Après s’est être remis de ses premiers émois de l'Iceland Airwaves, nous voilà fin prêts pour arpenter la ville de Reykjavik en la connaissant un peu mieux. Toutefois, en voyant qu’un toit s’est écroulé sur l’artère principale, que la rue est coupée aux véhicules et que l’océan a décidé d’envahir la route côtière, on décide de l’arpenter le moins possible : histoire de pouvoir continuer cette chronique jusqu’à son terme.

Le vent souffle donc toujours très fortement sur la capitale alors que le premier concert a lieu au Kex Hostel au bord de l’océan, ce qui n’est justement pas l’endroit le moins exposé. Ce qu’on ne ferait pas pour voir
Ólafur Arnalds... Une foule importante a encore une fois trouvé refuge dans cette douillette auberge pour avoir une chance d’apercevoir le pianiste le plus réputé de la scène islandaise actuelle. Un concert de ce dernier nécessite un silence total, comme il le souhaite lui-même, car le son du piano est très faible. Chaque mouvement du public est donc contrôlé, d’autant plus qu’il fait asseoir l’assemblée. La profondeur de sa musique plonge l’auditoire dans un face-à-face avec lui-même, on ne peut qu’admirer la beauté des notes qui s’échappent de ce piano, accompagné par un violon et un violoncelle. Malgré la gravité et le sérieux de sa musique, l’islandais n’oublie pas la boutade alors qu’il s’apprête à jouer
Ljósið, l'un de ses titres phares. Il explique qu’il s’est rendu compte en lisant des commentaires sur Youtube que ses auditeurs pensent qu’il est inspiré par la nature islandaise. Mais cette chanson a en réalité été composée pour une publicité pour des baignoires. C’est le sourire aux lèvres que l’on replonge dans ces délicats arpèges tout en déstructuration, dans une beauté silencieuse. Il ne faudra pour sûr pas rater ses concerts plus officiels.

Après ces premiers moments très intenses dès le début de l’après-midi, prenons la direction de la majestueuse salle du Harpa, une structure de modernité construite au bord de l’océan. Superbe de l’extérieur comme de l’intérieur, ce complexe culturel géant accueille pour la première fois le festival : c’est une réussite. On se rend au bar ou de petits concerts doivent avoir lieu mais suite à un changement de planning, nous assistons à la courte prestation de
Oddur Ingi. En un duo de guitares folk, il propose une musique islandaise traditionnelle teintée d’influence folk blues.

On se retrouve finalement à nouveau au bar Hresso, au chaud. Cet après-midi y est consacré à la pop canadienne, en collaboration avec le festival Osheaga de Montréal. Voilà qui est plutôt alléchant, on y découvre un premier groupe québécois au nom évocateur :
Technical Kidman. On remarque avant tout un chanteur leader aux attitudes hip-hop mais avec une voix lancinante, parfois grinçante. Son inspiration pourrait venir de chants amérindiens si on se mettait à fermer les yeux et si on n’avait pas en face de nous un excité aux mouvements saccadés avec casquette et veste en jean. Après tout, les punks et les iroquois ne sont-ils pas liés ? La musique est quant à elle électronique et plutôt agressive, basée sur un laptop et une batterie down-tempo. Ces divagations synthétiques sont plutôt dansantes avec ses breaks comblés par la voix et des reprises dans des crescendos chaotiques. Nous trouvons en Technical Kidman la première bonne découverte du jour.

Un autre groupe québécois connaissant dores et déjà une certaine renommée dans nos contrées leur succède :
Half Moon Run. Le registre est ici nettement différent car beaucoup plus lisse et propre sur soi. La chemise et le chapeau de bucheron sont de sortie pour une piano-pop tout en rythmique, bercée par la douceur de la voix du chanteur Devon Portielje. Ce trio a composé quelques pépites à l’efficacité redoutable qui attirent immédiatement l’oreille.
Call Me In The Afternoon est la première d’entre elles, sous ses allures de tube pop évident. Le leader et ses mimiques précieuses passe de la caisse claire au micro alors que son timbre particulier libère toute sa force. La ballade
Full Circle fait également son petit effet alors que le concert se révèle quelque peu ennuyeux et répétitif sur la longueur. Les mêmes formules sont bien souvent répétées et on restera simplement sur ces quelques instants marquants.

