Chronique Single/EP
Date de sortie : 10.11.2023
Label :Ninja Tune
Rédigé par
Franck Narquin, le 6 novembre 2023
Postpunker4ever.77 (pseudonyme d'un de nos fidèles lecteurs) s'offusquait récemment sur notre forum de la complaisance de Sound of Violence envers les artistes signés chez Ninja Tune, un label assez loin de l'ADN d'un site spécialisé dans l'actualité du rock britannique. On lui répondra gentiment que comme Alain Delon on se passe volontiers des tests ADN (pourtant on jure que nous n'avons couché avec aucun membre du Velvet Underground ni même, et on le déplore, de Jockstrap) et qu'en 2023 les frontières entre genres musicaux nous paraîssent aussi désuètes et anachroniques qu'un range-CD ou un album de Kula Shaker. On préférera nettement souligner la prodigieuse diversité et le niveau d'excellence des récentes sorties du label en citant pêlemêle Young Fathers, Black Country, New Road, Nabihah Iqbal, Speech Debelle, Barry Can't Swim, BICEP, Actress ou Forest Swords.
La nouvelle pépite de Ninja Tune se nomme George Riley, étoile montant du R&B londonien s'inspirant autant de la soul que de la musique électronique avant-gardiste. Hormis son joli minois et son évident talent, un indice permet de prévoir l'explosion imminente de la jeune artiste de vingt-six ans. C'est bien simple, tout le monde veut travailler avec elle, et surtout les meilleurs. Si son duo avec Anz sur You Could Be est bien trop mièvre pour nous, il prouve que la londonienne est aussi à l'aise dans un registre électro underground que pop mainstream. Son premier album est sorti sur PLZ Make it Ruins, le label de Vegyn (le producteur le plus chaud d'Angleterre, dont raffolent Frank Ocean et James Blake), elle a ouvert pour les concerts de Kelela et Greentea Peng et posé sa voix sur les derniers albums de Sampha et SBTRKT. C'est ce qu'on appelle, chez Gala, du beau monde.
Vous avez besoin d'un peu plus de name-dropping pour être pleinement convaincus ? Passons alors à liste des producteurs et collaborateurs de Un/limted Love. Lust débute tout en douceur avec ses quelques notes de pianos, ses cordes légères et sa voix de velours dans la veine des productions les plus romantiques de Sault jusqu'à ce que les glitches de Loraine James, autre tête chercheuse enthousiasmante de l'electronica anglaise, ne viennent subtilement perturber cet état de grâce. On reste un peu frustré par la courte durée de ce titre car on sait qu'une collaboration entre ces deux-là peut nous offrir bien plus que cette simple introduction de deux minutes en forme de haïku. John FM, producteur de Detroit et petit protégé d'Omar S, fait le job sur Skin, ni mou-mou, ni fou-fou et sur Satisfy You, nettement plus satisfaisant mais un ton en dessous des trois autres titres à venir. Elixir, impeccable hit de house music old-school aussi solaire que mélancolique, produit par le californien Nick Sylvester, grand spécialiste du genre aux manettes des albums de Channel Tres et Yaeji, nous rappelle qu'on a le droit de faire rimer danse avec exigence.
On résume : George Riley est « hot as fuck », « cool as hell » et peut dire qu'elle a clairement « all eyes on me » (ndlr : le franglais sur un site français parlant de musique anglaise, ça passe !). Il manque juste un ou deux morceaux hors-normes pour qu'on puisse affirmer sans crainte qu'on tient bien notre « next big thing ». Banco, Un/limted Love en contient deux ! Avec sa production minimaliste signée par Actress évoquant le travail de The Neptunes (Pharell Williams et Chad Hugo) dans une vibe très berlinoise et un chant R&B nerveux et sensuel typique du début du siècle, Star pourrait n'être qu'un sympathique revival early-2000 et pourtant ce morceau impressionne par son éclaboussante modernité. On se croirait à un concert de Destiny's Child au Berghain. Pour finir de nous convaincre, George Riley s'est acoquinée avec Hudson Mohawke, DJ écossais et tête de file de l'écurie Warp Records, pour pondre la bombe S.E.X. dont la vidéo a été réalisée par Tom Furse, membre de The Horrors. Ce banger imparable mélangeant house, techno, jungle, rave, rap et R&B s'impose comme un classique instantané de retro-futurisme dance.
Avec Un/limited Love, George Riley prouve qu'elle a tout pour devenir une grande artiste crossover. Elle a le monde à ses pieds, il ne lui reste qu'à se fixer un cap et choisir les bonnes personnes pour l'accompagner. Si elle persiste dans la voie dessinée par Star et S.E.X., on risque de la retrouver à la fois tout en haut de charts et des classements des meilleurs albums de l'année. Si elle oublie trop vite sa veine underground pour se lancer à corps perdu dans les collaborations mainstream, elle se paiera de jolies voitures et une sublime piscine, mais on ne sera plus là pour en parler. On serait encore plus déçu pour elle si elle se limitait à un entre deux, pas complétement absent sur cet EP, se contentant de surfer sur la vague du retour attendu du néo R&B des années 2000.
George Riley sera-t-elle la nouvelle star ? Faites vos jeux ! De notre côté, on est plus qu'optimiste car on sait très bien que si George bûche, son prochain album risque d'être une arme de destruction massive.