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Eurockéennes

Belfort, du 29 juin au 1er juillet 2012

Live-report rédigé par François Freundlich le 4 juillet 2012

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On ressent toujours un sentiment particulier lorsque l’on revient sur les lieux de son premier festival, ses premiers concerts. Ce grand événement Belfortin que le fidèle public attend toute l’année pour s’amuser à ciel ouvert est de retour sur la presqu’île du Malsaucy et au camping de l’aérodrome de Chaux. On a vu les Eurockéennes sous la canicule ou dans la boue : un festival est toujours plus compliqué avec des conditions climatiques difficiles. Pour cette 24ème édition, on aura la canicule, la boue mais aussi de fabuleux concerts. C’est parti pour trois jours à Belfort !

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La chaleur est au rendez-vous de ce vendredi après-midi où l’on arrive tranquillement sur la presqu’île pour un accueil convivial. Un premier groupe tremplin a le bonheur de monter sur la magnifique scène de La Plage pour ouvrir le bal. Les alsaciens de Los Disidentes Del Sucio Motel ont déjà une petite réputation du côté de Strasbourg où ils écument les clubs. Dès le début du set, le festival se lance dans le rock incisif à corps perdu. La petite troupe emballe les guitares lourdes d’un stoner à la Queens Of The Stone Age et d’une section rythmique saccadée aux accents de System Of A Down. Pendant ce temps, un ranger que l’on nommera Chuck observe le public en parcourant la scène, coiffé de son chapeau et armé de son fusil, comme s'il surveillait la frontière du Nouveau Mexique en interpellant le public : hilarant. L’entrée en matière est réussie, on admire le lac éclairé par une belle lumière en remuant la tête.

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La tension s’apprête à monter d’un cran sur la scène Green Room avec l’arrivée du Palestino Californien Hanni El Khatib. Ce petit fils métis d’Elvis empoigne négligemment sa guitare pour en dégager toute sa substance blues rock. Véritable pile électrique, il parcourt de part en part la verte esplanade et fait chavirer les jeunes filles avec ses poses suggestives. Un troisième musicien s’est ajouté au line-up depuis son passage enflammé aux Transmusicales de Rennes en décembre dernier : il ajoute une seconde guitare ou des touches de claviers à la rythmique déchainée d’un batteur furieux. Les riffs imparables d’Hanni El Khatib sont délivrés en boucle et entrecoupés de pauses poussant au jump et à la danse inévitable. De sa voix au blues évident en mode « That's All Right (Mama) », il enchaine les tubes de son album dans des versions distendues aux tempos relevés, à l’image de la malicieuse Fuck It You Win et son effet éraillé. On est sous le charme d’une version délicieusement rétro de Dead Wrong avec ses chœurs et sa voix toute en reverb. Hanni El Khatib lance parfaitement la soirée, supplantant la chaleur ambiante avec ses assauts torrides.

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Après la ferveur pour cette entame de festival, le jeu se calme quelque peu pour le début de soirée. On retourne sur le sable de la plage comme on y retournera toujours avec plaisir pendant ces trois jours. Le chanteur de country américain Hank Williams III s’y élance, accompagné de son groupe à chapeau, violons, contrebasse et banjo. Nous voilà donc dans le désert depuis assez longtemps, trois concerts pour être précis, avec du sable brûlant sous les semelles pour renforcer l’idée. Hank Williams troisième du nom est fils et petit fils de stars de la country. Une ambiance de rodéo se crée autour de ce groupe de cow-boys donnant presque l'envie de s’écrier « Hi ! Ha ! ». Il ne manque que le jeune veau. Alors que l’on s’habituait à une certaine monotonie avec cette voix monocorde et des chansons répétitives, la surprise vient subitement de la basse accompagnée de quelques riffs électriques bien placés. Celle-ci prend des allures plus lourdes au fur et à mesure du concert. On comprend mieux la dénomination de country-métal qui leur était attribuée. Malgré le coté lassant de la musique country, cette particularité les rend tout à fait originaux. Mais il est temps de traverser l’Atlantique pour se retrouver en Afrique.