On décide alors de quitter le Hresso mais sans toutefois rester trop longtemps à l’extérieur puisqu’un concert à lieu dans la librairie Eydmunsson à cinquante mètres de là. Asseyons-nous tranquillement entre les bibliothèques pour écouter le concert de
Low Roar, qui est souvent boréale par ici. L’homme au bonnet déploie une impressionnante voix flirtant avec de délicieux aiguës planant au-dessus des têtes d’un public conquis. De ses compositions précises s’extirpe une dream pop au ralenti avec néanmoins une forte base folk lorsqu’il s’empare de sa guitare. L’américain Ryan Karazija est fortement inspiré par Sigur Rós, aussi bien dans sa composition que dans sa voix pouvant également rappeler Thom Yorke. C’est peut-être la cause de son déménagement de San Francisco pour Reykjavik. Low Roar joue ses délicates compositions dans la finesse et ses futures livraisons seront à suivre de très près.

On reste dans cette librairie pour le concert d’une ancienne employée des lieux, devenue l’une des artistes les plus populaires d’Islande :
Lay Low. Découverte lors de ses premières parties d’Emiliana Torrini, Lovísa Elísabet Sigrúnardóttir (quel nom !) a depuis sorti quatre albums en anglais ou en islandais. Mi-islandaise, mi sri-lankaise, cette folkeuse est donc plutôt unique en son genre et la qualité de ses compositions ne fait que le confirmer. Elle s’accompagne ici d’une simple guitare acoustique mais donnera un concert avec un groupe le lendemain dans une chapelle de Reykjavik dont nous ne manqueront pas de parler. Les adaptations dépouillées de ses morceaux font néanmoins leur effet sur le fan de base moyen, particulièrement cette jolie ballade qu’est
By And By : à la fois douce dans ses accords et profonde dans son texte. Mystérieuse et discrète, Lay Low termine son concert alors que l’on reste plongé dans son regard en coin.

Avant de rejoindre les soirées du festival, faisons un dernier concert off dans le Bar 11, haut lieu rock de la capitale, connu pour ses nuits enflammées par des DJs capable d’enchainer tous vos morceaux préférés en quelques minutes. En ce début de soirée, un concert plus intimiste a lieu avec la canadienne
Mo Kenney. Cette jeune songwriter à fleur de peau propose des compositions touchantes portées par une voix grave et attachante. Attachante est le maître mot quand on veut parler de Mo Kenney, on ne se lasse pas de ses petites histoires très personnelles, sur sa vie ou celle de son ami porté disparu. Une certaine mélancolie s’en détache et on esquisse un sourire lorsqu’elle annonce que le prochain morceau s’appelle
The Happy Song (pour une fois). On retiendra la ballade
Sucker ou encore
Déjà Vu, plus emportée mais restant dans la simplicité. Au final, on ne peut s’empêcher de chercher où et quand revoir Mo Kenney dans le planning du festival.
Pour cette deuxième soirée, nous décidons de nous rendre au Reykjavik Art Museum dont le hall géant est transformé en salle de concert pour l’occasion. Pour la première fois, on assiste à un concert dans une grande salle et ce sont les islandais de
Samaris qui ouvrent la soirée. Tout en délicatesse, ils mixent la froideur d’un électronica laid back et minimaliste avec une clarinette dispersant de suaves mélodies flottantes et rêveuses. Cet instrument classique ajoute une grande originalité au son électronique de
Samaris. Les textes en islandais de la jeune chanteuse ne font rien pour réchauffer l’ambiance glaciale si ce n’est lorsqu’elle pousse dans des aigües pouvant parfois faire penser à Björk. Cette langue convient décidément parfaitement à ce style musical. La soirée électronique qui s’annonce débute donc dans la lenteur mystérieuse de ce trio qui semble pouvoir stopper le temps avec quelques machines et un instrument à vent se mélangeant comme deux mets incongrus qui finalement s’accordent parfaitement.
Un autre trio leur succède, il s’agit des américains de
Phantogram. La cadence s’accélère ici davantage et les beats saccadés envahissent l’Art Museum pour un électro-rock teinté de trip-hop 90’s. On pourrait penser à Portishead comme une influence majeure si la tournure de certains morceaux fait de remplissage n’était pas si prévisible. La voix faiblarde de la claviériste peine à se faire entendre. On pourra toujours se consoler en remuant sur des rythmes bien menés bar un batteur plutôt agile mais les parties vocales ne procurent aucune émotion, semblant éviter le moindre effort. Phantogram ne sortiront pas des sentiers battus de l’électro-rock ce soir malgré ce qu’on pouvait en attendre.

