Duke Garwood joue de la musique depuis la fin des années 80s, et je le connaissais sans le connaître via sa participation à Archie Bronson Outfit à la clarinette et ses collaborations avec Mark Lanegan, et vous avez probablement entendu les membres de son prochain groupe jouer avec R.E.M., Nick Cave, PJ Harvey ou Queens Of The Stone Age. Son morceau Satin Warrior et sa vidéo en plan séquence qui déroule une peinture sur huit minutes ont attisé ma curiosité et j’ai eu envie d’en savoir plus.
Rendez-vous est pris ! Via Zoom, Duke me reçoit chez lui, me montre la magnifique vue depuis son balcon et nous discutons de sa musique, des différents types de guerriers, de la puissance de la musique, tout cela autour d’une tasse de thé à l’anglaise.
Quelle est l’histoire derrière Satin Warrior, ton nouvel album ?
Pour être honnête, il n'y a pas vraiment d'histoire. Tout a commencé et tourne autour du morceau principal, Satin Warrior. C'est un album réalisé sur une longue période, je l'ai commencé avant la sortie de mon précédent album, Rogues Gospel. Je dirais que j'ai commencé environ huit mois avant sa sortie (ndlr : l’album a vu le jour en novembre 2022). J'ai enregistré plein de trucs dans le studio où j'ai mixé Rogues Gospel. J'ai enregistré beaucoup de duos avec Paul May (ndlr : batteur). Nous avons accumulé pas mal de musique. Ensuite, je suis allé en Italie et j'ai travaillé sur un autre album avec Hugo Race (ndlr : un des premiers guitaristes des Bad Seeds). J'ai fait quelques trucs là-bas, j'ai fait un autre album et enregistré des parties de voix. Le studio et l’ambiance étaient incroyables. J’ai joué avec plein d’autres musiciens dont Aaron Lumley, un bassiste basé à Amsterdam. Bref, on a enregistré et enregistré encore. Certains enregistrements remontent au confinement.
J’ai redécouvert ces morceaux après avoir perdu la notion du temps et fait mille choses entre les deux. J'ai eu l’impression de trouver des pépites. Alors je suis retourné travailler dessus et c'est comme ça que Satin Warrior est né. Il est né de ces morceaux qui étaient vraiment forts mais qui avaient été un peu négligés. La sortie de Rogues Gospel a pris beaucoup de temps à cause de l'arriéré post-confinement, il fallait un an pour produire des vinyles. Le retard s’est accumulé, comme un élastique qui s'étire et s'étire, d’autant plus que je suis parti en tournée aussi. Entre-temps, j’ai fait d’autres choses mais je ne les avais pas oubliées. La redécouverte de ces morceaux était tellement merveilleuse qu'elle a inspiré cet album. Ce ne sont pas des morceaux oubliés, ils sont très spéciaux. Ça a été un processus très différent de Rogues Gospel réalisé en deux semaines.
Tu parles déjà de l’album suivant, est-ce que tu as toujours plusieurs choses à la fois en préparation ?
Oui, j’ai toujours plein de choses en préparation. Le prochain album sera très particulier et magnifique. Je l'ai enregistré sur une péniche sur le lac Puccini avec Hugo Race et Nicola Baronti. Juste après, il y aura un album que j'ai fait avec Peter Buck (ndlr : guitariste de REM), Barrett Martin (ndlr : batteur de Screaming Trees) et Alain Johannes (ndlr : collaborateur de Queens Of The Stone Age et PJ Harvey), un super nouveau groupe. Mais Satin Warrior sort en premier, et c’est un disque très spécial, c'est l'album des révolutionnaires.
J'ai vu la vidéo que tu as faite pour le morceau titre, je suppose que c'est toi qui as fait la peinture ?