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L’effervescence est palpable sur la scène Green Room où l’attraction de cette journée va avoir lieu. On entend déjà les « Bertrand ! Bertrand ! » dans les travées, alors qu’Amadou & Mariam et leur groupe sont à peine entrés en scène. Une silhouette connue apparaît en dernier : c’est bien Bertrand Cantat, ex-leader de Noir Désir, qui les accompagnera pendant la majorité du concert. L’émotion est palpable chez les fans : quel plaisir de le revoir ici, exactement dix ans après ce fabuleux concerts sur la Grande Scène des Eurockéennes 2002. Il salue la foule qui l’acclame chaleureusement, avec un large sourire. Le duo malien s’en trouve presque éclipsé par le chanteur qui s’installe en choriste à droite de la scène. L’African Blues d’Amadou & Mariam résonne alors qu’Amadou use de sa guitare en or avec une certaine classe. Mariam est quand à elle plus en retrait, on ne l’entend pas vraiment, au point de se questionner sur sa présence.
La voix de Bertrand Cantat se fait subitement entendre sous les cris de la foule. Elle n’a rien perdu de sa verve, de sa force, de sa subtilité ni de sa prestance écorchée. Lui même n’a pas changé. On le sent s’amuser comme un gamin le sourire aux lèvres, comme une renaissance, comme elle vient. Sa joie de se produire à nouveau en concert est palpable. C’est effectivement sa première fois durant un concert complet après quelques brèves apparitions avec Eiffel ou Shaka Ponk. Lorsqu’il saisit son harmonica, on pense bien sûr à Veuillez Rendre l’Âme. Déclamant de toute son âme ces paroles simplistes, il parvient à les transporter. Étrangeté de voir l’un des plus grands poètes de la chanson française limité à des chœurs en boucle sur le titre C’est Pas Facile. Comme un pied de nez au cliché de musique de mariage qu’ils peuvent représenter, Amadou et Mariam ne joueront pas leurs succès, leurs préférant les dernières compositions plus complexes et plus rock. Le concert n’en est que plus plaisant et on se laisse entrainer par ce blues malien rythmé par des percussions, malgré un son particulièrement mauvais pour ce concert. Les discours d’Amadou entre les concerts se font difficilement entendre, hormi lorsqu'il demande au public ce qu’il pense de l’argent. On n’osera pas lui demander à quel niveau. L’échange entre les cultures rock et africaine atteint son paroxysme sur Oh Amadou durant lequel Bertrand Cantat lâche sa voix sur le refrain après qu’Amadou eut déclamé les couplets. Le concert se termine sur une reprise de Whole Lotta Love de Led Zepelin alors que Bertrand Cantat s’empare du micro en se lançant à l’avant de la scène, pour chanter seul en enflammant la foule d’un poing levé. Les fans sont en délire, ce moment de partage, son moment, restera comme le point d’orgue de cette journée.

Après cet instant rare à sauter avec Bertrand, on se dirige quelque peu hagard vers la Grande Scène. Le groupe Dionysos est de retour après avoir joué au camping en 1998, avec une jambe dans le plâtre en 2000 et avoir eu les honneurs de la Grande Scène en 2003. Toujours menés par la mini batterie rechargeable Mathias Malzieu, la jolie Babet et la guitare de Michaël Ponton, ils sont accompagnés de deux danseuses sexy en robe rouge. Si les nouvelles chansons sont bien moins inspirées avec, par exemple, un Cloudman peu entrainant, on se consolera avec l’excellente Coccinelle extraite de l’album phare Haïku. Cette variation de guitare nous fait enfin remuer jusqu’à ce que le morceau soit remixé avec Smells Like Teen Spirit... ce qui la gâchera au final. La Métamorphose de Mister Chat est accueillie avec peu d’ardeur lorsque le public est supposé crier le fameux « Ta gueule le chat ! ». On abandonne finalement Dionysos sur l’ennuyeuse Tais Toi Mon Cœur pour y revenir un peu plus tard alors que Mathias Malzieu entame son traditionnel slam jusqu’au milieu de la fosse sur un riff de guitare joué en boucle. Se force-t-il à le faire étant donné la réputation qu’il a acquise ? On aimerait lui dire de ne pas se mettre dans ces états car il en revient presque dans le coma, ne pouvant plus marcher mais se rechargeant très vite. On aurait préféré entendre quelques pépites de leurs anciens albums plutôt que cette débauche d’énergie inutile. Seuls quelques secondes du titre Wet concluront l’affaire : dommage.

