logo SOV

Demob Happy
Al Costelloe

Paris, Boule Noire - 6 octobre 2023

Live-report par Adonis Didier

Bookmark and Share
Quand, pour certains, il est enfin l'heure de fermer le PC du boulot et d'ouvrir les premières bouteilles du week-end, d'autres se réveillent, émergent tels des vampires terrés dans leur cave humide, pointant un œil encore torve au dehors de leur abri aux premiers rougeoiements du soleil couchant : vous les aimez, vous les détestez, ce sont bien eux, les rock critics !
Toute cette encre numérique pour dire qu'on est vendredi soir, oui le rock critic s'ennuie un peu dans la file, alors il se fait des potes en chemin, il prend ses premières notes pour remplir le vide de son existence, et descend les escaliers qui mènent sous le plancher de la Cigale, dans l'atmosphère bas de plafond de la salle de la Boule Noire, vite remplie par la voix évanescente et duveteuse de la plus si jeune Alice Costelloe (oui, le rock critic est naturellement sympathique).


Alice Costelloe, nom de scène Al Costelloe, figure précédemment connue au sein du duo pop-rock Big Deal, et auteure en cette année 2023 de son premier EP en solo, So Neurotic, quatre titres de pop douce et brillante évoquant dans un style similaire une artiste comme Fenne Lily. Une dernière ce soir en compagnie de Demob Happy, compagnons de route et de van de tournée au sens propre, une dernière présentant Al Costelloe comme un trio scénique, Alice étant complémentée par un bassiste et un batteur alors que les premières ballades pop et dream pop déroulent dans notre esprit des visions de champs de fleurs et de plaines balayées par le vent. On ferme les yeux, on se laisse doucement bercer par les vagues : Shrink's Couch, California, The Other Side... Les chansons s'enchaînent pour faire monter notre niveau d'endorphines, avant qu'Alice ne branche la disto pour les deux dernières, le son Big Deal sur les compositions d'Al Costelloe, et So Neurotic qui clôt avec plaisir une première partie maîtrisée, à l'image des premières productions studio de la capitaine à bord. Peut-être même trop, tant l'instant plaisant ne restera pas forcément gravé aussi longtemps qu'escompté dans nos mémoires vagabondes, et l'on espérera d'Alice Costelloe plus d'intensité et de prises de risque à l'avenir, elle dont la musique parfois trop lisse tend à s'effacer comme les rides de l'eau touchée par le feuillage libertin de l'automne.


De ces envolées lyriques entre romantisme et sensualité, Demob Happy n'en retiendront que le stupre, et rentrent en scène à trois (plus l'ex-bassiste d'Al Costelloe venu faire le touche-à-tout) dans des tenues laissant la vertu sur le banc, Adam Godfrey avec sa combinaison en velours noir et rouge accordée à sa guitare, et Matthew Marcantonio en veste de costume sans rien en-dessous, le poil de torse apparent derrière sa basse sans doute hommage à ses origines italiennes, et on s'arrêtera là pour les blagues sur les italiens (j'ai des amis dans les Pouilles, j'ai le droit). Un trio stoner-pop pas venu faire dans la dentelle, il faut dire que leur musique est aussi aguicheuse que la pilosité faciale de leur frontman, alors forcément quand Voodoo Science ouvre le bal, c'est plutôt le centre de la fosse qui s'ouvre. Attention cette chronique promet d'être aussi bordélique que le public ici présent. Run Baby Run déboule dès la troisième chanson, roulement de batterie, et un pogo final qui préfigure l'indiscipline général des fans les plus hardcore d'un groupe encore assez confidentiel, mais disposant d'une solide fanbase construite au fur et à mesure de quinze années d'existence et trois albums sortis. Trois albums, un dernier bien meilleur que les autres croisant Queens Of The Stone Age, David Bowie et les Daft Punk, et heureusement pour elle la setlist ne s'y trompe pas. La lourde et sensuelle Token Appreciation Society voit l'apparition de deux jeunes choristes dont les improvisations en danse synchronisée nous ferons taper quelques bonnes barres, l'atmosphère s'électrise, les bourdonnements de basse défilent d'une oreille à l'autre, Matthew nous avoue que Paris est une de leurs villes préférées (décidément on nous l'avait jamais faite celle-là), avant de demander au Michel des lumières de baisser l'éclairage. « Let's make it sexy », déclare le sosie officiel de Jésus, avant que n'arrive le moment que l'on attendait tous, la meilleure chanson (avis personnel mais que vous devriez partager si vous avez du goût) de ce dernier album Divine Machines, Super-Fluid. Quatre minutes de riffs chaloupés et de refrains grandiloquents piquées au meilleur de Josh Homme, un public de jeunes aficionados en adoration, un final en accéléré pour relancer les coups d'épaules transpirantes, on a ce qu'on voulait voir ce soir, dans une Boule Noire qui, si elle ne laisse pas franchement éclater la mégalomanie du son de Demob Happy, a le mérite de le compresser au maximum façon mare de béton dans la gueule.


Même les chansons plus limitées et répétitives de l'album se subliment par un tabassage sonore enfumé recouvert de lumières de strip-show, comprenez Earth Mover, Tear It Down, et le légendaire drop de basse de Muscular Reflex, déjà un classique du combo coupure sonore / éboulement de vacarme à même de faire tomber la Tour Eiffel. She's As Happy As A Man Can Be permet à Matthew de passer au piano pour se prendre pour David Bowie, dans ce qui s'apparente à un délicieux moment de restauration physique et d'apaisement émotionnel. Une variation appréciable tant la musique de Demob Happy peut avoir tendance à se répéter, une variation qui marquera aussi la dernière respiration du soir. Succubus s'ouvre sur une montée bordélique au possible de Thomas Armstrong à la batterie, nous voilà partis pour trois minutes et trente secondes de pogo. L'air initialement pédant et hautain de Matthew Marcantonio se mue chanson après chanson en sourires sincères, de là à dire que les gars nous ont l'air sympathiques il n'y a désormais plus qu'un pas, mais encore faudrait-il avoir la force de faire ce pas après s'être fracassé quelques côtes dans l'enchaînement final Less Is More, Autoportrait et Be Your Man, dernier titre relancé autant de fois qu'il le faudra pour qu'on finisse de perdre nos dents dans la bataille, le pogo en question réussissant presque l'exploit d'être plus indiscipliné et dangereux que l'expérience Viagra Boys vécue durant l'été !

Le trio reviendra offrir son dernier single, Sweet & Sour America, en rappel pour clore une soirée agitée, si agitée qu'il y a maintenant trois mètres de libre entre la fosse des chahuteurs et le public venu passer une soirée tranquille à écouter de la musique. Quid de l'expérience de ces gens-là, bonne question, en tout cas vous êtes maintenant prévenus, Demob Happy est un groupe potentiellement clivant, dont les mimiques scéniques et les attitudes ne plairont pas à tout le monde, au spectre de réception musicale allant de putassière à délicieusement sexy selon vos goûts en la matière, mais qui sait, une fois sur scène, sublimer son répertoire pour enflammer les plus bas instincts de son auditoire, et transformer une fosse en orgie de bruit et de sueur.
setlist
    AL COSTELLOE
    Non disponible

    DEMOB HAPPY
    Voodoo Science
    Loosen It
    Run Baby Run
    Token Appreciation Society
    Mother Machine
    Super-Fluid
    Earth Mover
    Muscular Reflex
    She's As Happy As A Man Can Be
    Tear It Down
    Succubus
    Dead Dreamers
    Less Is More
    Autoportrait
    Be Your Man
    ---
    Sweet & Sour America
photos du concert
    Du même artiste