Joyeria, chanteur anglo-canadien s'est fait remarquer avec son premier EP, FIM, sorti en 2022 chez Speedy Wunderground qui naviguait entre influences indie 90's (Silver Jews, Smog, Pavement) et joyeux bordel typique de la scène du Windmill de Brixton (Black Country, New Road, Moreish Idols). Si sa musique restait un peu floue, ses textes sombres impressionnaient par leurs précisions, entre humour corrosif et dépression chronique. Graceful Degradation trace la même route tout en marquant une nette évolution quant à la qualité des compositions. S'il fallait définir la musique de cet huluberlu discret, on serait tenté de parler d'indie-rock existentiel. On y trouve des guitares sèches mais nerveuses, une basse locomotrice, quelques saillies de synthé et beaucoup de verve satirique.
Joyeria emprunte au psychologue cognitif David Marr son concept de “graceful degradation”, soit la capacité d'un système à encaisser les pannes locales sans s'effondrer et à continuer à fonctionner malgré les pièces manquantes. Sa musique, bancale mais jamais brisée, en fait la démonstration sonique. L'inusable Dan Carey l'accompagne encore une fois à la production. On pourrait voir chez lui un cousin de Famous qui aurait été élevé de l'autre côté de l'Atlantique, un de ces écorchés vifs qu'on aime tant.
On sait peu de chose de Joyeria et selon les rumeurs il aurait participé à plusieurs projets musicaux, quittant à chaque fois le navire avant son envol. Niveau influences, il cite Bill Callahan et David Berman ainsi que les poètes modernes américains (John Berryman, John Ashbery) comme deux phares pour l'écriture ainsi que Fugazi pour le minimalisme comme idéal moral. Les présentations étant désormais faites, passons de ce pas à l'analyse du disque.
L'EP s'ouvre avec Troubled Youth entre élégance et nonchalance avec ses couplets parlés et son refrain chanté en chœurs avant d'enchaîner avec la véritable pépite du projet. I Don't Know, Who Cares? possède la grâce des meilleurs morceaux de Silver Jews avec son chant désabusé, ses paroles dépressives, sa mélodie imparable et ses guitares chancelantes. Si nous étions dans le guide voyage Michelin nous dirions qu'à lui seul ce titre « vaut le voyage ». Changement de style avec The Swimmer, mené tambour battant et porté par une guitare agressive et un synthé omniprésent. Mais Joyeria force un peu trop sa voix ainsi que le trait en cherchant le petit tube farfelu à tout prix sans pleinement convaincre. On lui préfère le plus humble Yeah dont le côté bricolé évoque les premiers travaux de Beck ou de Jon Spencer Blues Explosion et qui s'avère délicieusement régressif. C'est pourtant quand il retourne à sa veine la plus introspective qu'il nous touche le plus, comme sur les deux derniers titres Stale Autumn et Starving Ghosts, sombres et majestueux.
Sans être révolutionnaire ou novateur, Graceful Degradation offre une relecture sincère et authentique de l'indie rock US 90's là où certains groupes actuels opportunistes se contentent d'un simple décor de façade. Modeste et charmant, cabossé mais debout, on vous conseille d'entrer dans l'univers touchant de Joyeria.