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La Route du Rock

Saint-Malo, du 10 au 12 août 2012

Live-report rédigé par François Freundlich le 15 août 2012

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Le festival incontournable du mois d'août proposait pour sa 22ème édition une affiche réunissant ce qui se fait de mieux dans les musiques indépendantes actuelles. On l'attend chaque année pendant des mois en rêvant de ces enchainements parfaits de groupes qui tournent en boucle sur nos platines. La programmation de cette année est donc à la hauteur de nos attentes. Sous le soleil de Saint-Malo, nos espérances ont été comblées : pop is not dead and rock'n'roll is here to stay. Du moins on l'espère.

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Après une séance de natation sous un soleil de plomb, nous rejoignons la plage de Bon Secours pour nous sécher la peau au son du premier concert de la journée : le français Don Niño. L'échappé du collectif NLF3 accueille des festivaliers installés dans des relax ou sur le sable, avec sa pop électrique et radieuse. En parfaite résonance avec Stephen Malkmus qui se produira dimanche, le trio protégé par ses lunettes de soleil ajoute un psychédélisme piquant à la chaleur ambiante. A l'avant d'un apparent rythme nonchalant, des divagations synthétiques perturbent les guitares cool à l'écho de dauphin. Le relâchement laid-back peut s'exciter à tout moment même si la voix reste sereine et intense. Les influences folk de ses livraisons studio ne transparaissent que très peu pour laisser place à des vagues électriques qui pourraient se révéler dangereuses si la mer et El Niño n'étaient pas à distance raisonnable. Cette entrée en matière collait parfaitement à l'ambiance de cet après-midi malouine, c'est avec un goût de vacances dans les sens que nous reprenons la route vers le fort de Saint-Père-Marc-en-Poulet.

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Les journées du festival s'ouvrent cette année avec des concerts sur la scène de la Tour, plus grande et moins cheap qu'en 2011. C'est une vraie petite scène qui accueille le duo français Yeti Lane et son électro pop multicouches. Perdus au milieu des nombreux synthés qui remplissent l'espace, les yetis font évoluer blips en boucle et nappes planantes sur de longs instrumentaux, avant que la voix aigüe et lointaine ne vienne s'y mêler. Pour rester dans les noms d'animaux, ce chant mêlé à une guitare malicieuse et distordue rappelle les récentes performances de Tame Impala. Mais le yeti est-il un animal ? Les compositions n'ont pas toutes l'évidence de ces derniers et se perdent parfois dans des longueurs visant à faire évoluer lentement des morceaux que l'on aurait plutôt imaginés exploser à certains moments. Yeti Lane achève son set sans nous extraire d'une certaine torpeur, même si celle-ci fût rythmée par des rêveries expérimentales krautrock. Le duo tente parfois de se rapprocher de la finesse de Air sans parvenir à marquer les esprits. Qu'importe, nous sommes dans le bain et nous déplaçons vers la grande scène pour un groupe anglais bien connu.

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Il est rare de voir un groupe si attendu ouvrir la grande scène de la Route du Rock, et pourtant les fans aux visages maquillés ou aux doigts formant un triangle trépignent d'impatience au premier rang pour la sensation Alt-J. Le quatuor arbore un look de l'extrême entre short de bain à fleur, chemise à palmiers et casquette de touriste à l'effigie de Paris. On oublie vite ces détails lorsque leur musique se fait entendre avec la même introduction que sur leur excellent premier album. Le contre temps de Tessellate chaloupe nos épaules sur cette rythmique calmée par une voix fredonnée, chanté et parlée. Elle nous fait penser aux meilleurs moments des multiples concerts de Why? sur cette même scène. Le public ne manque pas de reprendre « Let's Tessellate » sur des silences et reprises diablement efficaces. Les quelques notes de piano toujours bien placées accompagnent les montées dans les aigües du matador moustachu Joe Newman, même si les chansons sont très similaires aux versions studio.
On n'en demande pas plus à un groupe qui débute, surtout avec de si bonnes compositions ayant toutes un potentiel de tube. Vient alors le moment que beaucoup attendait avec impatience : Matilda, certainement l'une des chansons de l'année, jouée en version ralentie comme pour faire durer le plaisir. Inspirée d'un mélange improbable entre le Léon de Luc Besson et le titre The Wrote & The Writ de Johnny Flynn, qui sera d'ailleurs joué à la guitare en outro, on retrouve toute la profondeur d'un morceau encore plus intense en live. Breezeblocks est parsemé de xylophones délicieux tandis que les « Please don't go I love you so » se répètent à l'infini dans le ciel bleu du fort. En guise de rappel, Taro, dédiée aux photographes de guerre Robert Capa et Gerda Taro, voit l'organe nasillard de Newman prendre une teinte de chanteur d'opéra. La vague de Alt-J a renversé le fort : leur marche vers le succès semble toute tracée.

