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Block Party

Paris, du 17 au 19 mai 2023

Live-report rédigé par Adonis Didier le 19 mai 2023

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mercredi 17
Et zééééé barti ! Comme une annonce de fête foraine, le lancement de la toute première Block Party organisée par les équipes du Supersonic à Paris se fait une veille de jour férié, le mercredi 17 mai de l'an de grâce 2023. Et ne vous inquiétez pas, je vous vois, vous qui ne faites pas partie de l'intelligentsia artistique parisienne spécialité rock indé underground, qui ne traînez pas un soir sur deux à l'International, au Point Ephémère, ou au Supersonic, et qui vous demandez bien légitimement « mais c'est quoi la Block Party du Supersonic !? » !

Merci Wikipédia, « une Block Party est, dans la culture américaine, une fête de quartier qui réunit un voisinage autour de quelques musiciens ». OK, donc c'est un festival, dans le quartier du Supersonic, et il y a des groupes de musique, qui jouent de la musique ? Exactement, cher lecteur fictif me murmurant à l'oreille qu'entendre des voix dans ma tête devrait m'inciter à consulter un spécialiste plutôt qu'écrire des articles dont clairement je ne sais pas où ils vont. Ainsi, s'inspirant sans s'en cacher des biens connus (dans le monde du rock indé underground) SXSW d'Austin, Great Espace de Brighton, Left of the Dial de Rotterdam, ou même des habituelles soirées Avant-Garde du Pitchfork Music Festival, prenant place tout autour de Bastille dont au Supersonic, les équipes du concert-bar-club nous ont prévu trois jours de programmation rock indé internationale, quatre salles situées sur le même bloc d'immeuble, et de quoi bien occuper ce début de week-end de l'Ascension.


19h20. Il fait encore parfaitement jour, et c'est un grand ciel bleu qui nous contemple au travers des vitres en plexiglass du Supersonic Club alors que Maruja s'avancent sur scène. De l'aveu même des organisateurs, le plan était de bien commencer les festivités, et de montrer à tout le monde qu'on n'est pas venu beurrer les moules-frites. La venue Maruja était donc le plan parfait, un plan pour venir déboiser à tout va et offrir un concert digne des plus grandes performances que la salle a pu voir passer. Une longue intro à la basse, le batteur s'installe, l'ambiance se crée petit à petit, la musique nous entoure, Joe Caroll monte sur scène avec son saxophone, un regard au chanteur et guitariste Harry Wilkinson, la détente du cuivre est pressée, coup de feu, top départ avec Zeitgeist, Harry hurle déjà, harangue la foule avec un flow hargneux, possédé, le t-shirt tombe, dévoilant le physique de baraque tatouée du mec avec le micro dans les mains. La folie qui s'échappe de la musique de Maruja est dantesque, irréelle, chaque chanson perd le contrôle note après note, la tension grimpe, asticote les neurones, le calme revient, on se sent vide, et puis une autre explosion dans un coin de cerveau. Avec Rage, les coups s'enchaînent, sans rythme précis, on nage, hébété, dans les vagues de post-rock punk et jazzy, on se noie, on remonte, la mer est déchaînée, la mer est calme, la mer monte et descend sans cesse, et nous emporte dans ses va-et-vient. Et puis vient Thunder. On conclura par une chanson dont le nom rend à peine hommage à la tempête qu'elle déchaîne, déclinaison post-rock terrifiante du Blood And Thunder de Mastodon. Il n'est même pas 20h et la foule pogote déjà comme si sa vie en dépendait. « The sky is alive with thunder ». Nous aussi. On se sent lessivés, mais vivants, et prêts à poursuivre une soirée qui, spoiler, ne remontera jamais jusqu'au niveau épique qu'aura su d'entrée imposer Maruja.


