grosses machines à sponsors. Situé à Nîmes, bijoux du Gard (comme l'a annoncé notre chef de bord dans le TGV en arrivant), le festival This Is Not A Love Song a, durant sept années, fait le bonheur des fans de rock sous toutes ses coutures, en culminant avec des têtes d'affiches prestigieuses comme Echo & The Bunnymen, Primal Scream, The Breeders, The Jesus & Mary Chain, Foals, on en passe et des meilleurs.
La multiplication de l'offre, les subventions publiques instables et surtout la terrible épidémie de COVID-19 ont mis un terme dès 2020 à cette très belle aventure, menée tambour battant par des passionnés de musiques réunis en association et les professionnels de la scène musicale nîmoise.
Quel n'a pas été notre plaisir de découvrir le retour du This Is Not A Love Song qui, tel un phénix qui renaît de ses cendres, reprend avec beaucoup d'humilité sur un format plus modeste, et nous propose ainsi le Beau Week-End, soit deux jours de concerts, toujours sur le site de la SMAC Paloma, avec les deux salles de la structure d'une part et deux scènes aménagées en extérieur d'autre part, proposant systématiquement deux concerts en simultanés pour varier les plaisirs.
Le Beau Week-End, c'est surtout profiter de la chaleur et de la beauté du sud. Pour ce qui est de la première, les festivaliers ne seront pour cette reprise pas déçus avec une température entre 36 et 39 degrés, un vent de tous les diables le vendredi et un sauna géant le samedi. Mais cela n'est pas un souci pour le spectateur qui profitera ainsi d'espaces climatisés à l'intérieur de la SMAC et surtout d'un décor de vacances presque à la plage dehors, entre grands espaces verts, arbres à l'ombre bienfaitrice et autres mini coins détentes avec transats, cousins, mini terrain de beach volley et tout un tas de food trucks et buvettes (à prix plus que raisonnable, ce qui en ces temps de canicule tombe à point nommé) pour entretenir la forme des festivaliers pour qui aucune canicule ne viendrait gâcher le plaisir du festival retrouvé.
Une programmation qui fait toujours la part belle aux découvertes, avec des têtes d'affiche certes plus modestes que les éditions d'antan mais qui correspondent réellement avec cette idée de nouveau départ. Le festival se tenant en parallèle du Lévitation à Angers, quelques noms se partageront ainsi leur week-end entre le pays angevin et le Gard. Pour les lecteurs de Sound Of Violence, acquis à la cause britannique et irlandaise, c'est donc la joie de retrouver pas mal de noms déjà défendus dans nos colonnes et l'occasion pour votre chroniqueuse d'aller jeter une oreille par-delà la Manche entre États-Unis, Australie, et Europe.

L'aventure débute donc le vendredi dès 18h30, entre les deux scènes extérieures appelées Flamingo pour la plus grande et Mosquito pour la plus petite (les véritables moustiques nous ayant fait l'honneur de leur absence). Nous débutons les hostilités en retrouvant les Anglais de
PROJECTOR, dernièrement croisés à la Block Party du Supersonic à Paris. Nos quatre anglais issus de Brighton prennent possession de la petite scène Mosquito, alors en plein cagnard, heureux de goûter aux joies du sud mais nous faisant nous alarmer quant à la couleur que va prendre leur peau délicate, à savoir rouge cramoisi surtout pour Ben Hampson le chanteur guitariste, qui comprendra qu'on ne peut lutter contre les éléments et se décidera à abandonner son tee-shirt noir avant de risquer l'hyperthermie sévère. Le set est du calibre de celui entendu à la Bastille, et nous confirmons ainsi tout le bien que nous pensons de leur post punk assez brut de décoffrage, porté soit par le chant très grave de Ben, soit par le timbre un peu plus doux mais pas dénué de puissance de Lucy Sheehan. Une entrée en matière efficace, qui nous a déjà fait vider trois gourdes d'eau d'affilée et la décision entérinée de revoir PROJECTOR, probablement un peu plus couverts, à Paris en octobre prochain.

