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La Route du Rock

Saint-Malo, - 15 août 2010

Live-report rédigé par François Freundlich le 18 août 2010

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dimanche 15
La Route du Rock, acte 3 : on est le 15 août, il pleut toujours en cet après-midi sur la cité corsaire. Tels des zombies voulant se mettre à l’abri, le public se rue hors des remparts en criant « mon palais ! mon palais ! ». Nous voilà donc bien au chaud sur les transats de la rotonde du Palais du Grand Large avec sa baie vitrée et sa large vue sur la mer. La DJette parisienne Ethel est là pour nous réjouir les oreilles de quelques mix rock, pop ou folk : c’est l’heure de la sieste.

Réveil en douceur vers 17h pour le premier concert de la journée avec les parisiens de Karaocake, initialement prévus sur la plage avant d'être finalement déplacés dans la rotonde. Dommage, car c’est le moment qu’a choisi le soleil pour revenir. On est à ce moment précis placés derrière la scène, et donc les seuls à remarquer qu’un autocollant Pikachu est collé à l'arrière de la basse. Camille Chambon derrière son petit synthé est entourée de ses deux acolytes Stéphane Laporte et Tom Gagnaire à la basse et au synthé, le tout avec un look quelque peu geek. Le trio livre de petites mélodies synthétiques accompagnées d’une boite à rythme au tempo rapide. La froideur du clavier est rattrapé par la lointaine voix de Camille, parfois triste à l’image du titre It Doesn't Take A Whole Week. L'ensemble reste plaisant pour une fin d’après-midi et le public a apprécie ce petit moment de légèreté (malgré quelques longueurs) sur fond de Fort National.

Le Fort de Saint-Père est plus sec que la veille mais mieux vaut tout de même regarder où on met les pieds si l'on n’a pas succombé à la dernière mode de la botte en caoutchouc. Les suédois de Thus:Owls remplacent les Ganglians suite à leur annulation au début de mois. Composés de membres de Loney Dear et de Patrick Watson, on se souvient d’eux pour un magistral concert donné en Route du Rock Session dans une chapelle rennaise. Ils confirment donc en ce début de soirée en égrenant leurs pépites musicales sous un soleil suédois qui fait du bien. La voix de Erika Alexandersson, chanteuse de Loney Dear qui écrit et compose les morceaux, raisonne de toute sa splendeur et son intensité. On se sent ému à chaque fois qu’elle la pousse jusque dans ses derniers retranchements.
Elle est accompagnée par le québécois Simon Angel à la guitare, lequel n’hésite pas à utiliser une brosse à dent ou une cuillère comme médiator. La jolie pianiste Cecilia Persson est très concentrée sur son instrument puisque les arrangements claviers sont extrêmement soignés et précis. Elle dispose d’un piano ouvert en façade lui permettant d’en arranger les cordes à sa guise. A l’image de leur mélancolique Climbing The Fjelds Of Norway, le groupe crée l'illusion d’une ascension perpétuelle de chaque morceau vers un mélange des instruments qui se rejoignent pour ne former qu’un avec le chant d’Erika. Cette dernière jouera également de la flûte traversière sur quelques titres. Les meilleurs moments de leur très bel album Cardiac Malformations sont interprétés, notamment Sometimes et son superbe refrain en piano / voix habité par le duo féminin du groupe.
Deux nouvelles chansons sont présentées, elles augurent un avenir radieux pour ce groupe. I Weed My Garden, tout d’abord, propose un piano redondant sur une voix à la reverb étendue vers un crescendo amenant à un final ou la guitare électrique se mêle au chant plaintif et enivrant d'Erika. Iceland, ensuite, pour rester dans le voyage musical nordique. Pour terminer avec magie, Eagles Coming In et ses envolées lyriques est entonné en chœur par tout le groupe. Les hiboux suédo-canadiens ont livré l’un des concerts les plus prenants du festival et on espère les revoir rapidement.

