Si quelques magazines people et musicaux anglais nous ont vendu Beth Jeans Houghton comme une sorte de rebelle post-hippie, glam-folk, à peine sortie de l'adolescence et déjà petite-amie attitrée du leader des Red Hot Chili Peppers, c'est qu'ils n'ont pas regardé plus loin que le bout du buzz qu'ils tentaient eux-même de créer. En effet, c'est à l'occasion de son concert parisien que la jeune musicienne de Newcastle nous a reçus. Loin des clichés, cette amoureuse de Los Angeles fait preuve de la naïveté communicative et l'ouverture d'esprit dont peu de groupes sortant un premier opus sont dotés. Une rencontre musicale indéniable.
Comment te sens-tu à quelques heures de présenter Yours Truly, Cellophane Nose au public parisien?
Très bien ! Nous avons déjà joué en France l'année dernière et ça s'était super bien passé. On voit tellement de publics différents depuis ces derniers mois, c'est très excitant de voir comment les gens réagissent aux nouveaux titres. On nous avait prévenu avant le concert de juillet dernier que ça risquait d'être difficile et qu'on pouvait facilement se faire huer, ou tout du moins un peu malmener, par le public parisien mais ce fut plutôt l'inverse en fait. Donc nous n'avons pas trop de craintes pour ce soir. Tu sais, si tu montes sur scène avec un esprit positif, souvent ça se passe bien.
Le concert de ce soir est organisé dans le cadre du festival Les Femmes S'en Mêlent. Est-ce important pour toi de participer à ce genre d'évènement qui met en valeur les femmes dans le monde de la musique ? Penses-tu qu'il est plus difficile de se faire une place dans ce milieu en étant une femme?
Non, je pense que c'est plutôt plus facile. Si une fille est d'un tempérament qui lui fait croire que ça sera plus difficile pour elle que pour un mec, c'est sûr, ça deviendra plus difficile. Si au contraire elle ne se met aucune barrière ou n'a aucun a priori, alors ça passera forcément bien.
Personnellement, je ne me suis jamais sentie femme ou homme dans ce milieu. Je ne veux pas dire que je me sens homme mais le sexe n'entre pas dans l'équation musicale. Tu es avant tout là pour vivre de ta passion, tu es censée être au-dessus de ça. Le public vient avant tout voir un groupe qu'il apprécie, pas une fille ou un garçon. Mais tu sais, même dans mes relations amicales, ou dans le boulot, je fonctionne de cette façon. Âtre une femme dans ce milieu ne m'affecte pas mais c'est bien que ce type de festival existe.
Est-ce donc en conséquence plus facile pour toi d'être dans un groupe d'hommes ?
Oh que oui ! Sans aucun doute ! C'est amusant car, toute ma vie, je me suis toujours mieux entendu avec les garçons qu'avec les filles. Au lycée, c'était l'enfer, on aurait dit un environnement de garces s'envoyant constamment des insultes et du coup, je me suis logiquement rapprochée des garçons, qui eux, n'en avaient absolument rien à faire de tout ça. Mais j'ai changé, depuis six mois, non deux mois - en fait, j'ai acheté un bouquin qui a changé ma vie - je me suis mis à voir les filles comme autre chose qu'une bande de pintades (rires). J'ai même quelques amies filles, c'est pour dire l'amélioration ! Mais je pense quand même qu'il est plus facile de bosser avec des mecs. Je ne suis pas particulièrement à cheval sur la propreté et je suis habituée à les entendre roter. Et je n'ai pas à porter de maquillage - ce que j'ai tendance à faire en présence de filles de peur de ne pas pouvoir m'intégrer - et je peux trainer en jogging.
Tu présentes actuellement ton premier album Yours Truly, Cellophane Nose. Peux-tu nous parler de son atmosphère et nous en dire plus sur le titre ?
C'est un ensemble de chansons qui retracent tout ce que j'ai fait jusqu'ici. Un des titres figurant sur l'album a plus de six ans alors que Franklin Benedict a été écrit en studio. Pour moi, toutes les chansons sont assez vieilles car l'album a été fini il y a maintenant deux ans. Du coup, elles prennent un tout autre sens en live car j'ai beaucoup changé entre seize et vingt-deux ans, les sujets qui m'intéressent ou me touchent ne sont plus les mêmes. J'ai écrit Veins à seize ans quand j'ai eu mon premier vrai copain. A l'époque, ça avait une importance capitale et quand je la jouais, c'était juste « wow » pour moi ! Maintenant, quand je la joue, je me dis « Oh mon dieu, mais j'étais une gamine ! ». Lorsque je suis sur scène, j'essaie de faire le lien avec ce que je vis maintenant, j'essaie de voir ce qu'il y a de parallèle entre mes sentiments et mes actions de l'époque et ceux de maintenant. J'attends avec impatience de sortir mon prochain album pour être totalement en phase avec les titres que je joue.
Tu es donc en train d'écrire ton second album ?
Oui, et nous avons même bien assez de titres pour le boucler. J'écris constamment depuis juin pour ce disque.