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Pendant ce temps, l’anglais Michael Kiwanuka se produit dans une ambiance magique de soleil-couchant sur la Plage, avec un style plus posé. Sa voix soul, douce et profonde rappelle Ray Charles, qui aurait eu envie de s’énerver en jouant avec deux batteries derrière lui. On s’enivre tout autant de ces merveilleuses guitares folk que de cette vue sur le lac au crépuscule de soir d’été.
Nos oreilles se voient offrir un retour aux sources de la Soul Motown, porté par toute la classe de ce chanteur à la voix rare. On se détend et on aurait presque envie de mettre les pieds dans le sable ou dans l’eau. Son titre Tell Me A Tale séduit complètement ceux qui ne l’étaient pas encore. Le backing-band est plus nombreux que lors de ses dernières apparitions avec une rythmique doublée bien plus présente malgré une face électrique masquée. La partie folk est quand à elle mise en avant dans ces adaptations live de son album. On est séduit par la prestation qui restera certainement comme la meilleure de cette journée. Les Eurockéeennes nous ont offert une « Route du Rock », soit le concert parfait, au moment parfait, dans le lieu parfait.

On continue dans notre élan britannique avec les popeux de The Kooks, déjà en train d’enflammer la scène Green Room. Ces habitués des festivals d’été français sont par conséquent forcés de se renouveler, sans quoi leur public qui les voit souvent risque de se lasser, d'autant plus que l’indie pop facile du groupe de Brighton n’évolue pas dans une variété extraordinaire. On assiste au final toujours à ce même concert de The Kooks, avec des tubes efficaces pour faire danser les filles et mettre en alerte les garçons. On a parfois l’impression que les mêmes accords sont utilisés en les interchangeant d’une chanson à l’autre. Mais qu’importe, Sofa Song reste un morceau imparable, surtout dans cette adaptation rock. Lors d’une entracte de milieu de show, le jeune séducteur Luke Pritchard interprète seul en acoustique Jackie Big Tits ainsi que la très belle Seaside et ses mimiques amusantes. Cette dernière aurait été plus adaptée à la scène de la Plage mais l'eau n'est pas si éloignée.
On remarque que The Kooks ont pris quelques années d’expérience depuis la fraicheur juvénile de leur premier album : son adaptation live se démarque par sa maîtrise. Ils proposent un set plutôt carré et sans trop de débordements, tout à fait fidèle aux versions studio, et en cela réside peut-être le problème. Les tubes Ooh La et Always Where I Need To Be avec cette voix qui déraille dans les aigües, ne sont pas oubliés et se voient repris en chœur par les jeunes filles. Avec ce dernier titre ainsi que Do You Wanna, le groupe tangue bien plus du coté du tube radiophonique mais Inside In/Inside Out reste un album réussi, surtout avec ces versions live assez inspirées.

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You want to go to the Seaside to see The Mars Volta. Les américains vont ce soir proposer un concert plutôt calme alors que l’on attendait de leur part un défouloir chargé en électricité. La voix de Cedric Bixler-Zavala est néanmoins parfaite, reconnaissable entre mille. Elle est de ce fait bien mise en avant de guitares parfois discrètes, une batterie masquant ces dernières. Bien entendu, quelques fulgurances enflamment subitement le set mais on retombe souvent dans une certaine torpeur.
La face free-jazz de The Mars Volta ressort bien plus qu’à leurs débuts dans ce concert parfois à la limite de l’ennui. Ou sont donc passé les hymnes progressifs et psychédéliques de l’album Frances The Mute ? Même The Widow est oubliée et manque cruellement pour démarrer la machine. Le set est plutôt inégal et tout n’est bien sûr pas expérimental. Omar nous gratifie de ses mouvements de pantin désarticulé sur les morceaux les plus énervés, danses qui seront contagieuses auprès du public. Ce son de guitare vif et tortueux si particulier et propre aux ex - futurs - At The Drive-In est tout de même réjouissant et on se laisse largement emporter. Au final, The Mars Volta auront été parfois trop entre eux et pas assez avec leur public.

