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La Route du Rock

Saint-Malo, - 13 août 2010

Live-report rédigé par François Freundlich le 16 août 2010

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vendredi 13
Le 20ème édition de la Route du Rock à Saint-Malo propose cette année encore une programmation pointue avec des groupes phares de la scène rock indé et quelques découvertes alléchantes.

C’est sous un beau soleil et la plage à grande marée basse que nous terminons l’après-midi. Le duo Little Red Lauter a donné rendez-vous aux festivaliers et aux vacanciers sur la plage Bon-Secours pour un concert folk rafraichissant. Je suis ravi de voir des compatriotes alsaciens à la Route du Rock, et il est assez rare de voir un bon groupe alsacien pour le souligner. Claire Deribreux (Little Red), en robe à paillettes reflétant le soleil, enivre de sa douce voix le public allongé sur les transats. Boris Kohlmayer (Lauter) à la guitare sèche, ajoute également ses chœurs et le mélange de leurs voix est plutôt plaisant. Le groupe délivre un folk sombre mais avec un chant guillerett. L’influence d’outre-atlantique se fait sentir avec des passages plus blues à l’harmonica. Une bonne entrée en matière !
On profite encore un peu de la plage avant de filer au fort de Saint-Père-Marc-en-Poulet pour le début des hostilités. L’honneur d’ouvrir la scène du fort revient aux Dum Dum Girls, quatuor féminin américain. L’entrée en matière est directe avec de petites mélodies pop aux accents rock californien qui tournent rapidement en rond. On aimerait se laisser embarquer, mais on est vite frappé par l’ennui et la mollesse de leur son. Si au moins il était possible de se rattraper sur le visuel... mais avouons qu’elles ne sont pas si agréables à regarder malgré les louanges entendues ça-et-là. On est dans le simplisme au point de penser à ces groupes de pop japonaise (elles ont le look qui va bien) aux clips multicolores. Le groupe joue immobile, sans chaleur ni jeu de scène, et le public n’est pas réceptif. Pour être plus optimiste, je dirais que le set reste passable avec un kouign amann et une bière à la main, sous le soleil, principalement durant leur titre Jail La La qui a le mérite de nous réveiller un peu.

Il est temps de passer aux choses sérieuses et un grand rayon de soleil éclaire ainsi Owen Pallett lorsqu’il entre sur la scène : timing solaire parfait. Seul avec son violon, son bonnet et ses lunettes de soleil, l’arrangeur et violoniste d’Arcade Fire va proposer un set assez bluffant à tous les points de vue. Il connaît déjà le festival pour y être passé sous le nom de Final Fantasy et est apparemment ravi d’être de retour. Le violon raisonne magnifiquement et crée une ambiance très particulière dans ce lieu si unique. On découvre toute la subtilité et toutes les possibilités qu’offre cet instrument lorsque Owen superpose des couches de samples qu’il enregistre sur ses pédales avant de les rejouer à sa guise. Sa voix aiguë et cristalline se lie à ses mélanges de cordes lumineux, tout en épaisseur. Le public est très attentif et écoute le canadien virtuose ajouter des claviers à ses compositions afin de compléter ses boucles qui se multiplient sans fin. Un bassiste, sosie officiel de Brad Pitt, viendra l’accompagner sur quelques morceaux. Ce dernier, à l’attitude moins modeste que Owen, se placera également derrière les fûts pour quelques passages à la batterie. Après un album nécessitant un état d’esprit d’écoute particulier, le concert passe quand à lui beaucoup plus facilement. On en redemande encore et le garçon n’en n’est que plus heureux de nous combler.
Acclamé par les festivaliers, Owen Pallett remercie chaleureusement avant de revenir pour un rappel en nous conseillant de ne pas manquer le concert de Caribou. Ni une ni deux, il entame une reprise du dernier titre éléctro phare du groupe canadien : Odessa. Le tout bien sûr, avec uniquement un violon et des pédales de samples ! Tout simplement exceptionnel : le public se met à danser sur ce tube qui prend une autre dimension très chaleureuse. A l’image de Bill Callahan l’an dernier, la Route du Rock a proposé le concert parfait dans le lieu parfait au moment adéquat et c’est là tout le plaisir que ce festival peut offrir.

