Lucky Elephant est un quatuor plutôt atypique si l'on en juge par sa musique mais également par ses membres. Ils viennent officiellement de Londres mais trois d'entre eux sont en réalité originaires de l'Île de Wight au large de Portsmouth. Le chanteur Manu Labescat vient quand à lui du sud-ouest de la France. Un leader français dans un groupe britannique ! Le rock français ne serait donc plus comparable au vin anglais (dixit un certain John) ?
The Rainy Kingdom est pourtant bien un album consacré à la société anglaise et au spleen qui la tiraille. Il s'inspire d'un obscur documentaire TV de Ken Ashton daté de 1972, décrivant la working-class mourante et isolée dans des blocs géants. Manu Labescat dévoile sa vision de français vivant à Londres et y fait un parallèle avec nos banlieues laissées pour compte. Ces sujets graves sont mis en musique à travers une folk pénétrante teintée de pop Beatlesienne à l'image de cette introduction estivale :
Old Kent Road. Mais l'intrigante
The British Working Man brouille les pistes avec un instrumental cinématographique accompagné d'un
vidéo clip animé très réussi. On se croirait au beau milieu des Temps Modernes de Chaplin, mettant en image ces statistiques montrant que les Anglais travaillent plus que tous les Européens. Ce gimmick entêtant d'accordéon sur musique de carrousel sert de base aux sonorités old-school enregistrées sur cassettes analogiques et faisant la part belle au Do It Yourself.
Après nous avoir interloqué, Lucky Elephant sort le grand jeu avec des compositions méticuleuses aux structures loin d'être classiques et rappelant les américains de Grizzly Bear. Des violons peuvent apparaître dans un refrain subit pour élever les morceaux dans un héroïsme pouvant rappeler The Decemberists, comme sur la très belle
All The Streets I Have Known, qui se voit prolongée dans des dérivations de synthés, de cordes et d'envolées vocales de presque six minutes. L'orgue vintage Wurlitzer s'exprime à travers de larges nappes pouvant faire ressortir un coté psychédélique que l'on n'attendait pas, comme sur
Buckets And Spades. La synth-bass et l'harmonium y ajoutent ce sentiment d'écouter la musique d'un autre temps, ou intemporelle.
Pour nous surprendre encore plus, les guitares électriques se refont incisives sur l'excellente
Mercy : le single pop aux accents orientaux que l'on attendait au début du disque arrive finalement sur la fin. La voix rappelant Tahiti 80 ou Girls In Hawaii s'y insère parfaitement, jouant parfois sur un accent français pouvant disparaître à tout moment, même si on ne dupera pas un sujet de sa majesté. Entre boucles de guitares acoustiques ou électriques, entêtantes et labyrinthiques, les idées de Lucky Elephant s'expriment différemment selon les pièces du disque, plus extraverti ou introverti, intimiste ou enlevée.
Si vous avez la chance de découvrir cet album, plongez-y lentement, à pas d'éléphant.
The Rainy Kingdom est déconcertant et il faut plusieurs écoutes pour l'apprivoiser, malgré l'immédiateté de certains morceaux qui l'achèvent. Ils peuvent passer de la douceur d'une plage à une falaise à pic en quelques instants, de la folk mélancolique à des aspirations quasi post-rock explosives, par des compositions aux arrangements riches mais avant tout surprenantes.