Un détour par la Grande Scène s’impose, afin d’apercevoir la fin du concert d’Hubert-Félix Thiéfaine. Le rockeur interprète à cet instant La Ruelle des Morts, titre correspondant bien aux cadavres de festivaliers achevés par les différentes substances et jonchant le sol du haut de la butte qui mène à la scène. La voix est sombre, enveloppante et surtout d’une force assez marquante. Elle rappelle le grand Alain Bashung. Thiéfaine est bien plus dans le rock français aux textes interpellant que dans la chanson française. Ces mêmes textes donnent réellement envie de les relire à l’image d' Alligators 427 et son ambiance inquiétante et torturée. Le rappel proposera le succès de son premier album, La Fille du Coupeur de Joints, repris en chœur par ses fans, nombreux dans l’assistance. Une prestation qui aura donné envie d’en savoir plus sur ce rockeur caché de la scène française.

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Passé minuit, on passe dans une ambiance électro avec C2C qui enflamment la Green Room avec des mixes hip-hop à la Birdy Nam Nam. On leur préfèrera Christine à la Loggia, scène que l’on visite finalement alors que la soirée est presque terminée. Le jump est de rigueur avec des mixes plus rock influencés par Daft Punk ou DJ Shadow.

C’est le phénomène Shaka Ponk qui se voit chargé de conclure la soirée sur la Grande Scène alors que la foule est présente en nombre pour les attendre. Attiré la réputation scénique de ce groupe qui en studio, sombre plutôt dans la soupe à boite à rythme asthmatique pour radios commerciales, nous voilà dans l’attente d’être démenti. Le moins que l’on puisse dire est que Shaka Ponk ne donnent pas dans la retenue. Ils lâchent les chevaux et font exploser l’écurie : écrans avec visuels animés d’un goût douteux, lumière stroboscopiques permanente, guitares toutes en puissance et rapidité. Le terme exact serait donc “à fond, à fond à fond“.
Le show part tellement dans tous les sens qu’on est étonné qu’ils n’ajoutent pas des éléphants jongleurs pour en faire toujours plus. Les chansons, quant à elles, se ressemblent toutes énormément, d'autant plus que la subtilité qui pourrait les différencier, n’existe pour ainsi dire pas. Ils fusionnent à peu près tous les styles musicaux : pop, rock, reggae, électro, funk, hip-hop et en ressortent une bouillie sonore à peine audible.
Bien sûr le duo vocal fait le spectacle à l’avant de la scène et les voix sont efficaces malgré leur consensualité et les effets qui les uniformisent. Shaka Ponk est un groupe qui veut tout faire en même temps, pour un résultat chaotique. Ils seront rejoints sur scène en fin de concert par Bertrand Cantat sur le titre Palabra Mi Amor, fortement influencé par Noir Désir. Dans l’incompréhension face à ce groupe, on se réjouit de découvrir une chanson qui en impose, surtout avec cette voix qui sort enfin du lot commun.

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Pour terminer la soirée, on passe par la scène de la plage où Factory Floor remuent les derniers amateurs d’électro avec des beats futuristes et un lightshow qui se perd dans la nuit. Le tempo est des plus rapide, leur son agressif termine de nous ravager les oreilles et le cerveau avant une rentrée au camping qui s’annonce périlleuse. Certains titres deviennent subitement plus posés, révélant une façade cold wave précédemment imperceptible.
Les synthés sont redoutables et provoquent des mouvements incontrôlables, même après une première journée riche en émotion. Une batterie ajoute une rythmique organique tandis que les meilleurs moments seront accompagnés par la voix grave et féminine de la ravissante Nik (Nico ?) Colk et par une guitare noise, parfois maniée à l’archet. La soirée se termine en beauté alors que la température est encore à la chaleur sur les Eurockéennes.

Cette première journée aura livré son lot de bonnes et moins bonnes prestations. On restera sur le charme de celle de Michael Kiwanuka et des instants tant attendus passés avec Bertrand Cantat pendant le concert d’Amadou & Mariam. Hanni El Khatib et The Mars Volta nous ont eux aussi proposé de bons moments tandis que Factory Floor ont fini de nous convaincre.
artistes
    Dionysos
    Gentleman
    Hubert-Félix Thiéfaine
    Shaka Ponk
    Amadou & Mariam
    C2C
    Hanni El Khatib
    The Kooks
    Factory Floor
    Hank Williams III
    Los Disidentes Del Sucio Motel
    Michael Kiwanuka
    The Mars Volta
    Art District
    Christine
    Hollie Cook
    Näo