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Pitchfork Music Festival

Paris, du 14 au 21 novembre 2022

Live-report rédigé par Franck Narquin le 22 novembre 2022

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vendredi 18
Autrefois simple mise en bouche, programmées en marge de la grand-messe de la Halle de la Villette, les soirées Avant-Garde du Pitchfork Music Festival occupent désormais une place de choix au sein du festival au point d'en être devenues le bouquet final avec trente-six groupes répartis sur six salles autour de Bastille les vendredi et samedi soirs. Dédié comme son nom l'indique aux groupes émergents, le line-up s'avère aussi excitant qu'exigeant, la réponse la plus entendue à la question « tu viens au Pitchfork ce week-end ? » étant sans conteste « Ben, je ne connais personne ». Pourtant la curiosité est parfois un joli défaut. L'année dernière, nous avions pu découvrir ou voir pour la première fois en France Wet Leg, Yard Act, Gabriels, Faux Real ou encore NewDad, soit des groupes qui ont enflammé les festivals cet été ou qui figureront dans moultes classements des meilleurs disques de fin d'année. Le plus compliqué lors de ces soirées Avant-Garde n'est pas d'assister à de bons concerts, mais d'arriver à concocter LE programme qui permettra de découvrir le plus d'artistes intéressants tout en gérant une time-table très serrée, empêchant parfois de naviguer entre deux salles. Si on avait une proposition à faire aux organisateurs pour l'année prochaine, ce serait d'un peu élargir la plage horaire pour permettre une « expérience spectateur » un peu plus fluide et moins frustrante.

Chaque salle se spécialisant dans un genre (néo-R'n'B au Café de la Danse, soul aux Disquaires, hip-hop au Badaboum...) c'est donc tout naturellement que nous installons nos quartiers au Supersonic et sa petite succursale le Supersonic Records dédiés à l'indie rock, qui plus est quasi-exclusivement britannique. Nous aurions bien aimé débuter la soirée au Badaboum avec le hip-hop arty et neurasthénique de la londonienne John Glacier, proche de Dean Blunt et dont le premier album a été produit par l'omniprésent Vegyn (dont on reparlera d'ailleurs bientôt), mais devant faire face à 99 problèmes (but the Pitch ain't one), nous serons contraints de faire l'impasse. Rater John Glacier, on a les boules.


A vingt heures, le Supersonic est loin d'afficher complet quand débarque sur scène Regressive Left, trio anglais composé de Simon Tyrie (chant et clavier), Georgia Hardy (batterie) et Will Crosby (guitare), dont on pourrait traduire le nom par « islamo-gauchiste », tant le terme anglais sort essentiellement de la bouche des conservateurs avec le même sens péjoratif que son équivalent français. Le groupe, résolument politique et aux textes grinçants dans la veine d'un jeune Ken Loach, réserve même à chaque concert sa guestlist aux personnes en situation de précarité financière. Niveau musique, Regressive Left proposent un post-punk mâtiné d'électronique, virant parfois à la new wave et qu'on sent influencé par Tom Tom Club, Talking Heads et tout particulièrement LCD Soundsystem. La ressemblance avec ces derniers est même parfois troublante sur des morceaux comme The Wrong Side Of History, où Simon Tyrie, vêtu d'un très joli pull moche de hipster tout droit sorti d'un film de Xavier Dolan, va jusqu'à prendre les intonations de voix caractéristiques de James Murphy. Si les références restent encore trop marquées, le groupe enchaîne des titres bien troussés et ultra efficaces. Au fur et à mesure du set la salle se remplit, le public adhère et ne tarde pas à se mettre à danser jusqu'à leur dernier titre, le frénétique Bad Faith, dont la version studio est chantée en duo avec Mandy, Indiana, programmés le lendemain. Premier concert, première belle découverte, la soirée s'annonce sous les meilleurs auspices.


Pas le temps de souffler, le concert à peine terminé, celui de Prima Queen a déjà débuté au Supersonic Records. Les quelques titres que nous avions entendus de ce groupe d'indie rock entièrement féminin, mené par l'anglaise Louise Macphail et l'américaine Kristin Mc Fadden, ne nous avaient pas pleinement convaincus, un peu trop fades et mièvres à notre goût. On sera donc agréablement surpris par une interprétation nettement plus relevée sur scène, avec une mention spéciale pour Butter Knife et son spoken word (la grande tendance de l'année chez les groupes anglais) et Eclipse, petite boule d'énergie pop à la Nilüfer Yanya. Sans être renversantes, Prima Queen s'en sortent tout de même avec les honneurs grâce à leur énergie communicative et leur séduisante fraicheur.


