Prolapse

« Je me demande quand ils vont t'exploser la gueule » est le titre du premier album studio en vingt-six ans de Prolapse, groupuscule cultissime des années 90. Spoiler, on peut déjà te donner la date, ce sera le 29 août 2025. Fallait bien que ça te tombe dessus un jour, tu vas me dire. Méfie-toi, ils ont aussi prévu de t'exploser les oreilles. Qui-ça ? Eh bien Prolapse pardi, pas les Illumanitis, tu pourrais suivre un peu. Quoi, tu ne connais pas Prolapse ? T'as une vie et t'as pas 200 ans ? Ok, ça peut s'entendre. Faisons donc les présentations. A ma gauche, l'auditeur avisé, fidèle lecteur de Sound of Violence (toi). A ma droite, le groupe qui a prévu de bien de te défoncer ta jolie petite tête juste avant la rentrée (Prolapse, donc).

Flashback. Leicester, 1994. Le grunge est mort, la Britpop s'apprête à conquérir le monde. A contre-courant des standards en vogue, Prolapse (deux chanteurs, trois guitaristes et un batteur) inventent leur propre style, mélange de guitares vrillées et voix entrelacées sur des morceaux à rallonge entre post-punk, krautrock, shoegaze et indie. Mick Derrick éructe avec l'accent écossais pendant que Linda Steelyard murmure, râle ou psalmodie. Ils ont partagé la scène avec Stereolab, Pulp, Arab Strap, Mogwai ou Sonic Youth, mais sans jamais chercher à leur ressembler. Leur truc à eux, c'était les riffs en boucle, les dialogues façon dispute conjugale sous acide et cette tension permanente entre le chaos et le groove. Entre 1994 et 1999, ils ont sorti quatre albums foutraques sans lien apparent mais formant une œuvre cohérente, culminant avec The Italian Flag en 1997.

Si le groupe s'est reformé il y a déjà dix ans, plusieurs titres de leur nouvel album ont été improvisés et directement enregistrés en studio. Fidèle à leur méthode, I Wonder When They're Going To Destroy Your Face sonne comme s'ils ne s'étaient jamais arrêtés : même tension, même étrangeté et même immédiateté. En résulte un disque sec, abrasif, désordonné et complètement jouissif.

Guitare tranchante, basse en embuscade, voix haut perchée qui déboule sans prévenir, Prolapse attaquent pied au plancher avec The Fall Of Cashline, parfait résumé de leur ADN, avec une accroche nerveuse et un groove tordu dans un chaos contenu. Te voilà prévenu. Tu préfèrerais un single ? Chez Prolapse, ça veut dire un truc à moitié dansant, à moitié cramé. Sur Cha Cha Cha 2000 Mick raconte une sorte de rêve éveillé avec Canned Heat et Cat Stevens, le tout sur un fond sautillant à la Television Personalities sous speed. C'est bizarre, c'est brillant, c'est un tube (façon Prolapse).

On attaque ensuite la partie sérieuse avec trois morceaux bien barrés dépassant chacun la barre des six minutes. Une boucle de guitare hypnotique, des saturations qui rampent, une voix qui marmonne jusqu'à l'explosion « I hate, I hate, I hate, I hate », Err On The Side Of Dead, c'est Arab Strap chez les sorciers. Plus calme mais pas moins retord, Ghost In The Chair débute comme une lente montée, presque ambient, avant que tout ne déraille dans un mur de bruit. Plus accessible et mélodique, On The Quarter Days s'avère une excellente porte d'entrée pour ceux qui ne connaissaient pas encore la maison Prolapse. Intro vintage, synthé analogique, guitares fiévreuses et une batterie chevaleresque façon cavalcade goth.

Le groupe s'accorde un interlude bruitiste (brouillon ou jouissif selon les goûts) avec Cacophany No. C et Jackdaw, deux morceaux noise, déstructurés et chaotiques avant de lancer Ectoplasm United, grand n'importe quoi mélodique fait maison. Ça part dans tous les sens, ça crie, ça tangue et ça déborde dans ce maelström joyeusement incohérent. Les Allemands de Faust en ont fait un remix et pour une fois c'est logique. Après ces huit titres haletants mais éreintants, A Forever arrive comme une clôture inattendue en forme d'atterrissage en douceur. Linda y raconte une scène où elle arrive à la station-service de Leicester Forest East et décide d'y rester à jamais.

Vingt-six ans plus tard, Prolapse n'ont rien lissé, rien aplani, rien appris et surtout rien oublié. Ils ne reviennent pas pour ressusciter une gloire passée, ils n'en ont d'ailleurs jamais vraiment connu, mais pour rappeler qu'on peut encore faire du rock sans plan promo, sans nostalgie et sans ambition démesurée autre que celle de foutre le feu à ce qui reste. I Wonder When They're Going To Destroy Your Face ne cherche pas à convaincre mais agit par infiltration, bruit contre certitudes, ironie contre cynisme, instinct contre stratégie. C'est un disque qui déborde, s'emballe et improvise, mais qui, malgré ses aspérités, tape toujours juste.

Et si tu te demandes encore quand ils vont t'exploser la gueule, la réponse est simple : c'est maintenant !