Il devrait donc sortir beaucoup plus rapidement que Yours Truly, Cellophane Nose ?
Oui. Mais tu sais, nous avons mis trois mois à enregistrer ce premier album. Et si nous n'avions pas eu des problèmes techniques - mon manager qui tombe malade, le fait que je ne veuille pas signer de contrat avec une maison de disques avant d'avoir enregistré l'album - il serait sorti il y a deux ans. Donc je pense que pour le prochain tout devrait aller beaucoup plus vite.
Pourtant, ces deux dernières années, les médias ont continué à te suivre. Comment expliques-tu cela ?
C'est un mystère complet pour moi ! je n'ai rien fait qui encourage les journaux à continuer de parler de mon groupe. Nous avons juste continué à tourner avec nos EPs et les titres de l'album que nous voulions roder. Nous avons parcouru les États-Unis, le Royaume-Uni sans rien faire de flamboyant donc je ne sais vraiment pas comment nous avons réussi ce tour de force.
Tes concerts comme tes clips impliquent un certain visuel, des costumes. Est-ce que cette dimension est importante pour toi ?
Oui. J'ai grandi en écoutant beaucoup de groupes assez psychédéliques des années soixante, soixante-dix. A cette époque, les groupes se sont mis à expérimenter davantage et des artistes comme Marc Bolan, David Bowie, Frank Zappa ou Captain Beefheart ont mis en avant ce côté visuel qui manquait un peu avant. Et je veux essayer de faire partie de cette tradition là.
Tu parles souvent de Los Angeles comme ayant une importance capitale aussi bien pour ta musique que pour toi. Peux-tu nous en dire davantage ?
C'est assez drôle en fait car je n'ai jamais voulu vivre à Londres. Je trouvais que c'était trop grand, qu'il y avait trop de monde. Et Los Angeles, c'est cinq fois plus grand (rires) ! De prime abord, L.A. c'est les palmiers et la plage, le côté idyllique d'une ville qui vit au soleil. Mais c'est bien plus que ça, c'est un modèle réduit du monde. Tu peux aller à la mer ou à la montagne ou dans le désert en faisant moins de deux heures de route. La nourriture est géniale, la scène musicale et fantastique. La Californie a moins de deux cents ans et tout est neuf. Tout est faisable. Et j'adore ce côté un peu rétro-ringard qu'on y trouve aussi, les motels, les diners. Tu peux marcher et tomber sur un tournage de film. C'est une ville fantastique où tu peux te permettre de vivre tes rêves. C'est magique. Et c'est une ville de fêlés ! Pas autant que San Francisco où là, c'est totalement dément, mais pour te dire, il y a un type qui se prend pour Jésus et passe ses journées à aller et venir sur Sunset Boulevard (rires) !
Cet amour inconditionnel pour Los Angeles pourrait-il te pousser à baser ton groupe là-bas ?
Je le ferais si je le pouvais. On m'a déjà demandé si je voulais y aller dans le but de faire avancer ma carrière mais si je pars là-bas, ce ne sera pas pour m'ouvrir plus de possibilités. C'est avant tout parce que j'adore cette ville et que je veux en profiter avec les gens que j'aime. Je veux pouvoir profiter de ma vie avant tout. Et ma carrière me suivra où que j'aille. En tout cas, je ne déménagerai pas pour elle, mais pour moi. Nous pensons enregistrer le prochain album à Los Angeles parce que là où je serai heureuse, j'enregistrerai un bon album. C'est aussi simple que ça.
D'où te vient ce constant besoin de créativité ?
Je suis une enfant des années quatre-vingt dix et, en grandissant, j'avais l'impression d'un vide créatif immense. Je suis née en 1990 et quand je me suis mise à écouter de la musique, je me suis surtout penchée sur les sixties et les années quatre-vingt qui, pour moi, sont la dernière décennie où les groupes expérimentaient encore et voulaient apporter leur pierre à l'édifice. Autour de moi, ce n'était que du R'n'B et de l'autotune. Plutôt déprimant ! En plus j'ai grandi à Newcastle. C'est une ville super pour les enfants, j'ai adoré grandir là-bas mais, à un moment, tu te rends compte que c'est une petite ville, assez éloignée de tout. Mais ça m'a permis d'avoir cette volonté de sortir, de voyager, de voir la Californie. Je ne suis pas sûre que j'aurais eu cette motivation si j'avais grandi à Manchester ou Londres. Ou à Los Angeles, car je n'aurais certainement pas apprécié la ville de la même façon. Je suis fière d'être partie de rien, sans beaucoup d'argent. Je peux ainsi vivre de façon frugale, et heureuse de ce que j'ai réussi à accomplir.
Que peut-on donc souhaiter à Beth Jeans Houghton And The Hooves Of Destiny ?
Que tous mes musiciens aient leurs papiers pour bosser aux États-Unis, que nous puissions partir d'ici novembre. Nous avons déjà tout prévu, continuer notre colocation, faire de la musique, tourner et sortir ce deuxième album. Et que le producteur que nous avons choisi - et qui nous a presque dit oui - accepte de travailler avec nous.