Porij

Porij, quatuor de Manchester formé en 2019 sur les bancs du Royal Northern College of Music et composé de Scout Moore aka Egg (chant, claviers), James Middleton (basse), Jacob Maguire (guitare) et Nathan Carroll (batterie) souffre d'un triple mal. Le groupe a été catalogué dès son premier single I Like That comme hype, sceau de l'infamie pour certains, tout en restant extrêmement confidentiel et en échappant à toute catégorisation. La presse anglaise parle d'eux comme d'une formation alt-pop, voire art-pop aux influences UK garage, rave, indie, house et new wave. Deux cas de figure sont alors envisageables, le pire, une indigeste bouillie multi genres, un peu partout mais jamais nulle part où le meilleur, un brillant hors-piste libre et rétif à toute étiquette. Après trois EPs aussi éclectiques qu'inégaux, Breakfast en 2020, Babyface en 2021 et Outlines en 2022, desquels surnagent quelles belles pépites telles que Lose Our Minds, Your Love ou Can't Stop, les mancuniens sortent enfin chez [PIAS] leur premier album intitulé Teething, produit par David Wrench (Jungle, FKA Twigs, The XX). Une question nous taraude, Porij vont-ils enfin quitter la table du petit-déjeuner pour s'installer à celle des grands ?

Les quatre anglais dans le vent annoncent d'entrée la couleur, « You don't stand a fucking chance, so let's dance ! », et frappent un grand coup avec Marmite qui alterne couplets mélancoliques et refrain UK Garage avec une impressionnante maestria. Unpredictable parvient lui aussi à atteindre ce parfait équilibre pop-dance tout en insufflant des beats drum'n'bass qu'on retrouvera ensuite sur Stranger porté par son délicat piano et Sweet Risk par la voix douce et aérienne aux tonalités rnb d'Egg, qu'on pourrait voir ici comme une cousine indie et un brin austère de Nia Archives. Porij réduisent alors le rythme mais pas la qualité avec Don't Talk To Me à la voix haut perché et aux boucles électroniques qui raviront les fans d'Everything But The Girl. Ce début d'album sans faute laisse présage un grand disque sur lequel le quatuor pourrait atteindre les sommets déjà entrevus sur ses premiers EP et se débarrasser de sa tendance à se saborder et se vautrer dans les mornes plaines avec des titres sans reliefs. On commençait à sérieusement y croire, à les imaginer tenant le Mercury Prize, puis soudain, c'est le drame ! Nettement moins tranchants et originaux sur les pistes les plus downtempo, Porij nous perdent et Teething sombre dans la monotonie avec des titres dispensables tels que Endlessly Waiting, My Only Love, Ghost ou Slow Down.

Heureusement, le groupe parvient à se reprendre grâce à Gutter Punch, bel uppercut aux accents trip-hop qui évolue dans un registre qu'on n'avait pas encore entendu jusque-là de la part de Porij. Mais c'est You Should Know Me, titre le plus radicalement club, porté par un kick bien lourd et métronomique, des couplets susurrés et un refrain rave franchement jouissif, qui nous séduit le plus et s'impose comme une des plus éclatantes réussites du disque. Celui-ci fait presque regretter que les anglais n'aient pas plus exploré leur versant dancefloor et festif sur cet album.
Avec deux bangers (Marmite et You Should Know Me), cinq très bons titres et quatre purges, on ne sait s'il faut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Ceux qui découvrent Porij au gré de Teething y verront surement une proposition musicale des plus originales bien que pas tout à fait aboutie, ceux qui comme nous les voyaient déjà comme les grands successeurs de The xx ne pourront s'empêcher de ressentir une certaine frustration. Amusez-vous à compiler les meilleurs titres de cet album avec les plus brillants des trois premiers EPs du groupe et vous obtiendrez l'équivalent d'un petit chef d'œuvre.

A trop vouloir bien faire, à trop se soucier d'être toujours élégants et délicats, à trop vouloir marcher tels des équilibristes sur une corde à la lisière de la pop et de la dance, Porij donnent l'impression d'avoir laissé le frein à main, empêchant leur bouillonnante inventivité de s'exprimer pleinement tout au long de l'album. On espère que cela n'est pas dû à une simple stratégie commerciale, car si leurs deux seuls titres ayant rencontré un petit succès étaient les assez plats Nobody Scared et 150, la substantifique moelle du groupe se trouve ailleurs, dans cette capacité à produire des titres mutants, étranges mais sublimes.

Si Porij veulent devenir grands, ils vont devoir laisser sortir définitivement la bête car on a qu'une seule envie, celle de l'entendre crier fort, très fort !