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Pitchfork Music Festival

Paris, du 6 au 12 novembre 2023

Live-report rédigé par Franck Narquin le 15 novembre 2023

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samedi 11
Previously dans notre série Pitchfork Avant-Garde saison 2023 : Grâce à une reconnaissance préalable du terrain digne de Malotru dans le Bureau des Légendes, le plan mis en place par nos petits reporters n'a connu aucune accroche lors de la première soirée des Avant-Garde. Cinq concerts prévus, cinq concerts vus. Le niveau était d'une telle qualité qu'ils se sont permis de faire la fine bouche devant les expérimentations rafraichissantes de Water From Your Eyes ou l'énergie contagieuse de Fat Dog. On les à même vus un brin déçus que Hagop Tchaparian se contente d'un DJ set plutôt que de leur offrir une performance live. Ils n'ont en revanche rien trouvé à redire sur CUMGIRL8 et Gurriers car, comme Sébastien Tellier, ils aiment aussi l'amour et la violence.

C'est donc parti pour la deuxième soirée Avant-Garde de cette édition 2023. Plutôt que d'aller faire les foufous à l'after du Trabendo, nous nous sommes couchés tôt hier, ce qui nous a permis d'aller à la salle de sport, de faire un tour à Paris-Photo au Grand-Palais Ephémère, de dévorer de délicieux sandwichs japonais chez Sando Club, de faire la bise à Cyrielle Gulacsy qui présente sa première exposition personnelle à la Galerie Bénichou et de relire tout Montesquieu (ndlr : rayez les mentions inutiles). Aussi gourmande que celle du jour 1, la programmation du jour 2 annonce une soirée sous le signe de la furie rock and roll et d'un niveau de décibels au-delà du recommandable. Préparez vos oreilles car « ça va saigner, est-ce que tu piges ? ».


Episode 1 : Lip Critic - 19h30 – 20H00 – Badaboum
Après avoir trainé toute la journée en pilou-pilou devant des séries, on retrouve les copains au Pause-Café à quelques jetées de bières du Badaboum pour assister au premier acte de cette soirée. On se demande encore qui a pu avoir cette étrange idée de programmer si tôt un groupe aussi violent et radical que Lip Critic. Avec deux batteries, un sampler et un chanteur déchainé, les new-yorkais signés chez Partisan Records proposent un dancecore aussi intense que jubilatoire, mais se prendre à froid une telle décharge sonore dans les oreilles revient à se faire une tournée de shots de Jägerbomb au petit déjeuner. Quelques heures plus tard on aurait surement sautillé, slamé ou pogoté avec plaisir au son de Scammer ou The Loan, mais là on a l'impression d'assister sans y être vraiment invité à une rave party avec IDLES et les Beastie Boys.
Le frontman Bret Kaser n'a lui besoin d'aucun temps d'adaptation. Quelques secondes après l'avoir vu papoté tranquillement en bord de Seine, il ne lui a fallu qu'un seul kick de batterie pour se transformer en bête sauvage prête à en découdre à mains nues avec Joe Talbot et Henry Rollins. Roués de coups et KO technique, nous sommes contraints de jeter l'éponge après quelques rounds pour éviter les acouphènes mais surtout la longue queue en train de se former devant le Café de la Danse qui accueille l'attraction du festival, un jeune groupe venu de Londres appelé bar italia. Mais notre histoire avec Lip Critic est loin d'être terminée. On note le nom des new-yorkais sur notre calpin des groupes à suivre et on pensera à faire une préparation digne de Francis Ngannou avant leur prochain concert / combat.

Verdict : Mike Tyson par Ludwig Von 88.


Episode 2 : bar italia - 20h30 à 21h10 – Café de la Danse
Commençons par un petit rappel pour ceux qui auraient loupé le phénomène bar italia. Jusqu'à la sortie en mai dernier de Tracey Denim, leur premier album sur Matador Records, bar italia avaient entretenu le mystère autour du groupe dans la grande tradition des formations de World Music le label de Dean Blunt. Qui étaient-ils, d'où venaient-il ? Aucune information ne filtrait, leur compte Instagram ne comptait que quatre posts énigmatiques et le groupe ne donnait aucune interview. Depuis leur signature chez Matador, ils ont sorti deux albums en six mois, donnent leur troisième concert à Paris en moins d'un an et toute la presse musicale est en extase, peu avare en superlatifs au sujet du groupe et du sublimissime Tracey Denim : « Un classique instantané », « le meilleur album de 1993 », « entre Sonic Youth, My Bloody Valentine et les Cocteau Twins ». Craignant de trop faire l'unanimité, le groupe n'a mis que six mois pour sortir The Twits, disque contenant également son lot de pépites mais bien moins accessibles voire intentionnellement moins aimables.
Pas aimable, c'est le commentaire qui revient le plus après un concert des Anglais et l'on entendra encore ce soir à plusieurs reprises. Le Café de la Danse est plein à craquer et si la billetterie annonce complet c'est en grande partie grâce à leur nom. Contrairement à leurs précédentes venues, les spectateurs connaissent maintenant leurs chansons et le public est prêt à faire la fête au groupe comme un bon chienchien à son maître. Il va vite comprendre qu'avec bar italia ça ne se passe pas comme ça. Pas de light show, pas de « Bonsoir Paris » ni aucune autre interaction avec la foule, de longs blancs entre les morceaux, voici à quoi ressemble chacun des concerts du trio. bar italia cherchent à casser les habitudes du public, le déstabiliser légèrement et s'exonérer des figures imposées pour qu'il ne reste finalement qu'une seule chose à laquelle s'intéresser : leur musique. Au même titre que les fausses notes et les approximations vocales, tout cela est délibéré. Garder la flamme des débuts, refuser de jouer les rocks stars et rester amateur, la démarche du groupe s'avère finalement d'une grande humilité là on beaucoup trouveront ce soir leur attitude hautaine et arrogante. Déstabilisants au début, les blancs imposés entre les chansons finissent par devenir de belles respirations impulsant un rythme étrange au concert. Quelques piliers de bars que le silence doit terroriser ne peuvent s'empêcher de crier quelques mots pour combler le vide. On aura même droit à un consternant « mais souris bordel ! » à l'attention de Nina Cristante. Pas sûr que ce jeune homme aurait pensé à dire la même chose à Nick Cave ou Robert Smith. Dis papa, c'est quoi déjà le patriarcat ? Oh écoute fiston, je t'ai déjà expliqué hier, je ne vais pas tout te répliquer dix fois comme à une gonzesse.

