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Wet Leg

Interview publiée par Jean-Christophe Gé le 11 juillet 2025

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Rencontre avec Ellis Durand (bassiste) et Josh Mobaraki (guitare et clavier) dans le hall d'un hôtel parisien. Ils sont frais et curieux comme un jeune groupe qui trouve ça excitant de défendre son deuxième album et professionnels comme des musiciens qui ont donné plus de 300 concerts, ouvert pour Foo Fighters et gagné un Grammy Awards pour un remix de Depeche Mode. Sur le chemin, je croise Rhian Teasdale en mini short et ongles ultra longs en plein photoshoot.

Le groupe attend avec impatience de reprendre la route, et se souvient avec joie de son passage au Pitchfork Music Festival à Paris (nous aussi). Avec leurs têtes d'anges et un large sourire qui fend leurs barbes, Josh et Ellis me disent avoir eu alors l'impression de créer la bande originale pour une gigantesque bagarre.

Ce concert au Supersonic à Paris dans le cadre du Pitchfork Music Festival, semble remonter à une éternité. C'était comment de faire un nouvel album après avoir donné trois-cent concerts ?

Josh : Nous savions que nous voulions écrire des morceaux qui seraient fun à jouer, quoi d'autre ?
Ellis : Comme nous avons tourné pendant trois ans et beaucoup joué ensemble, ça nous a sûrement aidés. Je ne sais pas si ça nous a consciemment influencés dans l'écriture, je pense surtout que nous sommes tous un peu tombés dans un même état d'esprit, connectés à force de jouer, tu vois.
Josh : C'est vrai. À force de jouer, mais aussi d'écouter de la musique dans le van, dans le bus, dans les loges, partout quoi. En fait, nous ne nous disons jamais « Quelle va être notre influence pour le nouvel album ? ». Par contre, nous avons sûrement trouvé un terrain commun dans les styles de musique qui plaisent à chacun, et du coup, le son est venu naturellement, comme ça.

Après trois ans dans un tour bus vous avez dû découvrir plein de trucs...

Ellis : Oui, musicalement, nous avons découvert pas mal de choses. C'est toujours cool quand quelqu'un dit « J'ai entendu ça », qu'il le met, et que les autres disent « Ah ouais, c'est classe ! ».
Josh : Je pense que nous écoutons tous des trucs que nous ne partageons même pas forcément entre nous, parce que les autres ne vont pas aimer. Rhian écoute des trucs super bourrins. Ellis, et toi aussi, vous aimez bien les trucs lourds.

Ellis : Ouais, j'avoue...
Josh : Il y a un morceau sur l'album où ça se ressent. Je pense que cet album, encore plus que le premier, a des morceaux tous très différents les uns des autres et que la diversité de nos goûts y est pour beaucoup.
Ellis : Il y a quand même une ligne directrice, mais si nous avons pas choisi un son à suivre.
Josh : Nous voulons avant tout faire des choses qui nous excitent.

Effectivement, en écoutant moisturizer, je reconnais tout de suite que c'est du Wet Leg, mais que c'est aussi très différent du premier album. Chaque morceau est unique tout en ayant une cohérence globale. Qu'est-ce qui fait que c'est du Wet Leg selon vous ?

Ellis : Un bon groove de batterie, ça aide. Et sûrement, de mon côté, une ligne de basse assez simple.
Josh : Je pense que le jeu de guitare d'Hester, sa façon de jouer les solos, apporte beaucoup. C'est une grosse partie du son Wet Leg. Elle a une manière de jouer un peu bancale, tu vois ? Avec des mélodies inattendues, des notes en dehors de la tonalité, mais ça reste accrocheur et mémorable. Il y a un morceau qui s'appelle CPR, avec un riff de guitare bien déglingué, très Hester, et franchement je le trouve mortel. Et puis les paroles de Rhian sont souvent très sèches et drôles à la fois. Parfois, tu as une phrase marrante suivie d'une qui te plante un couteau dans le cœur. C'est ce contraste-là.