Sans le faire exprès, nous retrouvons encore
Sóleyaprès ses concerts du mercredi, pour une prestation un peu plus longue, sur une scène plus imposante. L’islandaise joue ce soir plus d’anciens morceaux comme l’émouvante
Pretty Face et ses silences rompus par quelques notes d’un clavier à peine effleuré. La voix se fait plus forte dans cette grande salle, l’occasion d’apprécier un peu plus ses élans lorsqu’elle la pousse dans ses derniers retranchements. Sa prestation prend encore plus d’ampleur que la veille avec un lightshow adapté, faisant ressortir la part de fiction et de fantastique dans ses petites histoires enivrantes. Le concert se termine sur la très belle
I'll Drown, et ses boucles enregistrées qui se superposent jusqu’à ce crescendo final répétant « I’ll drown when I’ll see you ». Sóley nous a encore noyés sous son geyser sonore.
L’un des groupes les plus attendus de ce Iceland Airwaves était sans conteste les canadiens de
Purity Ring et leur électro pop bizarroïde. La hype fait son effet et beaucoup se sont donné rendez-vous devant cette scène faite de lampions lumineux et de MPC surplombées par des ampoules en papier qui s’allument lorsque Corin Roddick les percute avec ses baguettes. Les instrumentaux composés de synthés cristallins prennent le pas sur une basse laid back qui nous fait remuer du bassin. La chanteuse Megan James évolue en électron libre, arpentant la scène en dispersant sa mignonne voix presque enfantine dans des échos insaisissables. Elle se saisit parfois d’instruments ou frappe violemment un tambour géant, qui finira par tomber au sol sous la violence du tonnerre sonore qui s’abat dans le musée. C’est le titre
Fineshrine qui enflamme le plus une audience en mouvement perpétuel. Le duo lumineux de Montréal joue avec les sons en n’utilisant presque aucun instrument traditionnel. Ils ont choisi d’en créer de nouveaux pour les fondre complètement avec le visuel du show. Cela fonctionne parfaitement, d’autant plus que les compositions sont à la hauteur sans toutefois se hisser au niveau d’intensité atteint par Chromatics, si on cherche un point de comparaison. Les futuristes de
Purity Ring sont parvenus à exciter nos tympans jusqu’au bout de leur prestation éclairée.

Pour finir en beauté cette soirée, nous nous dirigeons vers le complexe géant Harpa : ce bâtiment en verre niché au bord de l’océan qui revêt des teintes différentes selon l’heure, la saison ou la température. Il est de plus superbement éclairé de nuit. Et quel meilleur endroit pour ce chef d’œuvre d’architecture que d’assister au concert du groupe islandais en pleine explosion :
Of Monsters And Men. Après avoir passé dix-neuf semaines en tête des charts islandais, suivi d’un succès monstre en Europe et aux États-Unis, leur album se vendait comme des pylsa dans les nombreux disquaires de la capitale. La troupe attire ainsi nombre de festivaliers dans les quelques concerts donnés pendant cet Iceland Airwaves.
Adeptes de joyeusetés pop et autres accords majeurs radiophoniques, les compositions d’Of Monsters aAnd Men possèdent néanmoins ce petit plus qui fait s’hérisser les poils et frétiller les doigts de pied. Leur réputation d’Arcade Fire islandais leur colle néanmoins à la peau lorsque les chansons à base de
Wake Up se suivent et se ressemblent. On reconnaît également l’influence de The Decemberists mais ils convient d’arrêter cette chasse si on veut passer un bon moment. Dès les premières notes de
Dirty Paws, les deux voix masculines et féminines qui font le succès du groupe se retrouvent à l’unisson tandis que les choeurs succèdent au lâché de confettis. On aurait pu penser que le tempo s’accélère quelque peu pendant leurs concerts mais il n’en est rien, Of Monsters And Men se complaisent dans de jolies ballades acoustiques parfois un peu niaises. Les arrangements à l’accordéon ou à la trompette font néanmoins notre bonheur, surtout lorsqu’ils entament l’introduction de
Little Talks, leur chanson phare. On ne peut s’empêcher de sauter et de reprendre les paroles en chœurs avec le reste du public dans un pur moment de défoulement. La fin du morceau sera interprétée a cappella par l’ensemble de la troupe avec son public de fans. Ce nouveau groupe star islandais est parfois ennuyeux, donnant l’envie d’aller voir ailleurs. Mais il possède des pépites capables d’enflammer les cœurs dans leur répertoire, et c’est pour cela que l’on n’a sans doute pas fini d’en entendre parler.
Nous voilà donc pleinement entrés dans le festival avec une journée riche en découvertes et confirmations. On retiendra les touches islandaises d’Ólafur Arnalds, Lay Low et Of Monsters And Men ainsi que les touches canadiennes de Purity Ring, Half Moon Run et Technical Kidman. Un jeudi pop comme on aimerait en vivre bien plus souvent !