Italia 90

Voici que tout le cirque médiatique autour de cette ignoble Coupe du Monde au Qatar se termine enfin pour qu'arrive un prétexte de vous reparler de football. Saviez-vous que l'organisation de cet événement en Italie, en 1990, allait donner lieu à l'une des dernières compétitions dotées d'une certaine idée, d'un romantisme désormais disparu. C'était l'inauguration du stade San Nicola à Bari, la révélation de Salavatore Schillaci, attaquant sicilien dont la trajectoire fut celle d'une comète, et ce duo Maradona – Caniggia plus rock'roll qu'une bonne partie des rockers actuels, aussi, les larmes de ce même Diego, quand Lothar Matthaüs, capitaine d'une Allemagne brandissait le dernier trophée d'un pays encore footballistiquement séparé en deux.

Mais arrêtons immédiatement cette divagation coupable, car si vous faites partie des quadragénaires vieillissants pour qui Italie 90 ne représente qu'un événement sportif de début de décennie, il est encore temps de vous mettre à la page. Italia 90 est aussi le nom de ces gars venus de Brighton. Ils développent un post-punk que d'aucuns vont vite cataloguer d'assez commun. La sortie de Living Human Treasure pourrait être de nature à vous faire revoir votre jugement, car à y regarder de plus près, ces quatre-là ne sont vraiment pas ici pour rigoler, déterminés à se faire une place au milieu de groupes comme The Murder Capital, shame, TV Priest ou autres LUMER.

Oui, Italia 90 est un énième groupe sous perfusion du punk et du post-punk de The Fall, mais ils ont du talent à revendre et vous feriez bien de vous attarder sur leur musique souvent âpre et froide, à l'image de l'excellent Leisure Activities. Sur ce titre dense, Italia 90 naviguent entre rage et noirceur. La variation sur la fin du morceau est saisissante et lui donne une ampleur folle en seulement quelques accords. Tranchant, voilà qui caractérise Living Human Treasure, comme sur le nerveux et direct New Factory, capable de faire lever une foule entière sous xanax.
Living Human Treasure regroupe des chansons d'époques diverses depuis 2016, date de création du groupe, ainsi, nul étonnement de tomber sur des ambiances parfois assez diverses. À cet égard, un morceau comme le glacial et terrifiant Cut n'aurait certainement pas été renié par Wire à leurs débuts. Il apparaît comme le parfait opposé de l'amusant Does He Dream?, l'étrange Golgotha ou du sautillant The Mumsnet Mambo, et sa fausse ambiance lounge suranée. L'identité de Italia 90 est claire, mais les quatre de Brighton ne veulent rien s'interdire, se laissent de la marge.

Pourtant, ces titres apparaissent comme une parenthèse. Personne n'est dupe, la sève créatrice de Italia 90 est fait de guitares ciselées et froides, pour une musique sans concession, directe, comme le montrent Competition ou New Factory, titres les plus anciens de l'album, composés peu de temps après la création du groupe.
Sur le sombre Funny Bones, votre tête est martelée par cette basse bondissante et entêtante. Pourtant jamais Italia 90 ne vous laissent vous ennuyer et le refrain explose dans votre esprit comme pour mieux vous délivrer. Tout cela est fort réjouissant, même lorsque la dureté laisse la place à une partition plus pop, comme sur Tales From Beyond. Il y a quelque chose qui pourrait évoquer Bloc Party, dans ce qu'il a d'accessible et d'accrocheur. Mais jamais ces gars ne se laissent aller à la facilité, et l'évidence est ici balayée d'un revers de main pour laisser place à l'exigence.
Sur Harmony, morceau de clôture de l'album, Italia 90 se laissent aller à des divagations quasi psychotiques et hallucinées, comme pour mieux brouiller les pistes. Comme si le groupe voulait s'assurer que vous n'en sachiez pas trop, comme pour être sûr de ne pas vous lasser. Cet excellent titre est un véritable voyage à lui seul, et Italia 90 se révèlent être des pilotes assurés dans tout ce qu'ils entreprennent.

Décidément le groupe aura pris son temps pour sortir ce premier album, sorte de compilation de ce qu'il est depuis sa création. Pourtant, l'ensemble fonctionne merveilleusement, et les titres les plus vieux souvent tranchants comme du verre, s'assemblent à merveille avec les digressions que le quatuor s'accorde ci et là.

Oui, les esprits chagrins du fond de classe vont encore nous bassiner pour nous dire que ce que fait Italia 90 a déjà été entendu, et qu'il n'y a ici aucune révolution. C'est certainement vrai, le groupe se nourrit de la musique d'illustres formations et la révolution attendra peut-être. Il n'empêche, Italia 90 ont largement de quoi se faire une place car leur réflexion mûrit, évolue avec intelligence. Ces types ont des idées, un réel talent de composition, et Living Human Treasure est véritablement un excellent album.

Vous avez ici le premier gros coup de coeur cette année 2023. Après tout, libre aux révolutionnaires de s'en priver.