Tu parles de changement de tonalité. Avez-vous une formation musicale ?

Josh : Nous avons chacun notre approche, mais aucun de nous n'est un geek du jazz.
Ellis : Nous avons tous plus ou moins été en école de musique étant plus jeunes. Enfin, moi j'y ai passé deux semaines je crois. Mais nous ne sommes clairement pas des kids du jazz, même si ce serait stylé si c'était le cas.

La plupart des groupes que je rencontre changent de producteur à chaque album. Vous avez à nouveau travaillé avec Dan Carey, mais votre son a évolué. Comment ça s'est passée ?

Ellis : Nous avons gardé le même producteur mais enregistré dans un studio différent. Josh et moi n'étions pas là pour le premier album, c'est aussi une différence. Deux nouvelles personnes sur ce disque, ça joue sur le son. Nous avons enregistré à Brighton plutôt que dans le studio de Dan à Londres. Je ne crois pas que nous ayons vraiment discuté du son. Dan a parfois déjà une vision dans sa tête et je pense que nous avions aussi pas mal d'idées sur ce que nous voulions.
Josh : C'est vrai. Nous n'avons peut-être pas une grosse connaissance académique de la musique, mais nous écoutons énormément de disques et nous savons ce que nous aimons et c'est ça qui nous intéresse beaucoup. Nous voulions un son sec sans mettre de la reverb partout juste pour faire sonner ça grandiose ou spatial. Nous voulions l'effet inverse en fait. Nous ne voulions surtout pas revenir avec un deuxième album grandiloquent, épique, énorme... Nous voulions rester vrais et bruts, comme si nous jouions tous ensemble dans une pièce. Du coup c'était logique de travailler avec Dan parce que c'est un peu son truc à lui aussi.

Et quand avez-vous commencé l'écriture des chansons ?

Josh : Nous avons terminé la tournée du premier album avec un concert au Brésil en première partie des Foo Fighters. Après ça, nous avons pris un peu de repos parce que nous étions sur la route depuis très longtemps, et aucun de nous ne savait alors à quoi s'attendre. C'était très intense, fou, fun, excitant, tout ça... Mais nous avions besoin de souffler un peu. Et le repos a duré un bon moment. Puis, petit à petit, nous avons commencé à nous envoyer des idées. Ellis, Hester et moi habitons toujours sur l'île de Wight. Henry et Rhian, eux, sont à Londres. Et à un moment nous nous sommes dit : « OK, nous avons assez de matière pour nous retrouver dans une pièce et voir ce que ces chansons deviennent ! ». Nous avons passé quelques semaines dans une maison avec tout notre matériel, à dormir, mater des films, jouer de la musique.

Les films vous ont influencés ?

Josh : Hum, pas vraiment. Nous avons regardé tous les Alien. Alien 3, plein de fois. Des films que nous remettions en boucle, parce que Hester s'endort à 22h. Donc nous regardions le film et elle s'endormait alors que nous restions debout jusqu'à 2h ou 3h. Du coup, nous remettions le film le lendemain pour elle.
Ellis : Nous avons regardé Braveheart huit fois. Et The Shining au moins six fois, je crois.
Josh : C'est quand même un film bizarre à regarder plusieurs fois.

Surtout dans une maison qu'on ne connaît pas...

Josh : Oui, c'était une maison bizarre en plus, paumée au milieu de nulle part. Nous passions beaucoup de temps dans le jardin, mais pour une raison étrange, il n'y avait jamais de vent. Pas de pollution lumineuse non plus. Pendant tout le séjour, nous avons eu l'impression d'être sur un plateau de tournage. C'était étrange, nous nous disions que nous étions dans un rêve ou dans une séquence de film.

D'habitude je reçois l'album avant les interviews, mais là, j'ai aussi reçu les paroles, ce qui est rare. C'est important pour vous, les textes ?

