Kaiser Chiefs

Veuillez par avance excuser cette introduction en forme de lieu commun, mais il est question ici d'évoquer l'impérieuse nécessité pour un groupe d'évoluer, de faire mûrir sa réflexion, son approche, parfois d'amorcer un virage sec et brutal en forme de nouveau départ. Certes, vous trouverez aisément en guise de contre-exemple des formations qui ont réussi à capitaliser sur un son, une attitude en y déviant dans d'infimes proportions tout au long de plusieurs décennies, mais convenez tout de même que ces groupes sont à la marge, et ne remettent pas en question l'évidence de notre introduction.

Kaiser Chiefs font partie de ceux dont la musique a changé le temps passant. Le groupe de Leeds avait frappé très fort dès ses débuts en 2005 avec l'excellent Employment. Ils y déroulaient un rock indé nerveux, positif, soutenu par des singles absolument renversants comme I Predict A Riot, ou Everyday I Love You Less And Less. Les jeunes gens poursuivaient dans cet esprit avec les très bons Yours Truly, Angry Mob en 2007 et Off With Their Heads un an plus tard, en semant là encore des hymnes qui ont marqué leur époque comme Ruby, ou l'imparable Never Miss A Beat.
Les Kaiser Chiefs ont longtemps été des dynamites qui ne demandent qu'à exploser. Ceci est particulièrement vrai lors de leurs performances live où toute leur fougue s'exprime. Pourtant, avec l'album The Future Is Medieval, s'opère une espèce de bascule dans l'expression du groupe. La tendance se confirme avec Education, Education, Education And War. Soit l'inspiration du groupe se tarit avec le départ du batteur Nick Hodgson, soit les musiciens se projettent sur autre chose. La suite ressemble à une mauvaise blague.
Il n'est pas question ici de remettre en question des choix définis par des envies, des expériences. Celles-ci appartiennent aux artistes et leur sont propres. Néanmoins il est possible de commenter les chemins pris, et surtout faire part de l'incompréhension de voir un groupe si brillant se vautrer dans la pop mielleuse et peu inspirée de Stay Together en 2016 ou Duck en 2019.

S'il était possible d'espérer un sursaut, Kaiser Chiefs' Easy Eighth Album, nouvel album du groupe, a largement de quoi refroidir vos ardeurs. Il n'était donc pas vraiment question d'une parenthèse maudite, et il est aujourd'hui nécessaire de se faire à l'idée. Ces garçons que vous avez tant adorés font désormais dans la pop survitaminée jusqu'à l'overdose par des mélodies sucrées que l'on avale sans trop se poser de questions, mais qui sont souvent terriblement indigestes. La production souvent outrancière n'est pas de nature à apaiser vos craintes.
Feeling Alright, premier extrait de ce nouvel album, ne nous laissait guère d'illusions sur la question, et s'il ne représente pas vraiment le pire que ce que le groupe nous a proposé jusqu'ici, la présence de Nile Rodgers ne parvient pas à sauver les apparences. Le très pop Burning In Flames, single suivant sorti il y a tout juste un mois, achevait de nous convaincre de la direction prise, en nous rappelant vite au bon souvenir de Stay Together. Pourtant accrocheur et foncièrement positif, ce titre aurait pu être amusant à écouter en fond sonore, au bord de la piscine, histoire de trouver une occupation pour des oreilles perturbées par le silence.

On sera assez surpris du manque d'inspiration pour terminer la plupart des morceaux, coupés dans leur élan comme un volatile plombé en plein vol par le fusil d'un chasseur un dimanche matin. Si le groupe avait voulu nous donner un indice supplémentaire sur leur volonté de calibrer au mieux leur production pour la radio, il n'aurait pas pu mieux opérer. À ce propos, How 2 Dance (tout le monde aura noté l'orthographe de « to » en « 2 », tellement original) et Jealousy sont les morceaux idoines pour inonder les stations FM de cette pop évidente et sirupeuse à la limite de la grossièreté.
Quand le groupe se décide à revenir sur des bases un peu moins scabreuses mais toujours aussi pop, on se retrouve rapidement avec le peu intéressant The Lads et ce Beautiful Girls trop évident, où le prétexte de légèreté peine à cacher le vide qui s'offre à nous. Le constat est assez similaire avec The Job Center Shuffle, dont l'ambiance à pourtant le mérite de faire admettre à nos cinq amis leur désir de marcher dans les pas de Bruno Mars. Il faut attendre ce Noel Groove plutôt bien senti, et à un degré moindre le faussement musclé Reason To Stay Alive pour trouver un peu d'air sur ce grand déballage de facilités pop FM.

Il n'y a pas grand-chose à dire de plus, Kaiser Chiefs est aujourd'hui, et peut-être plus que jamais, ce genre de formation aux allures de Maroon 5. Le rock indé engageant, sympathique par son côté un brin outrageant des débuts est bien loin. L'expérience consistant à écouter Addicted To Drugs puis d'enchaîner avec Sentimental Love Songs ou Jealousy aura, pour ceux d'entre vous qui voudraient bien la tenter, quelque chose de totalement vertigineux.
Education, Education, Education And War avait à l'époque ému les fans du groupe car il actait l'amorce du changement à venir. Pourtant, à bien y regarder, il demeure le dernier bon album de Kaiser Chiefs, et Coming Home avait en lui une puissance, une force désormais remisées au placard au profit de chansons souvent vidées de toute substance. Le constat est celui-ci, implacable. Mais voici la voie sur laquelle s'est engagé le groupe et il n'y a pas grand-chose que vous pourrez y faire. Excepté peut-être de rapidement passer à autre chose. Certainement votre meilleure option à ce stade.