Leur prestation de mai à la Boule Noire nous avait pleinement convaincus mais ce soir, malgré un concert globalement bon, on restera un peu sur notre faim. On identifie deux raisons à cela. La première est la setlist principalement composée de morceaux de The Twits, plus lents et moins accrocheurs que ceux de Tracey Denim. L'effet troublant lié au choc thermique causé par l'attitude froide du groupe et ses chansons brûlantes était beaucoup plus intense avec un show faisant la part belle au précédent LP. La seconde est la durée du set. Il faut du temps pour rentrer dans un concert de bar italia, d'abord comprendre et accepter leur démarche, puis passer le moment de malaise volontaire des deux ou trois premiers titres pour ensuite se laisser aller. En quarante minutes, format festival oblige, on a l'impression que leur concert n'a jamais réellement pris son envol. On entendra même plusieurs « c'était pas loin d'être bien, il manque juste un petit quelque chose ». On ne pourra leur donner complétement tort alors qu'il y a moins de six mois, on sortait de la salle en se disant que c'était franchement génial et qu'on avait adoré ça. Peut-on en conclure que bar italia auraient raté leur coup ? Loin de là, au contraire ils l'ont même atteint avec succès, ne pas être aimable, même par ceux qui les aiment le plus.

Verdict : Mais souris bordel, t'es pas aimable !


Episode 3 : UNIVERSITY - 21h10 à 22h00 – Supersonic
Les enfants prenez vos livres d'algèbre en page 666, exercice 2023. La fin du concert de bar italia au Café de la Danse est prévue à 21h10. Celle du début d'UNIVERSITY au Supersonic aussi. Le Café de la Danse se trouve à dix minutes à pied du Supersonic selon Google Maps. Franck et Laetitia veulent voir les deux concerts en intégralité. Comment vont-ils faire ? C'est simple maîtresse, bar italia ne sont pas du genre à en faire de trop, ils vont sûrement finir avec deux minutes d'avance, et vu l'état des membres d'UNIVERSITY, ils risquent de mettre plus de temps que prévu pour descendre les deux escaliers du Supersonic. On sait que nos reporters sont passés à la salle de sport ce matin, ils sont donc en pleine forme et doivent donc marcher plus vite que Google Maps. En partant pendant les ultimes notes du dernier morceau de bar italia et en marchant au même rythme que Yohann Diniz lors de son titre mondial, ils devraient arriver pile à temps pour entendre le chanteur dire « Bonsoir Paris, we are UNIVERSITY ».
On ne sait pratiquement rien sur UNIVERSITY, la dernière signature de Transgressive Records. Leur premier EP Title Track, sorti le 3 novembre, n'est pas arrivé à la rédaction et le nom du groupe n'apparaît pas encore dans la liste des artistes sur le site du label. Pourtant dès la première écoute de Notre Dame Made Out Of Flesh, la messe est dite, c'est ce groupe qu'on voulait voir aux soirées Avant-Garde. Sans être d'une foudroyante originalité, ce morceau de punk intense, brayard et rentre-dedans dégage une inattendue mélancolie peut être due à ses passages de guitares shoegaze ou à un désespoir et une sensibilité que le chanteur semble tenter de masquer avec ses hurlement rageux. L'esthétique du clip, des noms de chansons tels que History of Iron Maiden pt.2, le son très brut de l'EP qui ravira les fans de Steve Albini, des compositions plus complexes qu'elles ne le laissent entrevoir, l'envie irrépressible de se réécouter Notre Dame Made Out Of Flesh en boucle sont autant d'indices permettant de conclure que ce groupe a du style et un sens inné du cool. Ce dernier dit de se musique « it's like getting punched in the face by a gorilla but then being cuddled afterward ». On ne voulait les rater pour rien au monde, on est là et au premier rang.