Josh : Il y en a plein qui sont des chansons d'amour très sincères. Et c'est chouette de voir ton amie écrire des chansons d'amour heureuses. Le premier album était génial aussi, mais là, on voit une personne différente. Et il y a aussi des paroles qui nous ont fait marrer. Même celles qui ne sont pas des blagues assumées. Pokemon où Rhian chante “From Isle of Wight to Tokyo”. C'est un peu débile, et second degré, mais en même temps, ça a vraiment du sens pour moi. Parce que quand nous sommes allés tous ensemble au Japon pour la première fois, nous avions tous des étoiles plein les yeux, nous étions complètement amoureux de l'endroit. C'est marrant parce que « de telle ville à telle ville », c'est un cliché dans les paroles pop. Mais l'île de Wight, tu n'entends jamais ça dans une chanson. Ce n'est pas London to Tokyo to Madrid.

Il y a quand même un héritage musical, grâce au festival...

Josh :C'est vrai, mais quand tu y vis tous les jours, ce n'est pas vraiment sixties ou seventies. C'est autre chose.
Ellis : Et le festival, c'est juste une semaine dans l'année.

J'ai l'impression de passer à côté de nombreuses blagues dans les paroles. Il y'en a une sur Davina McCall... Est-ce que vous pouvez la présenter au public français qui ne la connait pas du tout ?

Ellis : Vous avez Big Brother (ndlr : Loft Story puis Secret Story) en France, non ? Davina McCall, c'était la présentatrice au Royaume-Uni. C'est un peu comme une icône nationale chez nous. Nous avons tous grandi en la regardant à la télévision. Elle avait une phrase culte : « I'm Davina, I'm coming to get you ». Elle disait ça quand un candidat allait être éliminé.
Josh : Exactement, quand un candidat était viré de la maison, elle disait « Je viens te chercher ». Et Rhian réutilise cette phrase dans un autre contexte, comme quand elle va te chercher à la gare. Davina est quelqu'un de super, elle n'a jamais rien fait de mal, elle est hyper sympa. Un jour, elle a publié sur Twitter une photo d'elle à un de nos premiers concerts et nous nous sommes dit, « Oh mon dieu, ça y est nous avons percé ! ». Du coup quand nous lui avons envoyé un message pour lui dire que nous l'avions mentionnée dans les paroles d'un de nos morceaux, elle nous a répondu avec une vidéo. Elle était un peu émue, elle disait : « Ça ne m'arrive jamais, j'adore votre groupe, c'est complètement fou ».

Quelle est l'importance des paroles par rapport à la musique ?

Josh : La musique vient en premier. Ce n'est pas de la poésie, tu sais. Je ne peux pas imaginer écrire une chanson sans mélodie. Je n'ai pas écrit beaucoup de paroles pour cet album, mais j'écris des chansons depuis longtemps, et pour ce groupe aussi. Et je n'arrive pas à imaginer écrire des mots sans avoir une mélodie. Et pour ça, tu as besoin d'accords en dessous, parce que la mélodie découle un peu de l'harmonie. Donc la musique vient toujours en premier.
Ellis : Parfois, Rhian reprend des paroles anciennes, ou des bouts de chansons qui n'avaient pas été utilisées, et elle les réintègre dans un nouveau morceau. Mais même là, la musique vient d'abord.

En écoutant l'album, j'ai l'impression que la face A est plus faite de chansons « anti-amour » où la relation ne marche pas. Et la face B, ce serait plus de vraies chansons d'amour. Vous l'avez fait exprès ?

Ellis : Je ne sais pas. Nous avons surtout essayé de trouver un ordre logique entre les morceaux, ce qui s'enchaîne le mieux. Après, si ça sonne bien dans cet ordre-là, c'est peut-être pour une raison. Tu as peut-être raison.

