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Block Party

Paris, du 17 au 19 mai 2023

Live-report rédigé par Adonis Didier le 24 mai 2023

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vendredi 19
On aurait pu croire que deux jours de festival nous auraient physiquement et mentalement épuisés, mais ce serait oublier que les millenials sont des gens constamment épuisés, alors, comme ce démarcheur téléphonique d'accès internet fibré qui ne cesse de vous harceler, on est encore là, avec notre blabla rempli de pépites british underground de qualité, et pas celles coupées avec du pneu.


Mais trêve d'introductions, car j'en suis déjà à quatre-mille mots sur deux jours, et même si la langue française en compte bien plus que cela, évitons d'en arriver au point où j'écrirai que c'est avec alacrité que j'arrivasse en Supersonic Club pour mirer, à dix-huit plus une heure passées, les sémillants irlandais de Silverbacks faire tinter leurs chatoyants instruments au son d'un slacker art-rock vif et allègre mêlé de post-punk. Un groupe from Dublin City discutant dans un français très correct et souriant, mais l'on en attendait pas moins d'un groupe dont la chanson la plus connue s'appelle Dunkirk. Dunkerque en VO, décidément tout est plus beau avec l'accent du ch'nord, et un concert très sympathique, à l'image de la musique du groupe qui, si elle ne révolutionne pas forcément grand chose, a le mérite de mélanger avec talent et ingéniosité pas mal d'influences différentes, et de toujours nous faire passer un bon moment. Different Kind of Holiday nous apporte un rock un peu plus pêchu pour finir, et l'on ressort de cette nouvelle rencontre avec les frères O'Kelly le sourire aux lèvres, ce qui est toujours bon signe pour entamer la journée.


Oui, il est déjà 20h, mais chacun son rythme de vie, et ce n'est me semble-t-il pas votre problème si je n'en suis qu'au petit-déjeuner. Ce qui sera un peu plus votre problème, c'est le post-rock jazzy hardcore développé par Otala dans la cave du Seine Café, un groupe encore très jeune, qui nous rappelle les Legss aperçus deux jours plus tôt dans leur capacité à enchaîner phases de post-rock lent et dépressif suivies d'un barouf sans queue ni tête à la black midi. Je me répète un peu, et désolé si je n'y arrive pas avec black midi, mais le groupe gagne à prendre son temps, lorsque les constructions musicales nous transportent au gré des vibrations du saxophone, des nappes de guitare, et des hurlements occasionnels qui s'échappent de ce renfoncement mal éclairé des bords de Seine. 20h10, la cave se vide alors que tout le monde se presse au Café de la Presse, mais on préfèrera rester avec Otala en plein solo de batterie, pour une dernière chanson étirée sur près de huit minutes, car l'on n'arrive finalement plus à décoller de ce qu'il se passe devant nos yeux. Peut-être l'émergence d'un futur très bon groupe de post-rock qui, même s'il ne devient jamais vraiment connu, nous réserve sans doute quelques sorties dont ils n'auront pas à rougir.


Mais le temps est venu d'aller voir ce qu'il se trame au Café de la Presse, et nous ne seront pas déçus. Les quatre musiciennes de Loose Articles se présentent à nous armées de teintures oranges du meilleur goût et d'un style riot grrrl méchant qui dénote légèrement par rapport à leurs productions studios. Ce qui ressemble à du post-punk un peu nerveux sur disque se transforme en gros bordel de punk queer et DIY, ça ne hurle pas toujours juste, on peine parfois à comprendre ce qu'il se passe, mais les lignes de guitare restent efficaces, sautillantes, et carrément western tarantinesque sur des chansons comme Kick Like A Girl ou Buses.