La suite se fait juste à côté sur la scène Flamingo pour une première qui n'en sera pas vraiment une.
bdrmm est une valeur sûre chez Sound Of Violence, et leur passage au Trabendo à Paris en mars dernier n'a fait que confirmer l'ascension que prend le groupe depuis son tout premier disque. Ce qui n'est pas commun, c'est de les voir en plein jour, qui plus est sous un soleil rayonnant. Habitués aux salles plongées dans la quasi-pénombre, c'est ici en pleine lumière et donc en short que nous retrouvons les frères Ryan et Jordan Smith, toujours au chant et à l'opposé l'un de l'autre sur la scène, avec au milieu le bassiste Joe Vickers, aussi charismatique que silencieux. C'est une jeune fille à la batterie que nous découvrons également, en lieu et place de Connor Murray.
La très forte luminosité n'empêchera pas la magie de bdrmm d'opérer sur les spectateurs, et c'est justement une autre atmosphère, tout aussi enivrante mais radicalement plus lumineuse, que réussissent à créer les musiciens. Pas de surprises dans la setlist, on retrouve entre autres
Happy,
Lake Disappointment et
Snares, et l'on se surprend à préférer pourvoir discerner clairement le visage de nos amis, eux-mêmes plus à nus car sans aucune pénombre dans laquelle se dissimuler. Le chant des frères Smith s'en trouve plus affirmé, et le set se conclue sur les guitares qui explosent littéralement, le format festival de bdrmm étant définitivement plus puissant et électrique qu'en salle.

Il est donc déjà temps d'aller faire une pause pour faire redescendre la température de notre corps. Direction la grande salle du Paloma, magnifiquement climatisée, pour retrouver l'américain
John Maus. Seul sur scène, seulement accompagné de son Mac pour lancer ses bandes sonores, c'est donc une impression de dénuement qui se dégage de la grande scène désespérément vide. Vide que John Maus va rapidement combler en entamant son numéro très impressionnant pour les non avertis, interprétant ses titres entre deux hurlements, son corps comme pris de spasmes, donnant l'impression qu'il rentre en transe. Cette attitude sur scène qu'il qualifie de lui-même de « corps hystérique » est très difficile à aborder lorsque l'on n'est pas familier avec ses travaux, et même si on se laisse happer par cet étrange phénomène, nombre de spectateurs se heurtent à un mur d'incompréhension alors que d'autres crient au génie.

Nous quittons donc une salle clivée pour repartir vers la scène Flamingo, le soleil ayant enfin décliné et sous un ciel d'un bleu indigo des plus magnifiques. La foule se masse, on devine quelques drapeaux tant aux couleurs de l'Irlande que de la Palestine, et nous retrouvons avec beaucoup d'enthousiasme
The Murder Capital, qui nous avaient à nouveau administré une belle leçon de maîtres lors de leur passage au Trianon de Paris en mai dernier. Le format est écourté mais l'énergie, elle, n'est jamais économisée avec les Irlandais. Qu'il soit face à plusieurs milliers de personnes ou plusieurs centaines, James McGovern passe son message tout aussi clairement et fougueusement. C'est un public beaucoup moins acquis à leur cause qui leur fait face ce soir, et on appréciera dès lors le surplus d'effort fait par les musiciens pour dompter cette foule, qui tout en répondant favorablement à leur discours en faveur de la Palestine ne sera pas si docile que peuvent l'avoir été les publics lors de la tournée il y a deux mois.
Peu importe le degré d'adhésion des présents, The Murder Capital se donnent à fond, et déclinent les meilleurs titres du dernier album
Blindness, en entamant le set sur un
The Fall brûlant, puis en enchaînant judicieusement avec un rageux
More Or Less et
Death Of A Giant. On passe de morceaux tendus comme
The Stars Will Leave Their Stage à ceux plus émouvants tels
Love Of Country et le magnifique
Ethel, qui prend concert après concert de plus en plus d'ampleur.
Entre les titres, James semble s'amuser de voir que ce public ne répond pas forcément à ses appels au circle pit, mais réussira à mettre tout le monde d'accord avec un
Don't Cling To Life qui continue de vous prendre aux tripes. Le set se clôture sur les très stoner
Words Lost Meaning, alors que le vent se lève et permet ainsi à James de finir en brandissant le drapeau irlandais qu'un fan lui a tendu, prenant une pause de conquérant sur un champs de bataille.

