Hier simples mises en bouche, les soirées Pitchfork Avant-Garde sont devenues depuis trois ans le véritable point d’orgue du festival. Les meilleurs labels indépendants (4AD, Matador, Domino, Transgressive Records...) y présentent leurs plus belles pépites, pour la plupart quasi inconnues, mais dont certaines s’imposeront de toute évidence comme les headliners de demain. Wet Leg, Yard Act, Nia Archives, Gabriels, Jeshi ou floweroflove s’y sont produits pour leurs premiers concerts parisiens. Vous connaissez désormais la formule, deux soirées (vendredi et samedi pour pouvoir se la coller comme si on était Patrick Eudeline ou Kavinsky), en mode prise de la Bastille, avec des concerts répartis dans sept salles (l’atelier Basfroi s’ajoutant cette année aux habituels Supersonic, Badaboum et consorts), une vingtaine de groupes par soir, du rock, du rap, de la soul, de l’électro, parfois même un peu de tout ça en même temps, et toujours de belles découvertes.
Pour partir de chez soi en ayant le sentiment que ce soir sera une bonne nuit et qu’on verra à coup sûr les meilleurs groupes (mazel tov !), une petite préparation demeure indispensable. Face à la time-table très serrée, à la distance entre certaines salles (le trajet Basfroi-Supersonic, c’est sympa tu verras, mais mets tes baskets), aux jauges restreintes et à une offre hétérogène, hétéroclite mais jamais hétéronormée (quoique la programmation 2023 était plus cuir que queer), nous appliquons consciencieusement notre petite routine consistant à tout écouter pendant une semaine pour détecter les combos les plus chauds, définir un parcours ambitieux mais réaliste qui nous évitera de louper la moitié du concert de bar italia comme ces faquins des Inrocks (propos 100% fact-checkés) et en cas de coup dur, griller discrètement quelques queues pour ne rien rater des propositions musicales les plus exaltantes qui nous seront offertes.
La soirée du vendredi s’annonçait sonique avec le post-punk survolté des Irlandais Gurriers, la pop brutaliste des Américains Water From Your Eyes, le punk no-wave du combo féministe new-yorkais CUMGIRL8, le rock décadent de Fat Dog, dernière sensation venue de Londres, et l’électro rugueuse et dansante de l’anglais Hagop Tchaparian, petit protégé de Four Tet. On voulait du gros son bien saturé, des pogos déchainés et sortir couvert de sueur, de sang et de bière, c’est donc en toute logique que nous passâmes pratiquement toute la soirée au Supersonic, le bar préféré de ceux qui aiment les guitares et se coucher tard et qui fait presque office d’oasis dans le paysage du rock-gratuit parisien.
Episode 1 : Gurriers - 20h00 à 20h40 – Supersonic
Depuis qu’elle a trouvé sa fontaine de jouvence, la scène post-punk irlandaise ne cesse de produire des groupes plus emballants les uns que les autres qui débarquent désormais à Paris avec la même assurance que leurs rugbymen quelques semaines auparavant. Deux jours plus tôt sur le terrain du YOYO - Palais de Tokyo, les belfastois d’Enola Gay ont tout simplement terrassé Sleaford Mods, formation anglaise pourtant aussi musclée qu’expérimentée. Leur guitariste Joe McVeigh arborait d’ailleurs un t-shirt Gurriers (empruntant la typo iconique de The Warriors le film culte de Walter Hill sur les gangs new-yorkais des années 70). Les gars sont là, ils sont bons et ils sont solidaires. Rien ne semble pouvoir arrêter ces Irlandais et pourtant malgré un set impeccable, la star des deux soirées sera un grand gaillard vêtu de noir de la tête aux pieds (« That it's all just a little bit of History repeating »).
Ouvrant à vingt heures la soirée du Supersonic, Gurriers entament leur concert devant un public clairsemé. En bons professionnels de la profession, toute la team Sound of Violence est sur place en avance afin de synchroniser nos montres et ajuster les derniers détails qui nous permettrons de réaliser le coup parfait comme dans Ocean Eleven. Malheureusement aucun rédacteur ne ressemble à Brad Pitt chez nous. Il faudra attendre plus de vingt minutes pour que la salle commence à se remplir, le temps que les étourdis, les touristes et les faquins aient le temps de faire l’aller-retour jusqu’au 23 rue Basfroi pour échanger leur ticket Dice contre un petit bracelet en papier dont la couleur détermine votre rang dans le music business.
