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SPRINTS
The Clockworks

Paris, Le Pop-Up du Label - 16 mai 2022

Live-report par Adonis Didier

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La mi-mai, les premières grosses chaleurs de l'année sont là, l'été s'annonce déjà, et on peut enfin rester en terrasse après 21h sans sortir la doudoune. Pour ce troisième soir de la French Escapade au Pop-Up du Label à Paris, les thermomètres annoncent allégrement entre 25 et 30°C jusque tard dans la nuit. C'est donc avec un petit pincement au cœur que l'on entre la petite salle encaissée, en traversant préalablement la terrasse bondée de gens courts vêtus sirotant bières ou mojitos. Au programme du soir, quatre groupes, trois ambiances et demies, et un voyage qui part des plages de la côte Fleurie, se prolonge par une longue escale dans les pubs de Dublin, et se finit par un pogo, tard dans la nuit de Venice Beach, Californie.


La soirée est lancée par Own, sympathique compositeur caennais qui nous rappelle gentiment que des gens qui ne sont pas nous boivent actuellement des Monaco en bord de Seine, grâce à son indie pop que l'on qualifiera de vintage. Le pull vert au col violet façon blouson Fusalp ainsi que la Rickenbacker annonçaient la couleur. Set-up guitare/voix simple, seulement accompagné d'un batteur et des quelques samples de rigueur. Le show est efficace, rigolo, on se surprend à taper le rythme et dodeliner la tête en même temps qu'Own se déhanche pour faire marrer la foule. Honnêtement, on ne s'attendait à rien, et on a passé une quarantaine de minutes à chiller par procuration dans un transat sur la plage de Deauville. A ranger dans la catégorie « cool en été ».

Changement d'ambiance assez radical alors que se présente un des gros morceaux de la programmation. Les quatre irlandais de The Clockworks font instantanément redescendre le délire chromatique et se fondent dans l'ambiance de la salle bas de plafond. OK, l'Irlande c'est vert et orange, mais quand on fait du rock, on met des perfectos ou des tailleurs, et noirs s'il vous plaît. Tout juste si le bassiste s'autorise une chemise rayée blanche à moitié ouverte, du genre que personne n'oserait mettre en dehors des îles britanniques. Pour finir le point « tuons la mode ce soir », le frontman James McGregor nous offre un combo tailleur noir aux manches un peu trop longues et t-shirt Nike noir et blanc du meilleur goût.
Passée l'étude approfondie de leur style vestimentaire, la musique débarque, et force est de constater qu'on est dans le même esprit. Ici on chante les dents serrées, l'index tremblotant, et les mains crispées sur le micro. Le concert se lance sur Endgame, leur dernier single, et premier titre de leur EP éponyme. La guitare lead de Sean Connelly agresse d'entrée, les aigus se font abrasifs, coupent dans les amplis comme des lames de rasoir rouillées. James nous jette ses paroles au visage, les mâchoires contractées, avec une rage contenue, à fleur de peau, de lad contestataire. Dès la deuxième chanson, celui-ci pose la Stratocaster rythmique, agrippe le micro à deux mains, et commence à débiter Bills And Pills comme un jeune cadre sup' cocaïné. A peine le temps de donner du timide et/ou détaché « bonsoir, we're The Clockworks » que les chansons défilent, enrobées de balayage de mèche, d'énervement maîtrisé, et d'une certaine efficacité pop précieusement protégée derrière les barricades. On reconnaît au premier coup d'œil des rejetons de la récente vague dublinoise, avec de légers accents britpop. On râle, mais avec classe, toujours un air mi-gamin des rues mi-détaché sur le visage, le tout en étant fringué n'importe comment.