Le Supersonic n'affiche pas complet. Il faut dire que le groupe est inconnu, que tout le monde est encore au Café de la Danse et qu'en même temps se produit l'excellent Nourished by Time qui mélange avec délice new-wave et rnb. On pourra donc assister en toute quiétude à la prestation haute en couleur de cette bande de joyeux azimutés qu'on soupçonne d'être ce soir sous l'influence de puissants psychotropes. A la basse, nous avons un grand dadais avec une énorme chapka ours en peluche, ses chaussures posées devant ses pédales de distorsion et des chaussettes trouées au pied. On m'avait glissé le nom de son sosie officiel, mais l'ayant oublié, imaginez Gaston Lagaffe en bassiste d'un groupe de punk et vous ne serez pas loin du compte. A la batterie, un jeune chevelu à qui on donnerait tout au plus seize ans tape comme un sourd sur ses caisses. A la guitare et au chant, un petit lad typiquement anglais le cheveu ras et le t-shirt oversized semblant avoir des sérieux problème pour contrôler les mouvements de sa mâchoire nous régalera pendant tout le set d'innombrables et impressionnantes séquences de tapping, technique de guitare popularisée par des groupes de hard rock comme Van Halen, AC/DC ou Metallica. Mais celui qui retient l'attention de tous est un quatrième énergumène, vêtu de noir de la tête au pied, avec haut de survêtement McDonalds, casquette KFC et cagoule intégrale. Son rôle ? Se tenir debout et immobile entre les morceaux et tenir des feuille A4 sur lesquelles sont écrites au stylo bille les titres de chaque chanson. Le reste du temps, il est assis au milieu de la scène et joue à des jeux vidéo sur son ordinateur. On vous l'avait dit, UNIVERSITY ont le sens inné du cool. Ils ont aussi un son, de bonnes chansons et les interprètent avec une urgence et une implication qui fait plaisir à voir. On connaissait déjà les formidables Gurriers, CUMGIRL8 et bar italia, UNIVERSITY est donc pour nous la grande révélation de ces deux soirées.

Verdict : Filez vite écouter Notre Dame Made Out Of Flesh d'UNIVERSITY !


Episode 4 : Militarie Gun - 22h30 à 23h10 – Supersonic
On termine ce festival avec Militarie Gun, groupe de hardcore californien dont le premier album Life Under The Gun a reçu un accueil critique des plus élogieux. Le groupe revendique autant l'influence de Fugazi et Born Against que de Guided by Voices et des Beatles. De bien beaux noms, mais à l'écoute on pense plutôt à NOFX et The Presidents Of The United States Of America et plus généralement à toute la scène de rock hardcore mélodique locale, de Blink-182 à Offspring. Il y a un public pour ça mais que j'associe toujours aux étudiants américains décérébrés qu'on voit dans l'édifiant documentaire sur Woodstock 99. Quand on voit le NME titrer que le groupe est l'avant-garde de la nouvelle vague radicale du hardcore, on se dit qu'on n'a pas dû écouter le même album.

Pas convaincu par leur disque, on se dit qu'il faut toujours donner sa chance à un groupe en live. Quand les membres du groupe montent sur scène, on est encore loin d'être ébahis par leur charisme tant ils ressemblent à l'image qu'on se fait de leurs fans. Le public du Supersonic ne semble pas être du même avis que nous car la salle est blindée et on sent les kids chauffés à bloc. Au bout de trente secondes démarre un énorme pogo qui ne prendra fin que cinquante minutes plus tard. On vient de dire tour le mal qu'on pensait de Militarie Gun, on va maintenant en dire toute le bien. Le groupe dégage une impressionnante énergie et la communion avec le public se fait presque instantanément. Ils livreront un généreux set de vingt morceaux et dépasseront largement l'heure de fin prévue. Dans la fosse il fallait être attentif car le public n'arrête pas de monter sur scène pour slammer et en live leurs titres paraissent nettement plus consistants. Ils nous offriront même une reprise dantesque de Don't Want To Know If You Are Lonely de Hüsker Dü. On sortira de leur set en sueur et le sourire aux lèvres. On y allait à reculons mais à la fin il aura fallu nous sortir de la salle !

Verdict : California Über Alles

Il est maintenant l'heure de filer au Trabendo pour l'aftershow dont on pourra dire qu'il était vraiment très chaud ! Le millésime 2023 des soirées Avant-Garde du Pitchfork Music Festival aura été d'un excellent niveau et on terminera juste par notre petit top 3 personnel constitué de Gurriers, CUMGIRL8 et UNIVERSITY avant de vous dire à l'année prochaine !
artistes
    bar italia
    Bingo Fury
    Deki Alem
    Dumb Buoys Fishing Club
    Ethel
    French Paper Art Club
    Girl and Girl
    Hemlocke Springs
    KhakiKid
    Kid Apollo
    Lana Lubany
    Lip Critic
    Lutalo
    Mercury
    Militarie Gun
    Nourished By Time
    Poison Anna
    Sophie May
    Tsugi Radio
    University
    Venbee