Nullement décontenancés, « one, two, three, four », Gurriers attaquent pied au plancher avec le single
Nausea, bondissant et éructant comme s’ils faisaient face à une foule en délire. Le temps d’enchainer cinq titres à l’efficacité redoutable, la salle est enfin prête à s’enflammer sur
Sign Of The Times, qui débute comme du Yard Act pour finir en IDLES. Premiers pogos, premiers slams, le festival est lancé ! On s’étonnait de l’heure de passage de Irlandais, c’était en fait une excellente idée, les programmateurs donnant ainsi le mot d’ordre de la soirée : pas le temps de niaiser, ce soir vous allez kiffer.
Verdict : Gurriers remportent vaillamment la première bataille de Biscornet.
Episode 2 : Water From Your Eyes – 20h20 à 21h00 – Supersonic Records
Il en faut un dans chaque édition du festival. L’année dernière le rôle était tenu par Mandy, Indiana, cette année c’est à
Water From Your Eyes, duo d’art-pop bruitiste originaire de Chicago et basé à Brooklyn, véritable chouchou du magazine Pitchfork, que revient le titre d’ovni du festival à l’univers décalé qui doit diviser le public en deux camps irréconciliables, avec d’un côté ceux qui louent leur inventivité formelle et leur non-conformisme et de l’autre ceux qui s’indignent devant cette copie brouillonne et cette prestation flirtant avec le ridicule. On prévoit des schismes, des fins d’amitiés, peut-être même des enfants qui ne naîtrons jamais à cause de cette soirée, mais en général, tout le monde sort de la salle avec pour seul commentaire « c’était pas mal », le sens de cette phrase s’inversant en fonction du mouvement de la bouche, les premiers l’accompagnant d’un sourire franc et les seconds d’une moue dubitative.
En héritiers d’Alain Juppé et appliquant sa devise « la modération est la vraie radicalité » (début de phrase ironique mais maxime qui prendra peut-être tout son sens le soir d’une glaçante finale Mélanchon-Le Pen), on va tenter de nuancer notre avis sur un groupe à l’univers complexe ayant sorti six albums, dont on a découvert l’existence il y a quinze jours et dont on a écouté une petite demi-heure de concert. Bienvenue dans la séquence « avis à l’emporte-pièce ». Si Water From Your Eyes sortait tout juste d’école d’art et n’avait qu’un album au compteur, on parlerait d’un groupe prometteur osant toutes les expérimentations possibles mais à la signature sonore encore floue, et dont les nombreuses influences sont encore trop présentes et son décalage arty finalement un peu attendu. Après six albums, le constat se doit d’être un peu plus sévère, Cette petite pose de branchés arrogants mal dégrossie demeure charmante jusqu’à vingt-cinq ans, après il est d’usage de se forger sa propre personnalité. Les membres du groupe semblent en permanence vouloir nous dire qu’ils ont écouté Ween, Stereolab, John Zorn et ont surement mille autres références très pointues dont Francis Bacon et Rothko. Sympa, mais le pendant anglais de ce groupe américain s’appelle Jockstrap et fait tout pareil qu’eux, mais infiniment mieux.
Verdict : Pas mal.
Episode 3 : CUMGIRL8 – 21h10 à 22h00 – Supersonic
Elles nous viennent de Manhattan, elles sont quatre, elles sont jeunes, elles sont sexy, elles sont talentueuses, elles sont farouchement engagées dans la lutte contre le patriarcat et le capitalisme, elles s’inscrivent dans la lignée du mouvement Riot grrrl porté dans les années 90 par des groupes comme L7 ou Bikini Kill, mais aussi de la no-wave new-yorkaise des 80´s de Lydia Lunch ou bien encore de l’electroclash du début du siècle de Chicks on Speed et Peaches. Elles intègrent les codes du porno, les poussant à l’extrême pour dénoncer le male-gaze et revendiquer le droit de disposer de leurs corps, leur musique est parfois qualifié de post-punk flashy, elles ont bien digéré tous les codes musicaux, vestimentaires, politiques et artistiques des luttes féministes des quarante dernières années. Comme Superman elles portent par-dessus leurs vêtements des petites culottes sur lesquelles elles ont écrit à la main leur nom, elles sont prêtes à mettre le Supersonic à genou grâce à leur évident charisme et un set maîtrisé laissant néanmoins la place à l’improvisation, elles ont tous les yeux sur elles, Mesdames, Messieurs, merci d’accueillir par un tonnerre d’applaudissements...
