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La Route du Rock

Saint-Malo, - 14 août 2010

Live-report rédigé par François Freundlich le 17 août 2010

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samedi 14
La Route du Rock se fait pluvieuse en ce samedi, très pluvieuse même. Des cordes se sont abattues toute la matinée et on pense déjà à l’état du fort en se rendant au Palais du Grand Large dans Saint-Malo intra-muros. Le début d’après-midi est humide et douloureux après une soirée de vendredi dantesque. La conférence de Christophe Brault dans la rotonde du Palais se trouve être un refuge idéal. On se trouve une petite place pour écouter le professeur en musicologie égrener les vingt dernières années du rock en faisant des parallèles avec les groupes passés dans le festival. Le style est humoristique lorsque le professeur commence à chantonner du Blur ou du Natacha Atlas (quoi ?) et très académique (grand 1, le grunge, petit B le breakbeat). Quoiqu'il en soit, je ne me suis pas endormi durant ce cours comme à une certaine époque.

Mais l’après-midi s’écoule et l’heure est venue de rejoindre l’auditorium du palais pour DM Stith. En s’installant dans de confortables sièges, on se dit qu'il va être difficile de résister à la sieste, notamment parce que l’américain se fait attendre. Au bout de trente minutes, on nous annonce qu’il est retenu dans les embouteillages près du fort... concert annulé ! A la question « jouera-t-il plus tard ? », la réponse est non, mais l’avenir nous prouvera le contraire.
On attend ainsi Hope Sandoval, proche de l'annulation également, ce qui explique peut-être son retard d’un bon quart d’heure. Mais la princesse fait bien son apparition sur la scène du Palais. Accompagné par ses musiciens de The Warm Inventions, l’américaine se cache dans la pénombre laissée à l’avant d’un écran géant diffusant des vidéos psychédéliques. Elle ne veut pas être vue, craignant peut-être qu’un visage si parfait ne distraie trop l’auditeur d’une musique nécessitant une écoute attentive. Assis dans les premiers rangs, il est tout de même possible de distinguer la grâce naturelle qui se dégage d’elle, surtout quand ses bras s’agitent sur son xylophone. Sa douce voix à la fois mielleuse et profonde semble venir de très loin pour s’échapper sans que l'on ait le temps d’en saisir toutes les variations. Si l'on peut la trouver trop maniérée, le public est lui exalté et véritablement sous le charme. Les musiciens se lancent dans de longues périodes instrumentales de riffs électriques et psychédéliques accompagnés par le xylophone de Hope dont on entre-aperçoit le vertigineux profil. Des instants hors du temps entre douceur et rage laissant les pupilles dilatées.
Hope Sandoval s’éclipse, toujours accompagnée d’un chevalier pour s’assurer qu’elle ne se perd pas. On espère secrètement la revoir avec Massive Attack dans la soirée, tout en sachant que son caractère est aussi changeant que le temps malouin en période de grandes marées...

Retour sur terre, retour à la terre, voire à la boue puisque le site du Fort de Saint-Père est dans un piteux état. La pluie tombe encore à mon arrivée pour le concert de Martina Topley-Bird. Il convient d’enjamber les flaques de boue même si le site peut encore être traversé sur un sol à peu près meuble. Tout de rouge vêtue avec sa longue robe, on se demande d’abord si Martina ne vient pas de se marier en cachette dans un champ environnant. Mariage pluvieux mais voix chaleureuse pour nous réchauffer un peu. Le concert est minimaliste puisqu’elle reste pendant plusieurs morceaux seule sur scène avec un clavier ou un marimba.
Elle susurre tout en douceur sur un fond de gouttelettes s’écoulant dans les flaques. Ce n’est qu’arrivée à la dernière chanson qu’elle sort sa guitare électrique, comme pour mieux se rebeller contre les éléments. On aurait aimé que cela se produise plus tôt car la pluie s’arrête pour ne plus revenir de la soirée... d'autant plus que cette chanson s'avère être la meilleure du set. Le concert aurait pu être sympathique mais l’environnement l’a gâché, même si les applaudissements ont été nombreux : à revoir dans d’autres conditions plus acceptables. Avec cette unique prestation entachée par la pluie, on peut s’estimer chanceux, en comparaison avec d’autres éditions plus critiques comme celle de 2004 avec Blonde Redhead.

The Hundred In The Hands est le prochain groupe à jouer sur la scène du fort. Le duo de Brooklyn propose un électro-pop plutôt calibré FM qui peut rappeler The Ting Tings avec un coté déraillé à la The Kills. Le rythme est très dance, ajouté à une guitare aux sonorités punk et une voix rappelant Gwen Stefani. On pourrait donc penser que le duo cherche à séduire facilement les foules, le déhanché de Eleanore Everdell ne laissant pas forcément indifférent. Malgré tout, on trouve ici une intensité convaincante et de la subtilité permettant de dépasser le cap du simple remuage de faciès. Dés que l’on arrête de s’amuser à éclabousser la boue en dansant et que l’on écoute d’une manière plus attentive, on trouve quelques passages lumineux pour donner un peu de profondeur aux compositions. Bien sûr, la simplicité dans la boîte à rythme nous ramène vite à la réalité et le duo gagnerait à s'entourer d’une vraie section rythmique. Le groupe correspondait en tout cas parfaitement au désir général de vouloir se réchauffer, reste à savoir si la confirmation viendra dans un concert en salle...