Passée la cinquième chanson, James tombe enfin la veste de tailleur, accompagné d'un furtif « ouh il fait chaud » en VF dans le texte, qui servira de deuxième et presque dernière interaction parlée avec le public. En parlant d'avoir chaud, on se demande comment notre laddie Tom Freeman s'en sort, lui qui gesticule partout dans son coin depuis vingt minutes en tenant sa basse sous l'aisselle comme une gatling à cordes. Malheureusement pour lui, on le voit plus qu'on ne l'entend, et on attendra donc Can I Speak To A Manager? et son riff bondissant et dansant pour que le mix lui donne enfin un peu d'espace. La chanson en profite pour sortir de l'autoroute punk et donner au public un peu de contraste. On calme le tempo, on marmonne, avant d'hurler avec ce qui semble avoir nettement plus de résonance. Ça fait bouger la tête des gens, et les woo-hoo de fin se font un peu plus naturels pour accompagner le bien placé « can I speak to a manager s'il vous plaît ? ».
Suite des festivités, James repose la guitare pour attaquer The Future Is Not What It Was. Comme sur Bills And Pills, la perte de sa guitare le rend naturellement plus communicatif, et on se surprend à percevoir des émotions un peu plus variées derrière la dégaine de rebelle. Le set se termine naturellement par Enough Is Never Enough, plus gros succès du groupe à ce jour, dont on ne regrettera que l'absence du petit supplément d'âme que l'on est en droit d'attendre pour une ultime chanson.
Au final, malgré les faibles 9m² dignes d'un appartement parisien dont ils disposaient, The Clockworks n'ont jamais semblé être à l'étroit ou vouloir agrandir la scène, symptôme d'un jeu de scène encore assez limité et distant, qui aura finalement peiné à emporter un public constitué de curieux rockers. Et pourtant, les chansons sont bonnes, voire très bonnes, et le groupe sonne infiniment plus punk en live qu'en studio. La forme musicale est déjà là, ne manque sans doute qu'à créer un peu plus de contraste dans le set, alterner plus régulièrement la pleine vitesse et les moments de tension, et surtout aller chercher un public qui, dans le fond, ne demande qu'à adhérer. Comme quoi, n'est pas un mystérieux rebelle magnétique qui veut, mais qui sait, et peut-être qu'une foule un peu plus acquise à la base saurait les dérider.

"You gonna faice some mousic, shot the fock op" : chez Sprints, on appelle ça dire bonjour. Première en France pour eux aussi, deuxième groupe dublinois de la soirée, on attendait avec impatience de voir en action A Modern Job, leur nouvel EP, dans lequel ils semblent enfin avoir trouvé leur style de garage punk, plus direct, moins bruitiste. Comme un pied de nez, le set attaque par Drones, sans doute la pièce la plus noise-rock de leur répertoire, premier titre de leur précédent EP, Manifesto. La chanson a au moins le mérite de nous poser rapidement ce que va être ce concert. La basse de Jack Callan (le même qui nous a dit de nous taire) gronde, le master à fond, Colm O'Reilly attaque ses expériences sonores de nerd sur sa Telecaster, pendant que Karla Chubb nous signifie que nous n'aurons d'yeux que pour elle ce soir. Support au bordel ambiant, également armée d'une Telecaster, elle est surtout la maîtresse de cérémonie, la diva de la soirée. Que ce soit par sa présence physique imposante, sa chevelure blonde-rousse éclatante, son déhanché et ses moues de reine de la nuit, le mix improbable qu'elle représente entre Debbie Harris et une pinte de Guinness, sans oublier le coffre et l'énergie phénoménale qu'elle déploie à chaque chanson pour toujours se placer devant les guitares, tout nous attire inévitablement à elle lorsque nos regards se posent sur la scène.


C'est elle qui mène les échanges avec le public, nombreux, drôles, emprunts de folie, de l'envie de se défouler et de faire remuer son monde. Seul Jack, armé de son énorme basse noire demi-caisse, prendra lui aussi de temps en temps la parole, histoire de distiller quelques piques de rocker irlandais bourru, accent inclus. Pour preuve cet échange où Karla demande au public si des gens sont venus en les ayant écoutés avant, cinq ou six voix se font entendre, et Jack de répondre que cela fait cinq de plus que prévu.
Côté musique, on attendra la quatrième chanson du set pour enfin tâter du dernier EP, après un Manifesto tout en breaks et déchaînements vocaux. Modern Job est telle qu'on l'imaginait, ça gronde, ça racle les cordes dans les aigus, ça tabasse, et Karla Chubb, aka Debbie Guinness, n'en finit plus de s'époumoner pour faire bouger le public. Enchaînement naturel avec Delia Smith, la formule est trouvée, Karla déclame en montée crescendo dans l'intensité, plus habitée à chaque mot prononcé, le groupe se coupe, ne reste qu'elle qui hurle pour lancer le refrain, et naturellement la salle se chauffe, les envies de bouger et de pogoter se font sentir. Mais l'heure n'y est pas encore tout à fait, et le véritable foutoir arrive juste après.