Oui, je peins sur des rouleaux de papier chinois, ce qui est très long. Un rouleau de papier de riz fait environ 50 centimètres de large et 20 à 22 mètres de long. Je peins tout le rouleau d’une traite et ensuite je le colorie. Cette partie peut prendre plusieurs mois. La vidéo, c'est juste moi en train de dérouler le rouleau sous une caméra fixe. C'est pour ça que ça bouge un peu. C'est censé être brut, mais c'est comme la première vue complète de l'une de mes œuvres. Je trouvais que ça allait super bien avec la musique parce que ça prenait autant de temps que la musique pour dérouler le rouleau. C'était une belle coïncidence.
Quand as-tu commencé la peinture ?
Quand j'étais gamin, mais je peins comme ça depuis environ 2000. J'ai beaucoup de ces rouleaux, j'en fais quelques-uns par an, ça prend du temps. Je peins aussi sur des feuilles normales, mais j'aime bien faire ces longs rouleaux. Un jour, j'aimerais les exposer.
Comment comparerais-tu le processus créatif de l'écriture musicale et de la peinture ?
C'est différent. La peinture est une sorte de méditation solitaire. Mais j'utilise les mêmes méthodes dans le sens où je peins de la musique, je peins des partitions musicales avec la même liberté de forme que j'appliquerais à l'improvisation à la guitare. C'est seulement quand je commence à utiliser des couleurs que c'est légèrement différent, parce que je dois réfléchir. Mais si je peins juste en noir sur blanc, c'est le moyen le plus direct de l'esprit à la page. Donc c'est plus comme écrire de la musique, mais dans un sens improvisé et libre. Et je trouve qu'elles s’alimentent mutuellement. Si je suis dans le flow avec la peinture, alors la musique a tendance à être dans le flow aussi. Ajouter des couleurs, ce serait faire des overdubs. Tu poses une piste, seul ou avec quelqu'un d'autre. Ensuite, quand tu reviens dessus et que tu commences les overdubs, que certains appellent tracking, c'est là que tu ajoutes des couleurs à la pièce. Tu commences à faire ressortir des choses, à donner vie à la pièce. Mais parfois, je pense que la base de l'histoire est posée dans la première prise.
Tu peux faire une première prise quand tu peins ?
Oui, quand je peins, c'est toujours une première prise. Tu ne peux pas revenir en arrière. Si ce n'est pas bon, tu le jettes. Tu n'as qu'une seule chance parce que j'utilise de l'encre sur du papier, donc il n'y a qu'une seule chance. J'aime ça. Pareil pour l'enregistrement, une seule prise. Quand je travaille avec d'autres personnes, je m'autorise peut-être deux ou trois prises, mais si ça ne marche pas en trois, ça ne marchera jamais.
Tu as enregistré le premier titre Satin Warrior en une ou deux prises, mais que s’est-il passé après ?
Tout ce qui est sur l'album vient d'une seule prise, et tout a été fait en une fois. C'est comme ça qu'on fonctionne. C'est juste que ça a pris du temps de rassembler tous les éléments. Beaucoup de choses étaient cachées sur de vieux disques durs, et c'était comme si elles avaient été archivées ou cachées et attendaient d’être redécouvertes.
Quel est le fil conducteur entre tous ces éléments ?
Je pense que c'est parce qu'elles devaient avoir l'essence de différentes émotions. Certaines sont très tendres, d'autres sont très dures. Je voulais qu'elles soient des joyaux individuels, chacune avec sa propre identité. Je ne voulais rien de répétitif, je voulais que chaque morceau soit unique et puisse exister seul ou sur l'album. La plupart d'entre elles sont nommées « warrior » (ndlr : guerrier), à deux ou trois exceptions près, mais elles font toutes références à différents types de guerriers. Si tu as Satin Warrior, il y a aussi Pretty Warrior, Drifting Warrior, Tangerine Warrior, et elles ont toutes leur place spéciale dans le cadre de cet album révolutionnaire.
Quel genre de guerre mènent-ils ? Pourquoi se battent-ils ou que protègent-ils ?
