Chronique Album
Date de sortie : 15.08.2025
Label : Foxfive Records
Rédigé par
Adonis Didier, le 14 août 2025
Ouvre les yeux. Regarde. Regarde encore. Des enfants mourant de faim à Gaza. Un chien mangeant du fromage. Dua Lipa à la plage. Trump et Poutine en Alaska. Des loutres qui font une réunion Teams (très drôle). Une nouvelle appli de rencontres (post sponsorisé). Une nouvelle méthode révolutionnaire pour apprendre la guitare (post sponsorisé). Tu en as marre ? Non. Tu n'en n'as pas marre. Jamais. Alors garde les yeux ouverts. Et regarde. Regarde, encore. Regarde la trend, les marques de bronzage, le retour des tailles basses. Regarde la guerre. Regarde ta liste de concerts. Regarde ces vieux en costard qui rajoutent des pesticides dans les pommes. Ces femmes qui témoignent et que personne n'écoute. Le Dracula de Besson. Un reel avec des corgis. Ce mec à Berlin qui a l'air vachement mieux sapé que toi. Il a aussi grave plus d'abdos. Et pas de double menton. Lui il aurait chopé à la soirée. Des teckels à la piscine. Encore une pétition anti-Macron. Le dernier album de Black Honey.
L'œil bleu d'Izzy B Philips écartelé devant le film du monde, un nanard crachant 4K images par seconde sur un écran de six pouces deux, quand la fiction remplace la réalité et que personne n'a pensé à payer les acteurs. Une pochette dérangeante et dérangée en forme d'Orange Mécanique, après les pêches les oranges : A Fistful Of Peaches était l'un des meilleurs disques de 2023, le fameux album de la maturité pour une formation qui avait enfin retrouvé sa musique après avoir abandonné le western déglingué tarantinesque des premiers EPs, et spoiler Soak sera lui aussi l'un des albums les plus marquants de l'année 2025.
Plus lourd, plus sombre, plus assumé, le quatrième disque de Black Honey est un concentré de violence, de romance, de fête et d'amphets, avec du rouge mal dessiné autour des lèvres et une trace de noir qui coule sur des pommettes refaites. Enfin sobre, clean, et diagnostiquée autiste après son TDAH, Izzy B embarque une nouvelle fois ses compagnons de route dans une virée psychotique au pays de toutes les merveilles : Hollywood.
Mais la fête est finie, il est cinq heures du matin, le soleil profite de ses dernières heures de sommeil, le maquillage a coulé et les stars ne brillent plus dans la nuit. Sur Caroll Avenue le vernis a fondu, la face cachée d'Instagram tourne au violet foncé, les violons et les accords de guitare ne masquent plus le fait que Betsy a vomi sur le trottoir et que rien ne va plus depuis son divorce. Lent et chatoyant comme Psycho, rappel d'un premier album aux lèvres brillantes de gloss, Izzy B tournoie comme Cendrillon dans sa robe, les princesses se roulent des pelles et les princes se chopent le paquet pendant que la Slow Dance ouvre le bal des trentenaires neuro-atypiques.
« Tu dis que je suis trop émotive, c'est compliqué, tu dis que je suis neuro-atypique, moi que je suis créative, tu dis que je suis imprévisible, mais je ne peux rien y faire. ». Il est venu le temps d'assumer qui l'on est, et il est venu le temps pour Black Honey de tourner les potards du bal de promo : Dead alterne couplets à l'esthétique Chappell Roan et refrains carbonisés par un mur de baffles distordus, les éléments électroniques s'arrangent dans des nappes de brillantes guitares réverbérées jusqu'à ce que Soak appuie sur la pédale et nous rappelle que Hollywood est un loup pour l'Homme, un saloon dont tout le monde sortira les pieds devant.
Mais que serait un sublime album de Black Honey sans certains des meilleurs solos de guitare de la décennie ? Drag fait la course sous cocaïne contre le temps qui passe, le temps ce vampire dans la salle de bains, l'autisme ce vampire dans la cuisine et je crois que j'ai envie de danser avec lui. Vampire In The Kitchen et ses deux minutes et trente secondes de ballade douce et inquiétante culminant en un shot d'adrénaline retrouvé entre les courgettes et les abricots, une explosion en chaîne de poudre dans des barillets, et des balles en argent plantées dans les magnets du frigo. To The Grave conclut la cavalcade yeux bandés sur l'autoroute, ça clappe dans les mains sur la banquette arrière, ça tape des pieds attaché dans le coffre, et dans une dernière explosion d'essence et de verre pilé, le générique de fin. Medication, Lana Del Rey sous l'océan dans un monde en flammes, une vieille guitare déglinguée à la main, et puis The End.
La fin, mon ami, et la confirmation que Black Honey est l'un des meilleurs groupes de rock du moment. Ce moment de 2025 dans lequel les années 80 et 90 reprennent le pouvoir est bel et bien celui du miel noir, combinaison parfaite du grunge, de la pop et du rock alternatif. Kurt Cobain, Madonna et Gwen Stefani dans un petit pot en verre étiqueté Soak par Black Honey, un miel bio et neuro-atypique récolté des côtes de Brighton aux collines d'Hollywood pour mettre des paillettes dans vos vies. Alors pour une fois, fermez les yeux et ouvrez bien les oreilles, posez votre téléphone et retournez vers le futur avec les pauvres créatures que sont Izzy, Chris, Tommy et Alex, votre folamour glam-rock de l'été fonçant sans regarder sur le sunset boulevard de la mort. Parce qu'il était une fois à Hollywood, et qu'il est maintenant quatre fois à Brighton.