Ma mère disait toujours « les concerts c'est comme une boite de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber ». Et parce qu'elle était assez bavarde, ma mère ajoutait en général « alors y a les pralinés, la valeur sûre, les noirs à la cerise ou à la menthe que personne ne va toucher sauf ta grand-mère, et puis il y a ceux au caramel. Ceux-là, ils ne sont pas pour tout le monde. Il y en a qui te diront que c'est trop, que le caramel est trop sucré, que le chocolat essaye juste de se faire remarquer, et c'est sûr qu'il essaye de se faire remarquer. Mais laisse-moi te dire que le fourré au caramel, là, le petit tout orange à l'intérieur, il n'y a que lui qui vaut quelque chose dans l'irish coffee ! ».

Un mois et demi après les fêtes, il est donc temps de ressortir la boîte aux concerts, le Paddy, l'arabica, et la chantilly, et puisque le café irlandais est toujours meilleur au caramel, c'est double ration de rousseur sucrée pour la table 4 ce soir ! Premier bonbon de la soirée,
Mickey Callisto s'offre à nous sur scène dans son emballage traditionnel du ch'nord, le survet' Nike à casquette. Le ch'nord de l'Angleterre, mais l'histoire ne dit pas qui de Liverpool ou de l'œuf donna le premier naissance à la réincarnation couleur carotte de George Michael. Ecoutez
Destructive Love et jurez-moi que ce'est pas George Michael qui a ressuscité sous un faux nom en voyant que les années 80 revenaient à la mode !
Des années 80 qui reviennent à la mode et tout court sur scène, quand Mickey Callisto nous fait la complète salade-tomate-oignon de l'époque avec voix réverbérée, synthés de l'espace, piano joueur et mutin glissant œillade sur œillade à une boîte à rythmes en bleu de travail sans rien en-dessous, le genre de boîte à rythmes qui sort de son trois-huit à l'usine pour faire la nuit au Secteur X, et si vous sachez vous sachez. Et sachez que s'il y en a un qui sache, c'est bien le troisième Mickey le plus célèbre de l'univers après Mickey Mouse et Mickey 3D, Mickey Callisto pris d'une folle envie d'Elton John, seul au piano sur
Slave To The Man seul toujours mais avec ses instruments enregistrées dans sa chambre sur la « subtile »
Homospace, finissant torse nu par sa meilleure imitation de Freddie Mercury dans
Supernova. Et si le délire avait tout pour faire l'effet musical d'un kouign amman glaçage dragibus arc-en-ciel trempé dans le sirop d'érable, il ne tint qu'au talent scénique de Mickey Callisto de transformer l'affaire en une parfaite chaudière de salle, tant sans retenue il danse, se claque le cul, fait chanter le public avec lui, et emporte même involontairement les plus snobs et mesurés d'entre nous dans son univers, très loin tout là-haut, là où les étoiles explosent pour devenir des nébuleuses de barbe à papa rose azur.

Le plus snob d'entre nous ce soir, c'est probablement moi (enfin non, c'est la photographe, mais je vais m'arrêter là sinon plus personne voudra venir avec moi voir beabadoobee), vu l'engouement général et comment personne ou presque ici ne dépasse les vingt-cinq ans. Un classique public de cette nouvelle génération d'artistes assumant plus qu'ouvertement leur être queer et LGBT, donnant à toute une partie de la population une représentativité bienvenue et d'autres types de modèles avec lesquels grandir. Pas une surprise si des artistes comme Chappell Roan ou notre bon Mickey Callisto s'inspirent autant des eighties, cette époque où tous les mecs se baladaient en mini-short et portaient des boucles d'oreille (même si ça ne se disait pas encore, mais on sachait). S'il y a par contre un genre qu'on n'aurait pas de suite associé au mouvement c'est bien la country, mais que voulez-vous, Beyoncé et Taylor Swift sont passées par là, et c'est alors qu'il est 21h et que cet article est déjà trois fois trop long que s'avance devant un Trabendo complet la Beyoncé irlandaise, la Taylor Swift arrosée au whiskey coca de Dunboyne : Ciara Mary-Alice Thompson, mieux connue sous les initiales de
CMAT.