Heureusement, un groupe qui a confirmé depuis longtemps le bien que l’on pense de lui débarque : les anglais de Foals. On les avait laissés sur leur dernière tournée durant laquelle, comme Caribou auparavant, ils donnaient l’impression de jouer entre eux, tournés les uns vers les autres, mais avec une énergie folle. Avec leur nouvel album Total Life Forever, on les sent plus tournés vers le public et plus posés qu’auparavant. Cela ne les empêche pas d’offrir un son démentiel dés les premières notes. La chanson éponyme au dernier album ouvre le concert tandis que Yanis Philippakis annonce « an old song » qui n’est autre que Cassius. L’urgence de ce titre devenu un classique secoue immédiatement les genoux de tout amateur de rock anglais qui se respecte. Le groupe alterne nouvelles et anciennes chansons même si The French Open ou Hummer sont délaissées au profit d’un enchainement plus calme en milieu de concert. After Glow, Alabaster et Spanish Sahara permettent de percevoir Foals autrement que comme le tourbillon math-rock bien connu. La voix de Yannis se fait plus présente quand les syllabes trainent en longueur, laissant transparaître une certaine sensibilité.
La peur était de ne pas suivre le groupe dans ce virage penchant plus du coté de la ballade est oubliée car le concert ne perd pas en rythme. Bien au contraire, il gagne en épaisseur et le groupe qu’on connaissait pressé, comme s'il lui fallait à tout prix communiquer le plus possible au public, se fait plus posé. Foals repart de plus belle sur la fin du concert avec des chansons plus anciennes comme l’entrainante Red Socks Pugie, une bonne transition vers des mouvements plus cadencés. Two Steps, Twice clôture le concert en apothéose pour une prestation impeccable qui a remué ciel et terre. Foals fait bien partie de la cour des grands groupes.

On se rapproche au plus près de la scène pour la tête d’affiche de cette 20ème édition de la Route du Rock : Massive Attack. Le matériel déployé est impressionnant, des bandes lumineuses en écran LED parcourent le fond de scène et vont diffuser des messages ou des vidéos durant tout le concert. Sur l’avant scène se déploient les micros des invités qui vont interpréter les nombreux tubes du groupe mythique du trip-hop britannique. United Snakes ouvre le bal et introduit le son froid et les basses bourdonnantes qui se prolongeront pendant tout le set. Martina Topley-Bird réapparait sur la scène du fort pour interpréter Babel, extrait du récent Heligoland. L'anglaise a la lourde tâche de succéder à la sublime Liz Fraser (Cocteau Twins), précédente voix Massive Attack capable de nous laisser systématiquement groggy. Le pari est plutôt réussi puisque la rondeur de la voix de Martina tranche avec la profonde froideur des sons électroniques du groupe. Les anciens albums occupent encore une place importante dans la setlist puisque 3D s’avance seul pour interpréter Risingson, extrait de Mezzanine. Horace Andy, le jamaïcain à la voix de fausset si particulière qu’elle en est intemporelle, vient à son tour chanter une version sombre et inquiétante de Girl I Love You. Derrière lui, des chiffres apparaissent sur les écrans énumérant certaines données comme le nombre de litres de pétrole déversés chaque jour dans le Golfe du Mexique.
Durant tout le concert, des extraits de phrases en français sont affichées derrière le groupe. Certaines n’ont pas de signification particulière, d’autres reprennent des faits d’actualité récents. On ira de la news people aux fameux beignets de courgettes nord-coréens de Sarkozy. On pourra également lire des citations comme celle de Aung San Suu Kyi : « La peur n’est pas l’élément naturel de l’homme civilisé ». Future Proof, extrait du superbe 100th Window, raisonne dans le fort avec un 3D livrant le coté le plus sombre de sa voix. Cette chanson ramène a des visions apocalyptiques d’un monde qui s’effondre sur lui même.