Ce sont des guerriers au sens poétique du terme. Si tu es un artiste, surtout un musicien, tu partages la discipline des guerriers. J'ai parlé avec de vrais guerriers que je connais, qui ont dû se battre et tuer, et ils pensent qu'un musicien vraiment discipliné a beaucoup de choses en commun avec eux. Mais nous opérons dans un théâtre d’opération très différent. Nous nous battons aussi pour quelque chose, une vérité en quelque sorte, ou une manière de donner aux gens un sanctuaire loin de tout. Avec la musique nous protégeons l'espace personnel des gens pour qu'ils puissent être comme ils ont besoin d'être pour être heureux. Donc, en quelque sorte, en protégeant les gens, nous leur donnons un coup de pouce, nous les rendons heureux. C'est une idée conceptuelle, mais c'est très réel.
C'est intéressant que tu aies commencé ce projet pendant le confinement et que ça sorte maintenant, l’époque est très différente mais tout aussi stressante...
Pour des raisons très différentes, oui. Le monde est sur le point de s'effondrer, c'est incroyablement stressant. Et c'est pour ça que je voulais aussi une musique qui soit un défi pour moi, un défi à jouer. Pas nécessairement un défi à écouter, mais quelque chose qui te fasse réfléchir. Il est très facile de faire de la musique apaisante, mais cette musique n'a pas de relief. Tu peux l'utiliser pour t'endormir ou quelque chose comme ça, et c'est bien, peut-être de la musique méditative. Mais je ne fais pas ce genre de musique. Ma musique est faite pour inspirer quelque chose, et si elle ne m'inspire pas d'abord, personne ne l'entendra jamais.
Tu as mentionné l'improvisation et le fait de mettre beaucoup de toi dans la musique. Comment ça fonctionne ?
J’y mets beaucoup d’âme. Quand je parle d'improvisation, je veux dire que, par exemple, Pretty Warrior est une pièce entièrement improvisée. Elle est venue de rien. Ensuite, j'ai écrit des paroles qui allaient avec. Mais en ce sens, c’est quelque chose sur laquelle j'ai toujours travaillé. Un ami à moi l'a bien formulé, tu pourrais dire « Ouais, on a posé ce morceau en dix minutes, mais en fait, on l'a écrit toute notre vie ». Il y a aussi un musicien de jazz que j'aime beaucoup, je ne me souviens plus de son nom, mais il disait qu'on compose en jouant. On ne compose pas avant de jouer et ensuite on essaie de le jouer. On commence à jouer et en jouant, on compose. C'est ce genre d'improvisation dont je parle. Donc, le morceau lui-même peut être quelque chose que je joue tout le temps, comme une méditation, une pratique. Ensuite vient le moment d'enregistrer, et si tu es dans le bon état d'esprit et que l'ambiance est bonne, ça prendra vie et ça semblera être quelque chose de nouveau. Ce n'est pas vraiment nouveau, mais c'est né à ce moment-là de manière unique. Donc, en quelque sorte, c'est une composition en direct, tu entends une composition être écrite devant toi. C'est comme si tu regardais quelqu'un faire une sculpture, pas en argile parce que tu peux la reformer, mais plutôt comme une composition taillée dans la pierre.
Comment ça se passe en studio ? Peux-tu te mettre dans le bon état d’esprit à la demande ?
On entre, on installe les instruments, on trouve notre son, et l'ingénieur ajuste tout et monte le volume. Ensuite, on commence à jouer directement. On ne reste pas assis à attendre. Il n'y a pas de longue préparation. On commence tout de suite. Parfois, il faut enregistrer dix ou quinze morceaux pour se dérouiller, se débarrasser de la léthargie, ou de tout ce qui te pèse. Mais tu laisses aussi tout ce qui t'affecte passer à travers la musique parce que tu ne peux pas juste mettre ta vie de côté parce que tu es en studio. Au lieu de ça, tu laisses tout ça être le carburant de ce qui va venir. Parfois, les premiers morceaux peuvent être un peu brouillons, manquer de focus ou être trop chargés. Mais après quelques morceaux, tu trouves cette énergie et tu trouves le groove. Quand j'écoutais toutes les sessions qu'on a faites, c'était pour trouver ces morceaux qui pouvaient condenser l'énergie correctement et qui avaient l'essence pour dire « C'est le bon ». Peut-être un sur quinze ou vingt qui pouvaient raconter une histoire de manière concise et intéressante.