CUMGIRL8 !
Verdict : Michel Drucker et Julien Leppers like this.
Episode 4 : Fat Dog – 22h30 à 23h10 – Supersonic
Dis Papa c’est quoi la centralisation du pouvoir et la culture du patriarcat ? Eh bien tu vas en avoir un bel exemple ce soir mon petit Adonis. Les irlandais de Gurriers sont un des groupes de post-punk les plus excitants du moment doublés de sacrés bêtes de scène, CUMGIRL8 sont quant à elles le combo féministe le plus chaud de la planète et leur dernier EP s’avère être une sacrée réussite, pourtant la tête d’affiche du soir est dévolue aux garçons de
Fat Dog, la dernière hype venue de la capitale anglaise qui n’ont sorti qu’un seul titre loin d’être de la trempe de
Chaise Longue, debut-single valant à lui seul une tête d’affiche.
Pour protester contre ce scandale, on est allés papoter avec nos copains de la presse musicale parisienne et draguer des petites nanas qui ont l’âge d’être nos filles. Ahaha, lol, tkt c’était pour golri, on a bien suivi tout le concert, c’était punchy et parfait pour un festival. En revanche cet empilement de références multi-genres exécuté de manière un peu bourrine (la comparaison avec Enola Gay fait mal) et le manque de charisme du groupe (la comparaison avec Gurriers et CUMGIRL8 fait mal aussi), fait que trois jours après leur performance, on n'en a déjà plus grand souvenir. On nous avait vendu un chien aussi dangereux que Baxter, on a plutôt eu l’impression que Milou avait mal digéré sa pâtée.
Verdict : Fat Dog Slim
Episode 5 : Hagop Tchaparian - 23h30 – 01h00 – POPUP!
Hagop Tchaparian, ancien guitariste d’un groupe de punk puis collaborateur de Four Tet, a sorti l’année dernière sur Text Records, le label de ce dernier, un des tous meilleurs albums de musique électronique de 2022. Abrupte, agressive mais irrésistiblement dansante, sa musique fait la part belle à ses racines arméniennes. Si son premier LP
Bolts ne l’a pas propulsé tout en haut de l’affiche, c’est pourtant la place qu’il occupe ce soir, programmé en dernière position à 23h30 au POPUP!. Il aura fallu jouer des coudes, être malins, séduire des videurs aussi fermes qu’un plan d’austérité dessiné dans les coursives des salons bruxellois, mais l’équipe de Sound of Violence est bien présente à l’heure et au premier rang. Laetitia est armée de son appareil photo dernier cri, dont le prix ferait rougir de honte Audrey Pulvar, votre serviteur garde son fidèle stylo bic en poche, on a juste perdu Adonis encore scotché au bar du « supergintonic » et Fabrice lors de notre passage au stand galette-saucisse.
Dans un espace-temps à mi-chemin entre le festival et son after au Trabendo (si vous cherchez le lien entre l’agence Super!, le Pitchfork Music Festival Paris et le Trabendo, vous tomberez sur le nom de Julien Catalan, bien positionné dans le classement de ceux qui pèsent dans la musique indépendante à Paris), Hagop Tchaparian livre un DJ set tendu a souhait, alternant ambiances sombres, montées extatiques et drop jouissifs pour le plus grand plaisir d’une foule venue débuter sa nuit de danse endiablée. Pour être honnête, on aurait préféré une performance live qui aurait été plus en phase avec l’esprit de cette soirée Avant-Garde, mais comme pour ce premier soir on avait décidé de faire l’impasse sur l’after pour être frais comme des gardons le jour 2, on a écouté nos gambettes et nos postérieurs qui ne demandaient qu’à se trémousser sans avoir à se coucher à cinq heures du matin.
Verdict : Last night a dj saved my life
A suivre !