Martina Topley-Bird entame alors une très belle version de Teardrop, même si celle-ci souffre de la comparaison avec Liz Fraser, interprète initiale. On retrouve le géant Daddy G à l’avant de la scène, accompagné de 3D, pour une inquiétante version de Mezzanine. Le duo à la base de Massive Attack est toujours présent pour nous ramener à ce son qui a marqué de sa froide empreinte la fin des années 90. On est ravi d’entendre des extraits de Mezzanine encore et toujours puisque Horace Andy harangue la foule avec Angel, tandis que Inertia Creeps achève de faire exploser ce qu'il nous reste de gorge.
On se demandait à qui appartenait le dernier micro sur la droite de la scène en espérant secrètement que Hope Sandoval viennent interpréter le magnifique dernier single, Paradise Circus. Il n’en est rien, et Hope, malgré sa présence à Saint-Malo, n’apparaîtra pas ce soir, peut-être de peur d’être prise en photographie. C’est Deborah Miller, la diva soul de Massive Attack devant l’eternel, qui vient interpréter le fameux Safe From Harm. Son « but if you hurt what's mine » surpuissant agit comme une rafale d’un vent que même Saint-Malo ne connaissait pas. Cette chanson d’ouverture de leur premier album reste magique du haut de ses vingt ans. Pour le rappel, tous les interprètes reviennent pour une version dynamitée de Atlas Air, avec Horace Andy, Martina Topley-Bird, Deborah Miller, Daddy G et 3D. Les claviers psychédéliques se mélangent à la voix de Horace Andy pour clôturer un show à la hauteur de l’événement. Massive Attack n’a pas nuit à sa réputation et reste au sommet de son art.

Après ce moment mémorable de la soirée, on se dit qu’il ne reste plus qu’à dérouler de petits concerts sympathiques pour la finir. Mais une surprise nous attend à coté de la tente des DJ Magnetic Friends (qui ont encore réjoui nos oreilles entre les concerts cette année). DM Stith, que l’on croyait perdu et ivre au bar PMU de Châteauneuf-d’Ille-et-Vilaine, est finalement arrivé à bon port et satisfait les rares spectateurs présents, en solo avec sa guitare acoustique. Une gueule d’ange et une voix qui va avec pour de belles mélodies folk à l’intensité rare. Le mini showcase est très court et les fans qui l’ont attendu si patiemment au Palais du Grand Large n’ont pas été prévenus. On espère qu’il repassera dans de meilleures conditions.
C’est l’heure du moment rock FM dansant de la Route du Rock. Le moment Franz Ferdinand, le moment Maxïmo Park, le moment Radio4. Les nord-irlandais de Two Door Cinema Club sont là pour prouver que la jeunesse sait toujours faire raisonner The Irish Pop de part le monde. Les guitares sont fraiches, le tempo est rapide, les tubes évidents s’enchaînent. Bien sûr, on a l’impression de réécouter des versions live des chansons identiques à celles de leur très bon album, mais le moment est venu de danser sans vraiment réfléchir. Ça se lâche dans les rangs après en avoir pris plein les yeux et les oreilles pendant Massive Attack.
Petites mélodies guillerettes avec Something Good Can Work, ou guitares dérivantes avec Undercover Martyn, ça s’imprime dans le cerveau comme un tampon sur le poignet un soir de concert. Come Back Home permet au public de constater que la voix fonctionne toujours correctement avec ses woohoo suivi d’un jump immédiat et collectif. Two Door Cinema Club est encore un groupe de gamins qui ne payent pas de mine mais savent faire danser les filles... et c’est bien là le point crucial.
On oublie la pluie et les galères d’un festival embourbé pour se laisser embarquer vers Belfast (ou la météo n’est certes pas meilleure). Quand la dernière chanson est annoncée, je ne peux m’empêcher de laisser échapper un « ha ho ha ha ho » précurseur avant que I Can Talk, la chanson phare du groupe, ne clôture le set. Le refrain est redoutablement accrocheur et le remue-ménage inévitable. Cette chanson, c’est l’été à elle toute seule, même sans soleil. Les Two Door Cinema Club ont apporté ce qu’il nous fallait ce soir.
Pour terminer la journée, les anglais de We Have Band sont venus présenter les chansons extraites de leur premier album, alors qu’ils tournent sans cesse depuis deux ans. Malheureusement, celles-ci ne semble pas à la hauteur de ce qu’ils présentaient auparavant, notamment lors des Transmusicales. Le trio est devenu quatuor, tout de blanc vêtu, et la chanteuse Dede teste un look radicalement caniche royal. Le groupe reste en surface dans une musique électro plate qui ne nous embarque plus très loin, en tout cas beaucoup moins qu’un Caribou. Le public quitte le site en vague, laissant quelques récalcitrants se dépatouiller avec les anglais.

Au final, une deuxième journée plus inégale et marquée par la boue et la pluie en ce samedi. Massive Attack a surélevé le fort dans les nuages (sans renverser l’eau) tandis que Foals a livré une prestation des plus excitantes. On a pu danser un peu, voire beaucoup, avec Two Door Cinema Club et The Hundred In The Hands, en attendant le troisième et dernier jour avec impatience.
artistes
    We Have Band
    Two Door Cinema Club
    Massive Attack
    Foals
    The Hundred In The Hands
    Martina Topley-Bird
    Hope Sandoval & The Warm Inventions
    Lonesome French Cowboy
    Ethel