Ce n'est pas vraiment un album solo, n'est-ce pas ?
Oui, absolument. Je pense à l'appeler « Duke Garwood Band » ou quelque chose comme ça, parce qu'il y a toujours d'autres musiciens. C’est surtout moi et le batteur mais il y a aussi Aaron Lumley et Hugo Race. Il joue de la guitare wah-wah sur Tangerine Warrior. Je ne sais pas qui est le Tangerine Warrior, mais peu importe. C'est définitivement un truc de groupe. Pour la prochaine tournée, je serai seul, mais j'essaierai quand même de jouer certains morceaux de l'album. Mais c'est comme tout, je mets juste mon nom dessus parce que c'est plus simple comme ça, parce que j'écris toutes les chansons.
Tu joues de la guitare, du piano, de la clarinette... Sur ta photo de profil sur Spotify, tu es avec un saxophone. Comment choisis-tu de prendre un instrument ou un autre pour exprimer une idée ?
Ah, j'essaie de me débarrasser de cette photo. Elle date de quand j’étais SDF à Brixton, j'étais fou à ce moment-là. La guitare est mon instrument principal. Mais je peux jouer des instruments à vent, des guitares, de la basse, du piano et des percussions. Ce sont mes principaux instruments. Je peux jouer de la batterie, mais je ne voudrais pas que quelqu'un me demande de jouer dans son groupe à la batterie. Mais je peux gérer les autres instruments, définitivement les cuivres. Je suppose que ma principale compétence, c'est la guitare, les cuivres et la voix. Et le piano. J'adore le piano, j’en joue depuis l'âge de trois ou quatre ans, ils pensaient que j'étais spécial à l'époque. Si je m'assieds au piano, je peux absolument écrire certaines choses et d'une manière différente. Mais je ne suis pas sûr de pouvoir jouer du piano et chanter en même temps. Je devrais réapprendre beaucoup de choses pour pouvoir le faire. C'est pour ça que je joue toujours de la guitare et que je chante en même temps.
Les instruments font ressortir des émotions différentes. Ce n'est pas juste moi, c'est un peu comme être des personnes différentes. Tu prends le saxophone ou la clarinette, et à cause de leur nature, tu peux exprimer un côté complètement différent de toi-même avec ces instruments. Dans les derniers concerts, je jouais des cuivres et ça a vraiment bien marché. Le public a vraiment aimé, et je pense que ça montre peut-être le besoin des gens d'avoir ces sons plus simples et honnêtes, parce que tu peux vraiment manipuler le son d'une guitare au point où ça sonne détaché du joueur. Beaucoup de joueurs utilisent tellement d'effets maintenant qu'ils se sortent presque de l'équation. Ils pourraient juste jouer d'un clavier ou quelque chose comme ça, ça ne sonne plus vraiment comme une guitare ou n'a plus l'essence de ce que je considère être une guitare : la lutte avec des fils de métal pour essayer de faire quelque chose qui marche.
Il y a des guitaristes qui sont très bons avec les effets, mais il y a quelque chose de très honnête avec les cuivres, dans la communication directe entre tes lèvres et ce petit morceau de bambou, et ensuite le son qui en sort. C'est très nécessaire, surtout pour des gars comme moi qui sont davantage chanteurs que jazzmen. Je n'ai rien contre les jazzmen, mais le jazz a son propre monde et sa propre communication, il lui manque souvent la puissance des mots, de ta voix pour raconter l'histoire et dire ce que ça signifie. Je me sens comme si je pouvais juste créer une énergie, une sorte de chose extatique.
Merci de m’avoir ouvert le monde de Satin Warrior !