On aurait bien pogoté un peu, mais le temps est déjà venu de courir au Supersonic Records pour ne surtout pas louper notre découverte underground parmi les découvertes underground du festival, j'ai nommé les quatre anglais bar workers de goo ! Un groupe au nom d'album de Sonic Youth venu de Keighley, près de Leeds, formé autour du taf' de chacun dans le concert-bar The Exchange, il n'en fallait pas plus pour que la magie des années 90 opère, et nous fasse débarquer depuis la DeLorean la collision spatiale des Breeders, des L7 et d'Elastica, catalysée par une petite dose de shoegaze My Bloody Valentinesque. Vous comprendrez qu'ayant commencé à écouter du rock suite à une apparition impromptue de Smells Like Teen Spirit dans une lecture automatique Youtube, tout ce qui suivra ne sera en aucun cas objectif, mais après tout on s'en fiche parce que goo est un revival auquel on ne croyait plus, un groupe qui, en seulement quelques chansons, nous fait miroiter un futur EP que l'on se prépare déjà à poncer de ce mois d'août jusqu'à noël 2024, une étoile qui, on l'espère, ne filera pas trop vite, en tout cas moins vite que ces quatre minutes que l'on aurait bien aimé voir durer des heures, coup de foudre impromptu sur un quai de gare dans l'attente du dernier RER. Un concert de jeunesse qui, si la foule n'était pas forcément au rendez-vous, nous aura musicalement ébahi alors que se déchaînent les derniers singles Fomo et Call In Sick : comment tenir en place devant tant d'efficacité et de distorsion ? On avait vu la setlist, et le Gigantic aperçu à la fin est bien celui auquel on pense, gloire aux Pixies, la masterclass est totale, et les références pourraient difficilement être meilleures. Gigantic, a big big love, c'est sans aucun doute ce qu'on ressent désormais pour la bande de Tanisha Badman, et dieu sait que l'attente va être longue jusqu'à l'EP attendu en août.


Mais bon, c'est la vie, alors en attendant goo(dot) on va se chercher une bière au Supersonic, et on jette un œil et une oreille à Roxy Girls et leur punk très inspiré des moments les plus sautillants et ska des Clash. Le concert est une fête de village où la tenue n'est pas de rigueur, l'objectif c'est de sauter et danser, et qu'importe le breuvage, pourvu qu'on ait l'ivresse. Même la voix de Tom, le chanteur, nous rappelle Joe Strummer, et l'ambiance qui se dégage du concert ressemble à la fiesta mexicaine de London Calling pour notre plus grand bonheur. Les quatre musiciens sont généreux, dévoués à leur musique et à leur public, et accèderont à la requête d'un rappel, que l'on ne se permettra pas de refuser non plus.


On ne peut que les remercier d'avoir traversé la Manche pour nous, et il en va de même pour les collègues de Gloop Unit, dont les boucles hypnotiques de post-rock-punk agrémentées de jazz cosmique empli d'effets musicalement situés entre AIR et Kraftwerk nous auront fait vibrer, et ce malgré un passage un peu éclair de notre part. De la bonne musique instrumentale, et un nom à retenir si vous êtes familiers des délires un peu perchés et punky psychédéliques.


A peine arrivés déjà repartis, on lâche honteusement les londoniens de Gloop Unit pour les Suédois de Girl Scout, mais vous commencez à connaître mon amour pour le rock alternatif des nineties, les mélodies ultra accrocheuses, et les chanteuses-guitaristes armées d'une Fender. On me souffle à ma droite que l'ambiance est très Disney Channel Freaky Friday, c'est bon de savoir qu'on traîne avec des fans de Lindsey Lohan. Les harmonies vocales entre les chanteuses ne souffrent d'aucun reproche, les mélodies ne s'embarrassent d'aucun détour, le tout est une pop-rock immédiate, naturaliste, des instants de vie de la jeunesse suédoise qui ne s'embarrassent d'aucune complexité superfétatoire, au croisement de Yo La Tengo, Teenage Fanclub, et Weezer.


Un dernier saut par le Supersonic Records pour le dark punk industrielo-oriental de deep tan. La salle baigne désormais dans une ambiance bleu-nuit, les trois musiciennes sont habillées de noir, la dose de khôl autour des yeux, le regard mystérieux, revolver, et il ne fait nul doute que les petites salles sombres et moites sont leur terrain de jeu, leur lieu d'expression idéal. La musique de deep tan est une partie fine par une nuit sans lune dans une usine désaffectée, l'air est vicié, rempli de stupre, les voix sont suaves, sensuelles, le rythme cogne, lourd, métallique, surmonté de lignes de guitares à tonalité perse baignant la pièce dans une atmosphère mystique, ressuscitant la déesse Ishtar en la personne de la chanteuse et guitariste Wafah Dufour. Trois musiciennes dont le talent dépasse largement l'héritage de leurs familles respectives, que je vous laisserai découvrir sur Google parce que cela serait beaucoup trop long ici, et qui nous auront véritablement emportés dans leur univers fait de luxure et de terreurs nocturnes, le long des troublantes deepfake, Constant Inconsistencies, et autres do you ever ascend?.