20h. L'occasion de découvrir le Café de la Presse, situé à deux ou trois minutes à pied du Supersonic, de l'autre côté de l'immeuble, côté Seine, pour le set de copains australiens bien far away from home, The Grogans. Un set qui sent bon le terroir, le bush, les kangourous, l'iode, les combis en néoprène, et la wax sur les planches de surf. Un set qui commence dans la fumée, mais ce n'est pas ce qui nous empêchera de distinguer avec délectation les casquettes rapiécées et les moustaches fournies de nos trois potes de Melbourne. The Grogans, ou l'enfant très légitime des Beach Boys et du Allman Brothers Band, du blues rock teinté de surf music et de fun, des refrains pop, des paroles de gosse beau du genre « Can't stay I'm goin' surfin' », et un accent parfaitement imbitable pour annoncer que c'est leur première fois in Paris, comme pour beaucoup de groupes de ce festival. La fin du set se fait plus rock, on passe de la Telecaster à la Gibson SG, j'en place une pour les Black Pistol Fire, et franchement c'était cool. De la bonne ambiance et du gros rock entre potes, cinq étoiles sur TripAdvisor.


21h. Retour en Angleterre, terre de post-punk et de gens musicalement très erratiques, c'est parti pour Legss au Supersonic. On croise en rentrant dans le club Max Oliver, le guitariste d'Hotel Lux (le mignon, pour ceux qui étaient au concert du groupe à Petit Bain), pour découvrir quelques minutes plus tard qu'il est aussi le guitariste de Legss, décidément c'est le bon plan. Comme on dit, deux salles deux ambiances, on en revient donc au post-rock, au spoken word, aux dents serrées, aux grincements de guitare, et aux coups de caisse claire placés sur des temps parfaitement indécents. La musique de Legss peut être particulière à appréhender, les lents moments sont faits de post-rock lourd, dépressif, parfois planant, de mots pesants susurrés, déclamés, on pense à Slint, on pense à I Like Trains, et là, badaboum, le truc part en drift sur l'autoroute, c'est parti pour le bordel, c'est parti pour les roulements de caisse à tout va, les riffs de guitare arythmiques, la syncope tellement syncopée qu'elle va nous faire une syncope. What the fuck is doing black midi là-dedans !? Certains apprécieront, d'autres trouveront que la tension en créneau des chansons tend à perdre le spectateur en plein trip inspiré, les goûts et les couleurs, mais évitez quand même de manger de la pâte à modeler si vous voulez les deux en même temps. Les deux derniers singles Landlord et Fester ressortent particulièrement, de par leur puissance évocatrice, de par l'intensité dégagée, et des tensions plus en maîtrise. Le charisme du chanteur Ned Green ressort d'autant plus dans ces instants de grâce, d'émotions libérées, lui qui agite sa silhouette filiforme sur scène dans l'éclat du coucher de soleil, alors même qu'un de ses compatriotes me hurle gentiment toutes les paroles à l'oreille, le karaoké anglais typique.


Les contraintes du calendrier font que l'on doit se presser pour Bo Gritz, le troisième et dernier groupe briton du soir, qui sera aussi l'occasion de découvrir la cave du Seine Café, son bar façon speakeasy en sous-sol, son porte-manteau, ses toilettes, et ses londoniens hurlant en vitrine dans un brouillard de fumée verte. La configuration est assez étriquée, bas de plafond, et la « scène » n'est pas surélevée mais enfoncée dans le mur. Comprenez une sorte d'alcôve de trois mètres de large pour cinq ou six de profondeur, dont on se demande presque s'il n'y a pas une vitre entre nous et le groupe qui joue tant les couleurs et les lumières semblent ne pas communiquer entre le renfoncement scénique et le reste du bar, expérience façon Amsterdam ou vivarium musical, c'est vous qui voyez. Mais parlons maintenant musique, et Bo Gritz est une expérience à part entière dans cet exercice. Une expérience visant à mélanger du noise indus façon Gilla Band à de la techno berlinoise, ça tape, tape, et tape encore comme on rivète une tôle de paquebot, les guitares disquent dans l'aluminium, les hurlements se font sauvages, aussi sauvages que le pogo qui prend place devant le groupe, et attention à ne pas se cogner la tête lorsqu'on commence à surfer sur la foule. Deux mètres cinquante de plafond, le cadre idéal pour sentir la musique de Bo Gritz nous étouffer contre les murs, le mercure grimpe dans le thermomètre, on fond comme dans une aciérie mosellane, et même si l'on n'aura jamais vraiment aperçu le groupe derrière la vague humaine, on se sera bien éclatés, la tête parfaitement vide.