Après ces deux premiers groupes, nous avons droit à une petite pause fraîcheur d'une trentaine de minutes. Ce n'est pourtant pas le moment de se relâcher car nous devrons vite faire face à un choix cornélien, non pas entre la Smashed Pale Ale ou l'IPA canadienne, on pourra goûter les deux et peut être même revenir sur notre préférée, mais entre la bande d'ados de Leeds de L'objectif programmés en même temps que l'artiste prolifique de Yorkshire Ethan P. Flynn. Plus excités par Ethan P. Flynn, on décide de tout de même laisser deux morceaux aux gamins, l'histoire de se faire un avis expéditif sur la petite hype qui les entoure. Etiquetée post-punk, appellation devenue ces derniers temps presque synonyme de rocks anglais alternatif, la musique de L'Objectif nous semble pourtant plus proche d'une noisy pop. Les joues encore roses, les jeunes loiners livrent un début de set en demi-teinte, les musiciens ne semblent pas tous en place et la voix déraille à plusieurs reprises. S'il est difficile de juger d'un groupe sur à peine deux morceaux, nous n'avons pas trop de regret en quittant la salle pour rejoindre le Records et Ethan P. Flynn.


En quelques minutes, nous passons d'un concert de groupe de MJC à celui d'un musicien chevronné à l'univers musical marqué et ultra-créatif. Pour ne pas associer toute notre rédaction à mon ignorance, j'utiliserai ici la première personne du singulier. J'ai du mal à comprendre comment j'ai pu passer à côté de son premier album (à moins que ce ne fut une mix-tape) B-Sides & Rarities : volume 1. sur le label Young (précédemment Young Turks). S'il a collaboré avec FKA Twigs, Slowthai ou Vegyn (tiens, encore lui), c'est surtout de Black Country, New Road qu'il se rapproche le plus. Si après ce concert, on a hâte de découvrir son prochain album en cours d'enregistrement, on se dit également qu'il ferait un remplaçant idéal à Issac Wood, chanteur-guitariste démissionnaire de la formation anglaise. On retrouve ici le même goût pour les mélodies fortes et les instrumentations grandiloquentes interprétées de manière résolument moderne, piochant sans œillère dans les styles musicaux les plus variés ainsi que ce même grain de voix irrésistible, râpeux, presque cassé et toujours sur la brèche. Il ne faudra à Ethan P. Flynn que huit titres pour nous mettre une belle claque et emporter haut la main le prix du concert de la soirée et figurer sur notre liste des albums attendus de 2023.


On termine la soirée au Supersonic, avec le quintet de Burnley, THE GOA EXPRESS. A peine plus âgés que L'Objectif, les cinq anglais sont bien mieux dégrossis. Sans proposer une musique très originale, oscillant entre le garage, le rock psyché et le baggy (Burnley n'étant qu'à trois quart d'heure de Manchester), le groupe fait largement le job face à une salle désormais bondée. Le groupe balance la sauce à plein régime, ne s'accordant que des très brèves pauses entre chaque morceau et le chanteur James Douglas Clarke, au charisme certain, n'hésite pas à prendre des poses à la Liam Gallagher, buste bombé et mains dans le dos. Avec leurs titres uptempo, faciles d'accès et une belle aisance scénique, THE GOA EXPRESS ne révolutionnent pas le paysage musical anglais mais assurent un set de très bonne qualité sans aucun temps mort. Avec autant d'atouts en poche, il ne reste à ces jeunes anglais qu'à développer un style plus personnel et à composer des chansons plus ciselées pour devenir bien plus qu'un simple bon groupe de festival.

Il est 23h30, c'est déjà le clap de fin pour cette première soirée Avant-Garde dédiée exclusivement à la scène anglaise, même si on aurait bien aimé passer une tête chez Nia Archives qui mélange néo-soul et jungle 90's comme personne ou chez They Hate Change, une des formations hip-hop les plus originales du moment, qu'on pourra découvrir en 2023 en première partie de shame. On se retrouve dès demain pour vous narrer cette seconde soirée qu'on a voulu plus éclectiques et qui va s'avérer supersonique ! A suivre...
artistes
    Dréya Mac
    Sam Wise
    Sudan Archives
    yeule
    John Glacier
    Nia Archives
    Luna Li
    piri and tommy
    They Hate Change
    Prima Queen
    Ethan P. Flynn
    L'objectif
    Sister Ray
    Charlie Hickey
    THE GOA EXPRESS
    Regressive Left