Sur scène, vous jouez un morceau qui s'appelle Obvious. Il n'est ni sur le premier, ni sur le deuxième album...

Josh : Nous le jouons presque à chaque fois. Le premier album dure trente-six minutes, et nous devions faire des sets de cinquante ou soixante minutes, il fallait bien d'autres titres et Obvious est un ancien morceau qui traînait depuis un moment. Nous avons essayé de l'intégrer à moisturizer, mais parfois tu as un ensemble qui fonctionne, et tu ne veux pas trop le bousculer. C'est un vieux morceau, et les nouveaux ont une énergie plus fraîche, plus en phase avec notre moment présent. C'est ceux-là que nous voulions sortir, pour Obvious... Nous verrons plus tard.

Pour en revenir à votre tournée avec les Foo Fighters, c'était comment de jouer dans des stades ?

Ellis : C'était vraiment cool. Un peu fou à faire, mais génial. Nous les avons croisés en coulisses et nous avions déjà rencontré Dave avant. Un jour, quelqu'un est venu dire que Dave demandait qui jouait du theremin, il trouvait ça super cool. Et c'était moi, mais en vrai je faisais juste le son au clavier. C'est un peu de la triche, mais bon, je me suis dit « Cool, Dave me trouve stylé ! ».
Josh : Oui, un petit badge de coolitude pour toi.

J'ai aussi écouté votre remix de Depeche Mode. Vous avez eu un Grammy Awards pour ça. Comment est-ce arrivé ? Et surtout, c'est très différent de l'original, ce que vous avez fait sur la voix est très audacieux...

Josh : On nous a juste demandé, comme ça : « Vous aimez Depeche Mode ? Vous voulez faire un remix ? » Et nous on a dit : « Carrément oui ! ». On ne nous avait jamais demandé de faire un remix avant, mais j'adore faire des beats, utiliser mon ordi pour faire de la musique électronique, hip-hop, etc... Hester et moi, nous écoutions pas mal Sault, chaque album est différent, mais c'est toujours un son un peu brut. Parfois disco, parfois dub... Et nous, ça nous intéressait, ce côté un peu disco. Nous aimons aussi beaucoup Tame Impala, et Soulwax aussi – d'ailleurs, eux ont remixé un de nos morceaux. Bref, au départ, nous ne savions pas trop quoi faire avec la chanson, mais nous savions que nous voulions garder la voix. Et nous voulions accélérer le tempo. Une façon de faire, c'est comme sur une bande magnétique : tu accélères, mais le pitch monte aussi. J'aime bien ça, et avec cette méthode, sa voix sonnait un peu plus nasal comme John Lennon. Et puis nous avons mis une rythmique, programmé des batteries, et c'est parti dans une vibe disco psyché. Ellis est passé et a posé une ligne de basse. Nous nous sommes vraiment éclatés dessus, et ça s'entend, je crois.

Enfin, à l'origine, le groupe était un duo féminin. Aujourd'hui vous en faites partie. Qu'est-ce que les hommes peuvent faire pour rendre l'industrie musicale plus diverse et plus sûre pour les femmes ?

Ellis : Déjà, il faut les embaucher.
Josh : C'est aussi une question systémique. Il n'y a pas encore assez de femmes dans chaque métier de la musique, parce qu'elles manquent de représentativité. Il faut que les jeunes filles puissent se projeter. La toute première personne à rejoindre notre équipe technique c'était Karima. Elle faisait tout : tour manager, son façade, retours... tout ! Elle est avec nous depuis le tout début. Je ne peux même pas imaginer ce que c'est que d'avoir une équipe 100 % mecs, genre un club.
Ellis : Il faut continuer d'écouter de nouveaux groupes et d'aller à des concerts...
Josh : J'aurais voulu avoir une meilleure réponse et c'est un sujet important. Je suis sûr que dans deux jours je vais me penser « Voilà ce que j'aurais dû dire ! ».