Cucamaras

La musique, et l'art en général, se doivent-ils d'être originaux ? Et quitte à pomper et à se laisser influencer, doit-on le faire dans la cohérence stylistique, ou l'important n'est-il que d'aligner des chansons sans soucis du patchwork final que l'on va accrocher dans la boutique du disquaire ? Bienvenue dans une nouvelle chronique rock anglais et philo filou du PMU, avec en invités principaux les Cucamaras, quatre jeunes gens de Nottingham au nom sentant bon la samba et les plages de sable fin made in Rio de Janeiro. Sauf que Nottingham, c'est pas Gijón, c'est pas Valladolid, et c'est pas franchement Rio non plus. Ainsi, ne vous fiez pas à leur nom, la musique dont nous allons parler aujourd'hui n'a rien d'exotique, et comme vous vous en doutez sûrement grâce à la pertinente pertinence de mes questions philosophiques, rien d'original non plus.

Et c'est là tout le débat qui va nous agiter aujourd'hui. Car la musique de Cucamaras est un melting-pot revisité façon bestiaire de tout ce qui agite aujourd'hui la petite sphère du rock anglais à tendance post-punk. Et de la même manière que l'on aurait revisité une quiche lorraine en disposant un œuf brouillé au côté d'une tranche de lard elle-même placée près d'une plâtrée de crème fraîche, le tout sur de la pâte feuilletée cuite à part, Cucamaras nous procure gentiment un guide en cinq déclinaisons des différentes façons de faire du rock anglais en 2023, alors préparez-vous pour le name dropping, parce que ça va y aller à fond :

• Do Nothing ouvrent le bal avec Porcelain. Pardon, on me dit dans l'oreillette que non, c'est bien Cucamaras. Une basse groovy, des guitares erratiques, un chant calqué sur la tonalité et le phrasé du délicieux Chris Bailey, tout y est pourtant, même l'IGP Nottingham sur le paquet.
• Cette compilation post-punk se poursuit avec un inédit d'Hallan, la coupante et croquante Greener Lands. Ah non, c'est encore Cucamaras ? Le drive de la basse et le coup des guitares stridentes, j'aurais pourtant juré.
• Allez, cette fois, avec Opus Kink on est bon ? Ou pas. Wilmslow Storm Warning se permet pourtant le luxe de leur emprunter leur folie maudite, leur style victorien à tendance nouvelle d'épouvante, ainsi que leurs chœurs graves placés tout le long de la ligne de chant, symbole du nombre de voix qui hantent les cerveaux torturés de la bande.
• Ah tiens, Alex Turner est passé faire un feat au chant pour Cotton Wool ? Toujours pas, la ressemblance est pourtant frappante, et Sheffield n'est finalement qu'à soixante kilomètres de Nottingham. Plus sérieusement, je vous laisse pour aller faire des vues Youtube en faisant passer la chanson pour une démo encore inconnue de l'album Suck It And See des Arctic Monkeys. Tout y est, le flow crooner de Turner post-2010, les montées de guitare, même le timbre de voix semble différent des autres chansons de l'EP, et calé sur celui de l'auteur-compositeur le plus fashion de la décennie.
• Pour finir, le mix se fera entre Yard Act et les déjà mentionnés Do Nothing, et j'imagine que vous connaissez suffisamment Yard Act pour que je n'ai pas à vous dire en quoi l'on entend que ça sur Bleachers Yard, même si c'est gonflé d'avoir glissé un Yard dans le titre quand on connaît l'inspiration.

Et pourtant, l'EP est bon. Et quelque part, ce que l'on peut le plus reprocher à Cucamaras, ce n'est pas de manquer de talent, parce que récupérer des formules pour en faire des chansons aussi qualitatives n'est pas donné à tout le monde, mais bien de se chercher de manière aussi visible, de tenter un nouveau style à chaque clic de la console d'enregistrement, et de débarquer sur un marché déjà bien saturé sans véritablement d'idées neuves. Comme souvent dans ces cas-là, on n'enterrera pas la bête pour des errances de jeunesse, et qui sait si d'avoir aussi bien saisi leur époque ne va pas leur permettre de la transcender dans un futur album que l'on espère novateur, parce qu'il faut bien rêver un peu dans la vie.