Difficile d'enchainer après cette prestation de très haute volée, mais nous tentons quand même d'aller jeter une oreille au set des fous furieux de
KNIVES, se produisant dans le Patio du Paloma. Cela non sans une extrême peine car les Anglais ont réussi à remplir à ras bord le minuscule espace découvert, ne nous permettant absolument pas d'aller au-delà du bar se situant à l'entrée du patio. Nous nous contenterons donc d'observer de loin les très nombreux mouvements de foule, vagues après vagues de spectateurs venant s'écraser au pied du colosse Jay Schottlander, ce dernier réceptionnant à bras ouverts les mâchoires qui viennent ainsi se briser joyeusement contre lui.

Décidés à ne pas perdre nos points de vie inutilement, retour en cette belle nuit étoilée à la scène Flamingo pour retrouver
Death In Vegas. On s'attend donc à un set aussi déconcertant que le dernier album
Death Mask paru tout début juin, et ce sont bien trois pupitres recouverts de claviers, aux pieds desquels s'enchevêtre une multitude de câbles, que nous observons. Le vent continue de balayer la scène, les minutes s'égrènent, mais c'est en lieu et place de Richard Fearless que nous retrouvons toute l'armada des techniciens disponibles semblant s'affairer sur les dits câbles. De gros problèmes techniques empêchent donc le groupe d'entrer sur scène, ce dernier faisant néanmoins quelques tentatives bien infructueuses pour ne pas perdre la foule amassée devant lui. C'est au bout de presque trente minutes que Richard lancera tout de même les boucles sons, et c'est finalement un show très écourté et probablement « bidouillé » avec les moyens du bord qui nous est toutefois donné, laissant malheureusement les spectateurs sur un méchant goût d'inachevé.

Un petit détour vers le Patio, cette fois-ci beaucoup plus praticable pour écouter quelques titres acoustiques interprétés par
A. Savage, plus connu comme frontman chez Parquet Courts, qui nous délivre une série de morceaux très folkeux, mais qui peinera à l'heure plutôt tardive à capter l'attention des spectateurs plus occupés à profiter de la relative fraîcheur, bière à la main et confortablement assis avec leurs amis, plutôt qu'à tendre l'oreille vers la minuscule scène. L'heure file trop vite durant ce Beau Week-End, et l'attention se disperse entre les buvettes colorées, la petite chapelle animée par une Dolly Parton et un Elvis Presley qui n'ont quasi-rien à envier aux originaux et le nombre important de camarades de concerts présents avec nous, le festival This Is Not A Love Song réunissant les quatre coins de la France en son sein.

Pour clôturer cette soirée vers 1h du matin nous terminons avec
Enola Gay sur la scène Mosquito. Garder le plus « fort » pour la fin, voilà une sage décision que les organisateurs ont prise. Enola Gay sont quatre irlandais de Belfast, déjà croisés au Supersonic à Paris, lors d'une soirée Echoes d'ARTE Concert en compagnie de Sleaford Mods et dans un point Éphémère qui doit probablement encore en porter les traces. Enola Gay, c'est un pur concentré de rentre-dedans, pas très subtil sur disque et encore moins sur scène, mais qui a le mérite de distiller intelligemment une rage qu'il fait bon évacuer à cette heure de la nuit. Un concert qui se déguste tel un shot de kombucha au gingembre (nous ne sommes pas là pour vos inciter à boire, vous devez vous en douter), et la chaleur ayant enfin terminé de nous oppresser, c'est face à une petite masse qui prend ainsi plus facilement ses aises que nos amis réussissent à enfoncer le clou d'une après-midi et soirée plus qu'intenses, dont on ne sait plus si c'est la canicule ou la joie de revivre le rock au This Is Not A Love Song qui nous aura le plus fait mouiller les maillots.
Une douche glacée et une bonne nuit de sommeil s'imposent donc à tous, avant d'aller braver la fournaise de la seconde journée du festival.