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Après cette vision fusionnée de folk et de hip-hop, nous retournons vers un son plus traditionnel avec Patrick Watson. Le québécois ne manque pas d'user de son bel accent pour préciser que c'est un vrai barbecue sur scène, même s'il n'est pas mariné. Les couleurs de fin de journée donnent à la scène et au fort ce petit côté magique que l'on apprécie tant, éclairant le folk lumineux du barbu à casquette et de son orchestre de neuf musiciens. Sa voix flirtant avec des aiguës mimant Jeff Buckley est portée par une trompette qui apporte toute sa force aux morceaux ainsi que par un violon que l'on aurait aimé entendre plus. Les guitares sont quant à elles en retrait et le tout ne s'envole pas comme on aurait pu l'espérer, comme au concert d'Okkervil River en 2011 par exemple.
On reste dans l'attente d'un emportement ou d'une surprise mais le son est haché pour laisser Patrick Watson s'exprimer dans un chant lyrique, cristallin mais ennuyeux. On retiendra néanmoins ce moment de communion où tous les musiciens se réunissent en unplugged autour d'un seul micro, permettant de ressentir pleinement la qualité des arrangements. Les deux derniers morceaux s'avèrent bien plus intéressants puisque le groupe s'énerve enfin en débridant les guitares électriques, Patrick Watson se démenant en sautant à l'avant de la scène. On aurait aimé qu'il se lâche plus tôt, l'impression reste mitigée.

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Après les jeunes pousses, c'est au tour des vieux briscards de prendre le relai, avec la quatrième apparition de Dominique A à la Route du Rock. Il est loin le temps du concert minimaliste d'un quasi-inconnu à l'hiver 1993 (non pas l'hiver 54). Après un passage au Primavera Sound Festival, on entend désormais des anglais faire les louanges de Dominique « hey » dans les allées du fort. Son dernier album Vers Les Lueurs y est pour quelque chose et ses treize titres sont presque tous interprétés dans un léger désordre ce vendredi.
Il s'agit d'une création se produisant pour la dernière fois, sublimée par une pléiade d'instruments à vents comme des bassons, clarinettes, flutes ou hautbois. La formation de base est quant à elle bien rock, livrant des riffs de guitares ravageurs. Ce mélange abrasif livre toute sa puissance dès le premier titre, Contre Un Arbre, résolument rock dans l'âme, en digne fils spirituel d'Alain Bashung. Ces chansons à textes portées par des guitares tendues et des vents du nord écartelés ne sont pas sans rappeler la création “Cordes & vents“ du groupe Eiffel, notamment jouée aux Transmusicales de Rennes. Les deux artistes avaient d'ailleurs collaboré sur l'EP Les Enfants du Pirée. Ces textes déclamés avec cette voix grave et abyssale poussent au silence et à la réflexion. Le personnage prend une dimension supplémentaire avec ces lumières tournoyantes l'éclairant d'en haut, comme sur le titre phare Rendez-Nous la Lumière aux allures de pamphlet pour un monde moderne gâché. La chanson locale Close West n'est pas oubliée dans une adaptation énervée de l'un des meilleurs titres de rock en français de ces dernières années. On frissonne sur Parfois J'entends des Cris et son spleen d'homme citadin moderne. Pas d'anciens titres ou de Parce Que Tu Etais Là mais c'est un grand Dominique A que nous avons retrouvé ce vendredi soir, électrisant, plus au sommet de son art, voire de son arbre, que jamais.

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La tête d'affiche de la soirée reste sans conteste l'astronaute anglais Jason Pierce et son groupe spatial Spiritualized. Quatorze ans après son dernier passage dans le fort, et avec un nouvel album acclamé, le groupe entame Hey Jane, single entrainant et évident. Il met tout de suite le feu aux poudres en faisant danser la Route du Rock de sa touche psychédélique. Le groupe est accompagné de choristes à la voix gospel pouvant rappeler les récentes apparitions de leurs dignes héritiers américains Girls. Jason est placé à droite de la scène et tourné vers ses camarades, laissant le milieu de scène vide : le jeu de scène s'en trouvant assez statique.
Le début du concert voit s'enchainer des chansons calmes et planantes, prolongées par des guitares de plus en plus distordues et lancinantes. Spiritualized s'envole par la suite dans des riffs plus entêtants les uns que les autres, poussant le public à sauter. On comprend finalement l'évolution d'un concert qui se veut en crescendo : toujours plus rapide, toujours plus fort. La voix de Jason est la britpop à elle toute seule. Elle nous emporte dans ses passages les plus énervés ou dans la douceur de Ladies And Gentleman We Are Floating In Space et son refrain intemporel qui se répète encore et encore : on aimerait qu'il ne s'arrête jamais. Le spaceman fait décoller le fort et ses remparts du sol vers les étoiles. Il alterne d'anciens titres du catalogue de tubes comme un Come Together aux allures d'hymne, avec des titres de Sweet Heart Sweet Light, comme la douce et mélancolique Mary. Le concert se termine avec un défoulement noise de plusieurs minutes, que l'on n'avait plus entendu depuis que Thurston Moore avait fait l'amour à sa guitare sur cette même scène avec Sonic Youth, sur Cop Shoot Cop. En ceci réside bien la force du groupe, passer de la pop d'orfèvre la plus délicate à des déchainements à faire exploser les voltmètres. Le concert de la soirée était bien celui de Spiritualized, un grand groupe qui nous a émerveillés, défoulés et libérés.