On quitte toutefois le concert sans en attendre la fin, car le temps est enfin venu de tourner notre attention vers le CIEL, l'ultime concert de cette première édition de cette Block Party. Un ciel sans nuages qui se présente devant une salle du Supersonic blindée, surchauffée, et prête à lâcher ses dernières forces dans la bataille. Le power-trio, composé de Michelle la hollandaise à la basse et au chant, Jorge l'espagnol à la guitare et Tim le batteur anglais, entame pourtant « calmement » son tout premier concert en France. Back To The Feeling et Seeking permettent au public de prendre son pied tout en finissant les verres encore pleins, laissant celui-ci découvrir le shoegaze grungy baigné d'écho caractéristique de CIEL, dans une ambiance sonore parfaite, dans laquelle chaque note de guitare stridente parvient à s'échapper du brouillard de basses et de reverb, dans laquelle la voix de Michelle, aigue et perçante, sert de lumière aveuglante aux spectateurs encore inconscients de la folie qui couve dans la brume violette.
Somebody, le premier single de leur prochain EP, est présenté devant le seul cri de votre chroniqueur préféré (décidément mon job d'influenceur n'est pas encore au niveau), avant qu'Awake n'alourdisse l'ambiance et ne mette graduellement à vif les nerfs de tout le monde. Toujours pas de coups, toujours pas de pogo, mais la température grimpe sans cesse, les corps se frôlent, la tension monte, la foule n'attend qu'une étincelle pour déclencher l'incendie, une étincelle du nom de Far Away, chanson surpuissante embrassant jusqu'au bout des ongles l'héritage de Nirvana. Il n'en fallait pas plus pour que le calme public ne se mue en un déferlement de violence, de frustrations libérées, en un feu de forêt dragonesque digne d'un mois d'août dans le sud de la France. On se croirait dans le sud, à Brighton plus exactement, terre d'accueil du trio, et les mots viennent à manquer, ainsi que mes notes, perdues dans la masse compacte de corps humains s'envoyant avec peine et contraction des biceps d'un bout à l'autre de la fosse. Baby Don't You Know, reprise en chœur par la foule, en rajoutera une couche sur un gâteau dont on n'imaginait pas qu'il pouvait monter si haut, mais le CIEL est la limite, alors pourquoi s'imposer des barrières lorsque l'on a autant de talent ? Fine Everything sera le dernier titre de cette Block Party. Les dernières onces d'énergie se vaporisent dans la mêlée, les gens passent du rez-de-chaussée à l'étage sans prendre les escaliers, et on termine le festival au septième CIEL, vidé pour des jours et des jours, mais reconnaissant de cette parenthèse presque irréelle dédiée à un genre musical que l'on chérit tant, et pour lequel on se bat tous les jours dans l'espoir qu'il ne perde jamais ses forces vives.

Cette conclusion sera donc dédiée au festival en général, et aux équipes du Supersonic en particulier. Vous avez de toute façon compris que goo et CIEL étaient absolument fantastiques, et continuer à écrire sur eux impliquerait encore plus de jeux de mots douteux qui ne feront guère de bien à ma crédibilité journalistique déjà pas très en forme. Ainsi, ces trois jours de festival urbain auront été l'occasion de découvertes de grande qualité, de confirmations musicales éclatantes, et une totale réussite pour les équipes du Supersonic, tant sur l'organisation et la logistique que sur la qualité du spectacle son et lumière proposé. Le seul reproche que l'on fera à la programmation c'est sa densité (je suis de mauvaise foi), et nos excuses encore une fois aux rares groupes que l'on a choisi de manquer lors de nos pérégrinations. En espérant que les circonstances et les contraintes financières nous autorisent de nombreuses éditions futures de la Block Party, ou comment transformer Bastille en un espace de bonne humeur et de partage autour du pot commun qu'est la culture rock, sans autres préoccupations que celles de faire la fête et de glisser un coup de coude discret à un collègue inattentif sous couvert d'un mouvement de foule. Un bloc, trois jours, quatre salles, trente groupes, if you didn't know, now you know !
artistes
    Silverbacks
    Otala
    Loose Articles
    goo
    Roxy Girls
    Gloop Unit
    Girl Scout
    Deep Tan
    CIEL
photos du festival