Quelques mètres seulement à faire pour rejoindre de nouveau le Café de la Presse, et voir encore une fois des australiens se la donner grave sur scène. Nouveau changement d'ambiance, ici on vit en communauté avec des fleurs dans les cheveux, on fait consciencieusement son compost et son recyclage, on peint des nus artistiques tout en portant des combinaisons en fibres naturelles de chanvre avant d'aller bêcher le jardin pour y planter du cannabis. Alors je sais, on a déjà ça à Paris et ça s'appelle Montreuil, mais profitons tout de même de l'exotisme australe apporté par Nice Biscuit et ses deux chanteuses, habillées en prêtresses de Gaïa, aux harmonies vocales et aux chorégraphies synchronisées délicieuses. Le reste du groupe, fringué en combis à rayure au design piqué à une housse de couette La Redoute, nous gratifie lui d'un rock psychédélique enfumé, fantasmagorique, avec juste ce qu'il faut de surf music dedans pour nous rappeler que c'est l'océan que l'on entend près de nous, alors que l'on tourne nu autour d'un feu de camp, et que seule la Voie Lactée est au-dessus de nous, sans aucune loi, aucun système capitaliste. Les chansons s'étirent sur de longues minutes, le crossover Iron Butterfly x Beach Boys est parfait, mais le clou du spectacle viendra lors des derniers morceaux. Les guitares s'alourdissent, le trip s'épaissit encore un peu, ça y est on en a trop pris gros, et c'est un stoner trempé dans la purple haze qui nous roule dessus. On pogote, on headbangue, on tripe, tout en même temps, pour un kiff australien nous laissant au réveil sur la plage abandonnée, les yeux hagards, l'esprit encore embrumé, un phoque dans les bras nous léchant le visage avec passion.


Mais trêve de digressions zoophiles marines, et passons d'une côte à une autre, d'un pan d'immeuble à un autre. From Tacoma, Washington, Enumclaw nous font naviguer de la côte australienne jusqu'à la west coast de Seattle pour finalement atterrir au Supersonic, dans un bordel de guitares qui fera dire à certains : « c'était pas très fin, ça m'a rappelé Blur ». Nous tairons le nom de cette personne pour lui éviter l'ire des fans du groupe susmentionné, histoire de nous attarder sur Enumclaw, « le meilleur groupe de rock depuis Oasis », d'après eux. Mais attends, c'est vrai ça !? Rédacteur au bon goût musical indiscutable et indiscuté, serais-je passé sans m'en apercevoir à côté d'un trésor underground américain comme on en voit un tous les vingt ans !? Vais-je enfin pouvoir ranger ce vinyle de Definitely Maybe que je dois changer chaque année tant il passe sur ma platine !? Eh bien rassure-toi, voix dans ma tête, non tu n'es passée à côté de rien, car Enumclaw ne concurrencent Oasis et Blur que dans la capacité phénoménale de leur chanteur à avoir une voix plus agaçante et plus fausse que celles de Liam et Damon réunis. Mais bon c'est une fin de soirée, alors on suit la vague et on saute dans la fosse par nostalgie de cette britpop un peu grungy qui s'écoule des enceintes pour abreuver la foule.

Une conclusion à cette première journée de la Block Party ? C'était bien ! Vous écrivant du futur, pas aussi bien que son lendemain, mais les mancuniens de Maruja auront tout de même rendus cette première soirée inoubliable, et on ne boude pas notre plaisir d'avoir pu profiter de formidables groupes australiens qui ne repasseront sans doute pas de sitôt dans notre douce France.
artistes
    Maruja
    Purrs
    The Grogans
    Baby Cool
    Legss
    Bo Gritz
    Nice Biscuit
    Sloe Noon
    Enumclaw
photos du festival