On avait annoncé quelques surprises pendant les soirées, la première d’entre elle est une apparition de Lonesome French Cowboy alias Federico Pellegrini (Little Rabbits, French Cowboy) pour une improvisation derrière la régie du festival. Des morceaux pour le moins étranges avec une reprise des Ramones ou de I Will Survive... mais en version looser 2010.
On attend ensuite la création originale spéciale 20 ans de Yann Tiersen & Dust Lane Inc. Très peu d’informations avaient filtré sur ce concert particulier mais on est tout de suite séduit par l’installation mise en place par le Breton. Pas moins de quinze musiciens l’accompagnent dont une section de cuivres, deux violoncellistes (du groupe Reverend Glasseye), deux batteries et cinq choristes parmi lesquels Matt Elliott, Josh T Pearson (Lift To Experience) ou Laetita Shériff. Yann Tiersen est au milieu de tout ce beau monde, entouré par ses guitaristes et bassiste donnant un coté très rock à ce concert spécial.
On est d’emblée surpris par le son proposé par le groupe : si on ne savait pas que c’était Yann Tiersen, on aurait du mal à reconnaître et on opterait plutôt pour un collectif psychédélique et fougueux. On pense d’abord que seul des morceaux de son prochain album Dust Lane seront joués puisque le groupe propose un son ample et très fort. Les violoncelles et les chœurs sont très intenses et apportent une réelle profondeur à la base plus brute et électrique des chansons. L’ensemble donne une impression assez sombre et rugueuse que l’on découvre au fur et à mesure de l’enchainement de titres dont on reparlera très certainement. Du côté des chœurs, on reconnait les voix sombres de Matt Elliott qui s’ajoute parfaitement à celle de Tiersen, tout comme celle de la brestoise Gaëlle Kerrien qui chantera également en solo sur un titre. Josh T Pearson harangue quand à lui la foule en levant les bras à la manière d’un metalleux. Son duo vocal avec Matt Elliot est tout simplement sublime.
Moment de grâce lorsque Yann Tiersen entame un solo de violon sur une chanson de l’album Le Phare, Sur Le Fil, dans un silence quasi-religieux. La Valse d’Amélie est également proposée dans une version remaniée avec des claviers vintages à la Air et un son torturé. Il faudrait refaire le film avec cette version, Amélie finirait certainement la tête dans le four.
Cette création a surpris le public, et plus encore durant le final chaotique de sons noisy de plusieurs minutes que Sonic Youth n’aurait pas répudié sur cette même scène. Avec une telle variété, on croirait presque que Yann Tiersen a voulu rendre hommage à plusieurs groupes qui se sont succédés sur la scène pendant vingt ans. Les claviers de Air ou MGMT ? La fièvre de Sonic Youth ou My Bloody Valentine ? On espère que cette création a de l’avenir, si oui il faudra la suivre de très près...