Karla harangue encore un peu la foule, nous jette un « they say Paris can't get messy ! », alors que The Cheek porte la formule musicale susmentionnée à son paroxysme. Elle en profite pour poser la guitare, fait le spectacle, accompagne chaque phrase, chaque mot, d'une mimique, d'une moue, d'un mime ou d'un déhanché. Pause dans la chanson au moment du pont, la basse et la batterie tiennent le tempo en fond, pendant que Karla nous annonce que leur tour manager, au premier rang, est française. Celle-ci monte sur scène sous les acclamations, suit le mouvement du pont, murmure de plus en plus fort des « je sais qu'il est mauvais » auxquels Karla répond en faisant monter crescendo les « I know that he's bad », jusqu'au refrain où tout le monde hurle et saute sur scène, en partie accompagné par un public rentrant de plus en plus dans l'ambiance, doublant les hourras et autres woo-hoo.
Conséquence impromptue de ce surplus de personnel scénique, Jack passe trente secondes à rebrancher toutes ses pédales pour retrouver du son, tandis que Karla pousse un angélique « oops, looks like we broke the bass ». La basse résonne à nouveau, et on enchaîne les chansons jusqu'au sommet de la soirée, et plus grosse réussite de Sprints jusqu'à présent, Little Fix. Debbie Karla Chubb nous annonce que la chanson va être filmée, fait mine de se remaquiller. Quelqu'un lui crie « gotta fix my hair », elle renvoie « yeah, me too b*tch », et la chanson démarre. Enfin, cinq secondes, le temps que tout le monde trouve le tempo, et on recommence. On évitera juste de mettre cette partie au montage. Et encore que. Parce que Sprints ne seront jamais propres, ou politiquement corrects, ou ne serait-ce que sobres. Little Fix est un petit déferlement, Karla fait toujours plus de show, monte sur les speakers de retour, une main sur le plafond, l'autre sur le micro. Ça commence à se bousculer un peu dans le public. La température de la salle dépasse allégrement la température extérieure. La chanson s'étire, le tempo ralentit, puis accélère, ralentit à nouveau... ça joue, ça s'amuse, et ça met le bronx.

Le bronx, le bazar, le foutoir, appelez ça comme vous voulez, Sprints c'est un peu de tout ça en live. Pas les plus propres, pas les plus calés, mais ça ne s'arrête jamais de revenir à la charge, ça hurle, ça harangue, et ça joue toujours plus fort, avec comme pièce maîtresse les performances scéniques de leur frontwoman. Alors oui, ils ne seront sans doute jamais amenés à fréquenter des scènes vraiment plus grosses que ça, mais c'est comme ça qu'on les aime : bas de plafond, serrés, au plus proche. On ne peut maintenant qu'espérer les revoir vite, avec peut-être un premier album, qui pourrait bien tourner longtemps comme une petite pépite de garage punk irlandais. De celles qu'on garde comme un trésor snob, ou dont on ne cesse de parler à tout le monde, c'est selon.


a La soirée se termine par l'entrée en scène des californiens de Kills Birds. Nouveau groupe préféré de Dave Grohl et Kim Gordon selon les tourneurs et les syndicats, on est encore sur une première en France. Pas de mascarade, on est en live face à du grunge nineties des moins mélodiques, mixé à des breaks constants façon System Of A Down des débuts. La basse fait bourdonner l'estomac, le son est gros, gras. Le rythme casse en permanence, et ça gueule plus que ça ne chante. Limitation live faisant, la chanteuse Nina Ljeti peine à faire passer une quelconque mélodie tant elle se tue à hurler. On ne pourra cependant pas lui reprocher de manquer d'émotions, elle qui a les yeux constamment exorbités, et fixer son regard sans ressentir ce qui semble lui sortir directement des tripes relève de l'exploit. Le public se scinde donc assez logiquement au bout de deux ou trois chansons entre une dizaine d'énergumènes en plein pogo, et des observateurs un peu plus circonspects en manque d'harmonie musicale. En conclusion, et pour avoir testé les deux configurations, Kills Birds, en live, est à conseiller à qui veut se défouler et pogoter en communion avec une chanteuse déchaînée mais malheureusement assez limitée vocalement.

On sort finalement de cette troisième partie de La French Escapade 2022 en se disant qu'on y retournerait bien l'année prochaine. Pour un lundi soir, on a eu de belles découvertes, quelques attentes, et un peu de sueur. Ça tombe bien, il fait toujours 25°C dehors, et comme on va sans doute devoir rentrer à pied grâce à la RATP, autant avoir des chansons plein la tête.
setlist
    b>The Clockworks
    Endgame
    Bills And Pills
    Feels So Real
    Stranded In Stansted
    Money (I Don't Wanna Hear It)
    Can I Speak To A Manager?
    The Future Is Not What It Was
    Enough Is Never Enough

    Sprints
    Drones
    Heavy
    Manifesto
    Modern Job
    Delia Smith
    The Cheek
    How Does The Story Go?
    Little Fix
    Literary Mind
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