Chronique Single/EP
Date de sortie : 30.05.2025
Label :Domino Records
Rédigé par
Franck Narquin, le 29 mai 2025
La musique c'est comme l'amour, c'est toujours mieux à trois. Avec Demise Of Love, Daniel Avery, James Greenwood (alias Ghost Culture) et Sydney Minsky-Sargeant (Working Men's Club) forment une alliance aussi inattendue que parfaitement cohérente. Trois visions, trois tempéraments, trois manières d'envisager la musique électronique comme un terrain d'émotions, de collisions et de réinvention.
Commençons les présentations par celui qu'on ne présente plus : le grand Daniel Avery. Ancien guitariste passé derrière les machines, révélé en 2013 par Drone Logic, il a depuis imposé une techno cérébrale et sensorielle, nourrie d'ambient, de shoegaze et d'acid house. Une discographie sans faute, et des collaborations remarquées avec des poids lourds tels que Nine Inch Nails, Depeche Mode ou Slowdive l'ont définitivement installé parmi les figures tutélaires de la scène électronique contemporaine. À ses côtés, James Greenwood, alias Ghost Culture, producteur londonien aussi discret qu'essentiel. D'abord musicien de formation classique, il s'est révélé avec un premier album solo sur le label Phantasy Sound avant de devenir l'architecte sonore derrière les deux premiers disques de Kelly Lee Owens. On lui doit également des collaborations précieuses avec Anna Prior ou Alison Goldfrapp, où il fusionne comme personne précision techno et mélancolie pop. Enfin, Sydney Minsky-Sargeant, homme-orchestre de Working Men's Club, incarne la relève post-punk électronique anglaise grâce à ses rythmiques martiales, ses synthés acides et son énergie live brute. Il multiplie les projets parallèles, notamment Minsky Rock avec Ross Orton, et vient tout juste de prêter sa voix à Goit, morceau d'ouverture du somptueux nouvel album de bdrmm. Ensemble, ces trois-là forment une sorte d'Avengers de la techno mutante, unis par le goût du risque, de la sensation et de la sueur. Et ce premier EP, justement, cogne et tourbillonne avec l'appétit d'un barracuda.
Né d'une admiration réciproque entre les trois artistes, Demise of Love navigue entre chaos structuré et douceur vénéneuse. L'EP a été mixé par la légende Alan Moulder, à qui l'on doit le son massif, dense et ciselé de groupes aussi essentiels que My Bloody Valentine, Nine Inch Nails ou Arctic Monkeys. Il apporte ici sa signature sonore inimitable, offrant à chacun des quatre titres un écrin rugueux mais lumineux. Strange Little Consequence ouvre les hostilités avec son introduction acide toute en basse saturée, ses couplets indus portés par une voix grave et râpeuse à la Trent Reznor et son refrain électro-pop flamboyant, presque 80's. Le morceau évoque « l'effondrement d'une relation à travers le désordre et les vestiges qu'elle laisse derrière elle », cette tension entre brutalité et éclat en devient l'incarnation sonore. Be A Man pousse encore plus loin l'agression jouissive. Titre uptempo, beat tranchant, saturation contrôlée, le tout convoque les fantômes de Ministry, Nine Inch Nails et Depeche Mode infusés d'une acid-techno brutale. Le morceau flirte même avec l'EDM et l'horror-rock digital mais la production millimétrée d'Avery, Greenwood et Moulder canalise cette énergie pour éviter la démonstration. Il en résulte un mur du son qui ne fait pas mal à la tête mais qui électrise la colonne vertébrale. C'est massif, physique et jubilatoire.
En contrepoint, Carry The Blame s'ouvre dans une atmosphère brumeuse, avec des chœurs vaporeux, des voix trafiquées et un chant pop plus frontal. La douceur est là, mais elle flotte au-dessus de beats acérés. On retrouve cette esthétique paradoxale, une mélancolie diffuse qui n'adoucit jamais complètement l'âpreté de la production. Enfin, Liked I Loved You referme l'EP sur une note résolument contemporaine. Oubliés les parfums 80's ou 90's des premières plages, ce titre est 100% millésimé 2025 : voix auto-tunée, beat étouffé, production subtilement glitchée. Demise Of Love s'invitent sur le terrain de Sega Bodega et AG Cook, les tenants d'une pop hypermoderne qui ne cherche ni à plaire ni à choquer mais à troubler l'écoute. Certains y verront une rupture, d'autres un épilogue. Dans tous les cas, cette dernière sucrerie électro ne surjoue jamais sa douceur et ose le ralenti après la tornade.
Si l'on retrouve sur Demise Of Love la patte des trois artistes, synthés vertigineux, refrains irrésistibles et intensité saisissante, le résultat dépasse la somme de ses parties. Il frappe par son originalité, sa densité et sa vitalité. Ces quatre titres possèdent la fougue des jeunes groupes novateurs mais sont exécutés avec la maîtrise de producteurs chevronnés. Notre seule frustration : la durée. Mais la musique c'est comme l'amour, parfois c'est super même quand ça ne dure que 12 minutes et 43 secondes.