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Barry Can't Swim - Loner
Chronique Album
Date de sortie : 11.07.2025
Label : Ninja Tune
4
Rédigé par Franck Narquin, le 9 juillet 2025
Pendant que le peloton des producteurs de house peine à suivre le rythme imposé, Barry Can't Swim se lève sur les pédales et s'offre une échappée en solitaire avec Loner.

L'Ecossais négocie parfaitement son virage avec ce deuxième effort, réussit sa percée et file droit vers son propre col hors-catégorie. Une montée sans dopage et sans artifices mais avec une science du beat et une élégance du geste hors pair. Après un premier album salué mais encore marqué par l'éclectisme de ses débuts, l'artiste affine ici sa formule, franchit un cap et affirme un langage propre. Plus qu'un simple enchaînement de tubes pour dancefloor raffiné, Loner raconte quelque chose de ce que la musique électronique peut encore exprimer quand elle ose conjuguer efficacité et intimité. Sans renier ses racines, Barry élargit sa palette, se rapproche de la mélancolie digitale de Jamie xx ou de la sensibilité extatique de Fred again... Il ne survole plus les genres, il les habite. C'est d'ailleurs peut-être ce qui impressionne le plus, cette capacité à faire vibrer une émotion sincère sous chaque ligne de basse, à capter l'élan du club tout en regardant déjà vers le lendemain. Sorti en début d'été, Loner est de ces albums qui vont nous faire danser jusqu'à la rentrée et sûrement bien après, une bande-son taillée pour l'ivresse collective mais portée par une mélancolie en clair-obscur qui lui confère cette densité rare, celle des disques qu'on garde.

Le premier album de Barry, When Will We Land?, avait le charme parfois fragile des débuts brillants, un patchwork de talents, d'influences et de tentatives. House, soul, jazz, afrobeat, spoken word, tout y passait avec la générosité d'un DJ qui ouvre sa collection comme on tend une main. Mais à force de vouloir tout dire, on finissait par ne plus savoir ce qu'il cherchait à raconter. Avec Loner, ce flou s'est dissipé. Barry a cessé de picorer pour composer et déclare « Si mon premier album était un collage de toute la musique que j'aimais et qui m'inspirait en grandissant, cet album est l'expression la plus authentique que je puisse offrir de moi-même et de ma vie au cours de l'année écoulée ». Chaque morceau est ici une pièce d'un tout, un jalon d'un récit. Il ne se contente plus de s'inspirer des grands noms, il converse avec eux. À Jamie xx, il chipe l'art du beat fragmenté et du sample ludique, à Daft Punk, il dérobe une basse filtrée et un sens du groove clubby et à Vegyn, il pique la veine introspective et distordue du spoken word de son projet Headache. Les bons artistes empruntent, les grands volent comme disait l'autre.

Ce qui frappe dans Loner est moins la diversité des styles convoqués que la façon dont ils se fondent dans une dramaturgie fluide. Loin d'enchaîner les morceaux comme on coche des cases, un pour danser, un pour pleurer, un pour pécho, Barry tisse une carte du tendre électronique qui épouse les états d'âme d'une nuit ou d'une vie. Il y a l'ouverture en clair-obscur (The Person You'd Like To Be), qui pose d'emblée un trouble intime à coups de spoken word digital. Puis vient Different, tube euphorisant et haché façon Jamie xx, qui semble jouer avec la mémoire du dancefloor comme avec un jouet cassé. About To Begin, clin d'œil à Daft Punk et Chemical Brothers, relance la cadence avec une efficacité imparable, tandis que Still Riding ou Kimpton déroulent une house planante, solaire, à mi-chemin entre BICEP et Moby période soul échantillonnée.

Mais Loner ne se contente pas d'alterner les tempos, il les enchevêtre, les superpose, les détourne. Marriage, par exemple, mêle montée progressive et orchestration soul 70's dans une forme de gospel électronique qui élève autant qu'elle serre la gorge. Childhood relance le fil disco avec une joie presque naïve, comme si Barry rendait hommage à ses premiers émois musicaux, casque vissé sur les oreilles, avant que Wandering Mt. Moon, clôture élégante et contemplative, ne déroule son générique de fin pour piste de danse vidée, quand les lumières se rallument et que les souvenirs commencent à se figer. Dans cet album, Barry Can't Swim fait danser la mémoire autant que les corps, en glissant une tendresse nouvelle dans la mécanique électronique. C'est toute la réussite de Loner, un disque de producteur qui pense en musicien, de musicien qui agit en conteur, et de conteur qui sait que la nuit n'a d'intérêt que si elle laisse une empreinte au matin.

On aurait tort de croire que Loner est un simple album de DJ doué. Ce disque ne parle pas que de BPM, de samples et de climax, il parle de solitude. De celle qu'on porte en soi, même au milieu d'une foule en sueur. De celle qu'on apprivoise, casque sur les oreilles, quand la fête est finie et que les lumières clignotent encore sous les paupières. À la différence de son premier album, Loner assume une véritable narration intérieure. On la devine dès le titre, bien sûr, mais aussi dans les interstices, dans la manière dont certains morceaux freinent quand on les attendait en pleine accélération. Le choix d'ouvrir et de ponctuer l'album par deux titres sans climax, en dit long, ici, la fête est un décor, pas un but. Sur Machine Noise For A Quiet Daydream, Barry s'efface presque entièrement derrière une voix à l'accent nord-britannique qui vient faire vibrer une vérité brute sur une nappe ambient brumeuse.

Même les tubes les plus immédiats comme Different et Like It's Part Of The Dance sont traversés d'une forme de distance, comme si Barry les observait depuis la mezzanine, les mains sur les platines, le cœur un peu ailleurs. À l'image de Cars Pass By Like Childhood Sweethearts, c'est un album qui regarde passer la fête sans toujours y entrer. Et c'est là qu'il touche quelque chose de rare, la tristesse joyeuse, ce mélange étrange d'élan collectif et de retrait individuel. Comme si Barry Can't Swim composait non pas pour faire danser les autres, mais pour s'accompagner lui-même, comme un ami invisible.

Avec Loner, Barry Can't Swim signe un album qui, sous des dehors de romance estivale, s'impose comme un coup de foudre durable. Il marie avec brio accessibilité et profondeur, offrant une œuvre qui séduit immédiatement et continue de révéler ses richesses au fil des écoutes. Sans révolutionner le genre, il affine son art avec une précision et une sensibilité qui le distinguent nettement. Barry ne cherche pas à éblouir par des artifices, mais à toucher par la justesse de son propos et la sincérité de sa démarche. Tout cela fait de Loner un des albums majeurs de l'année confirmant le talent d'un artiste qui, sans bruit, s'installe durablement dans le paysage de la musique électronique contemporaine. Une échappée belle.
tracklisting
    01. The Person You'd Like To Be
  • 02. Different
  • 03. Kimpton (with O'Flynn)
  • 04. All My Friends
  • 05. About To Begin
  • 06. Still Riding
  • 07. Cars Pass By Like Childhood Sweethearts
  • 08. Machine Noise For A Quiet Daydream (feat. Séamus)
  • 09. Like It's Part Of The Dance
  • 10. Childhood
  • 11. Marriage
  • 12. Wandering Mt. Moon
titres conseillés
    The Person You'd Like To Be - Different - About To Begin
notes des lecteurs
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