Les trois prochains groupes vont faire prendre à la soirée une tournure plus psychédélique. The Black Angels apparaissent et on sent tout de suite la fièvre monter. Leur rock garage aux accents blues texan va déchainer la Route du Rock. Alex Maas déclame ses textes de sa voix écorchée avec une force tellement habitée qu’on ne peut rester de marbre. D’autant plus que les guitares mènent une guerre de pédales d’effets planant qui se superposent. La cadence est assurée par la batteuse Stéphanie Bailey qui donne tout ce qu’elle a derrière les futs. Le concert est résolument moins chaotique que celui des Transmusicales 2008 et on se plaît finalement à apprécier les mélodies proposées derrière des riffs incisifs et rageurs. Les titres montent en crescendo avec des gimmicks accrocheurs ayant tendance à désarticuler immédiatement tout cartilage d’un corps humain normalement constitué. On voit qu’ils prennent un grand plaisir à être là, le plus impressionnant restant Alex au chant avec sa casquette vissée sur sa barbe et sa voix parfaitement maîtrisée. Les nouvelles chansons de leur album Phosphene Dream sont très accrocheuses à l’image de Bad Vibrations et son refrain de guitare se posant sur un larsen criard. Là encore, le morceau se déstructure complètement pour arriver à un final explosif. Avec The Black Angels, les changements de rythmes sont incessants et le risque de s’ennuyer est nul. Le moment rock de la soirée vient de se dérouler avec ce groupe qui fera forcément reparler de lui avec des titres de ce calibre.
Les New-Yorkais de Liars sont chargés de prendre le relai très rapidement, mais le passage de témoin risque d’être compliqué. Ayant une réputation de groupe de scène ayant déjà enflammé la Route du Rock par le passé, une prestation à la hauteur est attendue... mais peut-être était-il difficile d’enchaîner après tout ce tumulte de concerts démentiels. La déception est grande car les Liars ne semblent pas l’air très en forme ce soir. Leur nouvel album sonne certainement de manière plus complexe et l’adaptation à la scène ne se fait pas sans dommages. On essaye de comprendre le message que le trio veut faire passer mais cela reste brouillon et on se perd dans des tourbillons de guitares et de chants qui s’échappent dans des directions différentes. Bien sûr, on apprécie les quelques sursauts qui transparaissent du chaos mais l'ensemble reste très inégal et assez lassant sur la durée. Une déception pour un groupe qui n’aura pas su embarquer le public avec lui cette année.

Pour finir en beauté, les canadiens de Caribou vont offrir un final dantesque à cette première journée de festival. De leur passage à la route du rock hivernale, on garde un bon souvenir d’un groupe électro-pop installé autour d’un fatras de machines. Cette fois-ci, les Caribou sont tournés vers le public et avec moins de machines. Paradoxalement, ils livrent un set beaucoup plus électronique avec des tubes dancefloor à remuer l’estomac anisé du festivalier si peu éméché à cette heure avancée.
On se demandait comment ils allaient aborder le virage du dernier album Swim, la réponse est toute trouvée : Andorra est laissé de coté et la priorité est donnée à l’éléctro, malgré un Melody Day très planant tranchant avec le reste du concert. Ce titre reste une référence sous des allures d’ilot paisible dans une mer de beats agités. Odessa est le tube de la soirée et son second passage, après l'interpréation d'Owen Pallett, est jouissif au point de donner l'envie au public de prendre son élan pour décoller les pieds du sol. La voix aiguë de Daniel Snaith se répète inlassablement et les basses font frétiller chaque organe en rythme. On ne peut que se laisser emporter par Caribou, ou se faire charger à pleine allure par cet animal aux cornes acérées.
Il ne fallait définitivement pas partir tôt ce soir car le final apocalyptique sur Sun est certainement le meilleur moment de la soirée. Daniel répète le mot à l’infini tandis que les couches de synthé et la cadence démentielle s’accélèrent pour faire se lâcher les esprits les plus réfractaires à ce son du grand nord. La fin du morceau est explosive, l’enthousiasme pousse aux cris de joie et le groupe lâche ses dernières réserves... et quelles réserves ! Le son retombe d’un coup et la foule en veut encore, mais comment revenir après un tel final ? Difficile de s’en aller sans répéter « Sun ! Sun ! Sun ! » à qui veut bien l’entendre. Encore une fois les canadiens sont là à Saint-Malo, et ça fait du bien.

Le bilan de cette première journée de la Route du Rock est sans appel : une réussite. De la grâce d’Owen Pallett à la surprise en forme de kouign amann multi-couche de Yann Tiersen et son groupe, on a vibré. La seconde partie de soirée était tout en défoulement avec The Black Angels pour le moment rock et Caribou en feu d’artifice infini. Vivement la suite !
artistes
    Caribou
    Liars
    The Black Angels
    Yann Tiersen & Dust Lane Inc
    Owen Pallett
    Dum Dum Girls
    Little Red Lauter
    Ethel