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Pas de temps mort entre deux concerts cette fois-ci puisque la petite scène de la Tour reprend du service en accueillant Civil Civic. Les australiens reprennent les hostilités là ou Spiritualized les avaient laissées : toutes guitares dehors et avec un son au plus fort. Leur rock instrumental crée l'émeute devant la petite scène, incité par le duo qui demande au public de bouger encore plus en parsemant ses interventions de multiples « F word ». Les organisateurs voulaient des concerts devant un public compact, les voilà servis. La foule n'est pas venue en nombre en ce vendredi mais on trouve tout de même le moyen de se frotter aux autres festivaliers au son des tsunamis de décibels de Civil Civic. Leur génial Run Overdrive et ses synthés 80's n'est pas oublié, on en ferait presque la danse du robot au milieu de la nuit. Après cela, on aura quelque peu perdus des Aussies ayant complètement déstructuré leur son, sans que l'on ne comprenne vraiment où ils voulaient en venir. Civil Civic s'est alors transformé en Civil Saucisse. Il fallait bien reprendre des forces.

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Arrive sur la grande scène la formation que les programmateurs voulaient à tout prix, quitte à la faire venir pour l'occasion de San Francisco pour la Route du Rock : The Soft Moon. Le groupe a passé quelques jours en pays malouin et est bien décidé à en découdre avec ce festival fait pour eux. On s'attendait à quelque chose de bizarre et à un son tordu : nous voilà servis. The Soft Moon envoient des boucles rythmiques électro angoissantes tandis qu'une guitare criarde dévie le tout vers un psychédélisme fou. La lune est cachée par la scène : les lumières stroboscopiques permanentes des américains la remplacent aisément, même si la douceur n'est pas exactement au rendez-vous. Les titres sont essentiellement instrumentaux, le guitariste lâche de subits et rageurs cris de temps à autres. Au milieu des divagations de synthés vintage, des relents post-punk psyché retournent l'estomac tandis qu'un tempo élevé accélère le rythme cardiaque. Leurs compositions ne sont pas d'une folle originalité et l'on trouve une certaine redondance dans ce son spécifique qui a été exploré à de maintes reprises par leurs glorieux ainés, de Kraftwerk à Killing Joke. Mais une telle débauche de décibels dans la nuit de la Route du Rock ne se renie pas. Ces deux derniers groupes ont fait passer le festival dans le côté obscur et c'est bien là toute leur force.

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Pour terminer la soirée ou commencer la nuit, le seul artiste électronique jouant au fort cette année, Squarepusher, fait raisonner des bruits stridents et inquiétants. Installé dans l'ombre d'un écran diffusant des formes géométriques blanches sur fond noir, le DJ s'inspire des productions futuristes d'Aphex Twin qui était à sa place l'an dernier. Toutes les basses sont de sortie pour une séance de vibrations d'organes internes. Le casque à LED en mode Daft Punk de Tom Jenkinson s'illumine, retranscrivant certainement l'activité de son cerveau. Des mélodies synthétiques surplombent le tout, dévoilant presque un aspect électro-pop si elles n'étaient pas déstructurées par une rythmique saccadée. Le son industriel n'est pas des plus entrainants pour se remuer mais cette basse terrifiante apporte une certaine nouveauté, comparée aux banalités de beaucoup de musiques électroniques actuelles.

On croyait naïvement pouvoir courir dans les champs au son de la pop bricolée de Alt-J, du folk de Patrick Watson ou du rock libéré de Dominique A. C'était sans compter le retournement de situation qui s'est opéré pendant Spiritualized, lequel nous a émoustillés au plus haut point. La soirée a évolué vers des bizarreries plus saignantes avec Civil Civic, The Soft Moon et Squarepusher. Si toutes les performances n'ont pas été exceptionnelles et que la foule n'était pas au rendez-vous, cette première journée fût d'une très grande qualité artistique.
artistes
    Squarepusher
    The Soft Moon
    Spiritualized
    Dominique A
    Patrick Watson
    Alt-J
    Civil Civic
    Yeti Lane
    Don Niño
    Infiné DJ Set
    Michael Mayer