Première information du soir, CMAT se prononce « si-mat ». Deuxième information du soir, le dress code sera composé de l'ensemble chemise blanche, cravate bleue, shorty en jean, et santiags. Troisième et dernière information du soir, CMAT est bien la plus américaine de toutes les irlandaises restées au pays. La frange au carré, les lunettes de soleil en plein jour et les bagouzes sur les dents, si ce n'est pour le roux flashy miroitant de la lumière des spotlights, on aurait misé un rein et deux twix que Ciara était née à Nashville ou en Californie. Les deux premières chansons du set passent, et déjà la botte se lève indécemment par-dessus la culotte, déjà les initiales CMAT s'illuminent en néons colorés au plafond, déjà le public chante chaque chanson le cœur remonté dans la gorge comme s'il les avait écrites. Et du public il va vite y avoir un besoin urgent, alors que le groupe s'effondre au milieu de
I Don't Really Care For You, terrassé par l'imparable fièvre du dimanche soir, et que CMAT se relève seule avec la mission de relancer les cœurs et les chœurs.
Chance et coïncidence, wiou wiou l'ambulance sexy était déjà sur place, et un numéro de danse plus tard l'ambiance s'envole pour ne plus redescendre. Ciara demande où sont ses homosexuels, le clavier et la guitare se roulent des patins en pleine chanson,
Whatever's Inconvenience nous fait retomber en amour, et puis plus, et puis encore, et puis plus, et puis encore, car on est fou, fou d'amour pour celle qui se coupa un jour les cheveux pour ressembler à
Vincent Kompany. L'occasion de rappeler aux belges qui est champion du monde de football, mais surtout de se lancer dans les anecdotes en tout genre sur la vie de la plus parisiano-américaine des divas irlandaises. De longs passages complices avec son public à base de « mon français est très mauvais mais mon derrière est super », de levé de jupe, de déclaration d'amour parait-il non-réciproque aux parisiens (pas de l'avis de ceux présents ce soir en tout cas), et d'histoires toutes plus improbables les unes que les autres, incluant un Dublin-Paris pour se rendre sans ticket au concert hommage à Jane Birkin, et un futur album écrit en partie dans le Marais en mangeant du Comté à quatre heures du matin, Comté offert directement sur scène par sa fromagère officielle.
Un futur album incluant le fantastique dernier single en date
Aw, Shoot!, et parce que kiss kiss bang bang voilà CMAT décédée sur le baffle de basse, un drapeau irlandais sur le corps, qui se relève parce que ce n'est pas la mort qui nous empêchera de chanter et de danser avec
Have Fun!. Le piano sautille, claque des cordes et tape dans ses touches, Ciara et son claviériste dansent en duo avant de langoureusement galocher le même microphone pour le final
Where Are Your Kids Tonight?. Une question vite répondue, ils sont au concert de CMAT, ils en redemandent, et parce que les français aiment selon elle les trucs sérieux et dépressifs, voici
Such A Miranda et
Rent en solo acoustique, pendant que tous les irlandais de la salle sont bourrés et que le néon CMAT s'affiche en vert, blanc, et orange, hurlant qu'il veut devenir un cowboy, baby !
I Wanna Be A Cowboy, Baby! est chanté par la salle en dansant le two-step de la ville de Dunboyne, Ciara laisse quelques refrains a capella à la foule, présente l'intégralité du groupe avec des bruits de « sexy moyens de transport » avant trente secondes de solo chacun, et d'étirer jusqu'au bout de la nuit alors que les fans jettent leur soutiens-gorge sur scène pour une chanson de rêves et de chevauchées laissant place à la vraie dernière du soir :
Stay For Something.
Rester pour quelque chose, même si c'est l'heure de partir, rester pour les Vengaboys dans la sono et dans les veines, le plus grand cauchemar de l'agent de sécurité venu dégager tout ce petit monde encore à danser sur la piste. Parce que des soirées comme ça on n'a pas envie que ça se finisse, qu'on en reprendrait bien 364 autres par an, et parce que CMAT est déjà une immense artiste avec un cœur encore plus grand, apportant sa pierre queer, diva, et fantasque à la révolution country du millénaire, envoyant valser les attendus à coups d'éperons arc-en-ciel dans les couilles. Une grande dame qui, quoi qu'elle en pense, est désormais à Paris comme chez elle. Tenez madame, voici les clés de la ville, une ville lumière dont aucune ne brille autant que les dents de Ciara Mary-Alice Thompson, et comme disait ma mère, « Paris, c'est comme une boîte de chocolats ». Oui, ma mère aimait beaucoup le chocolat.