Les anglais d'Archie Bronson Outfit sont de retour à la Route du Rock pour entamer une soirée qui se veut beaucoup rock que les deux premières. Quand un barbu à casquette habillé en boubou imprimé de donuts vous déclame « I am a disco dancer ! », décidez-vous de fuir ou de danser avec lui ? Facile ! Si vous êtes à Saint-Père, vous pouvez sauter de joie. Si c’est dans une ruelle sombre, courez. Avant de présenter les titres de son nouveau disque, le quatuor en boubou débute par des incursions dans l’excellent album Derdang Derdang. Tout d’abord Kink et son refrain durant lequel la voix lancinante de Sam Windett répond à celle d’un public qui s’est mis à bouger dés les premières notes. Cette même voix semble quelque peu enrouée mais Sam assure le show. S’en suit une version toute en urgence de Cherry Lips avec une guitare éraillée de plus en plus rapide superposée à des effets au theremin. Le nouveau single Hoola est ensuite présenté au public de la Route du Rock. Un peu moins accrocheur que les précédents, il marque l’évolution du groupe vers un son moins bluesy, plus planant. Modern Lovers subit le même traitement up-tempo et se fait oppressante et envahissante à l’image des sons de synthé bizarroïdes et alarmant noyés dans des riffs puissants.
D’une manière générale, l’électronique prend une part de plus en plus importante dans le set en comparaison avec les anciens concerts où le saxophone baryton et autres instruments particuliers étaient utilisés. Dead Funny reste la pièce maîtresse du groupe, elle est saluée par le public dés l’introduction de batterie et ses paroles irrésistibles font notre bonheur : un grand moment du festival. Les refrains endiablés et dansant s’enchainent, Archie Bronson Outfit est le groupe qui permet de se défouler et qui ne déçoit jamais. On peut parier qu’ils deviendront à leur tour des habitués des lieux !

Après les fjords de Thus:Owls, ce sont les norvégiens de Serena Maneesh que le public malouin attend. Musicalement, la comparaison s'arrête là, car dés les premières notes, on sent la fureur shoegaze envahir nos corps et on repense à la fameuse soirée My Bloody Valentine de l’année passée. Certains vont encore se faire réveiller intra-muros. Guitare hybride à multi-effets psychédéliques, batterie hypnotique pour des variations brutes pendant de longs moments instrumentaux... le groupe n’y va pas par quatre chemins. L’attitude est insolente à l’image de la bassiste aux allures de Kim Gordon et du chanteur trainant une voix adolescente et peu audible. On aimerait entendre plus de mélodies mais l’impression d’entendre un mur de bruit gigantesque devant la rythmique domine. Le public, quant à lui, reste de marbre, et rares sont les festivaliers à réagir entre les morceaux. La plupart attendent que quelque chose se produise : ils attendront jusqu’au bout.
On reste finalement dans l’incompréhension d’une musique trop brutale pour être assimilée et appréciée. Emil Nikolaisen, chanteur par intermittence entre les intermèdes instrumentaux, prend conscience de la situation en expliquant qu'il ne faut pas s’inquiéter, qu’ils s’en iront bientôt. Il descend tout de même rejoindre le public pour essayer de provoquer une quelconque excitation. Après quarante minutes de violence, il termine seul, allongé sur scène avec sa guitare, en prolongeant le concert par un son lointain et inquiétant. Après de tels moments, on ne peut qu’attendre la suite…
C’est à ce moment qu'est croisée la future star de la soirée. Nous dirigeant vers le stand Thaï Food, nous croisons un groupe de jeunes gens trainant bon an mal an derrière eux un totem sous la forme d’un animal bleu. De ma fougue, je leur assène « oh le chien-chien ! ». « C’est un chat », de répondre mes nouveaux amis, « il s’appelle Pipo ! ». Pipo, retenez bien ce nom.

La suite, ce sont les américains de The National, de retour pour la troisième fois à la Route du Rock. Ces gentlemen en costume vont proposer leur pop lumineuse bercée par la voix grave de Matt Berninger, toujours posé et impeccablement classe. Il fait plaisir à voir lorsqu’il laisse percevoir son excitation avant chaque chanson en se tordant sur lui-même. Une moitié des chansons de leur nouvel album High Violet est jouée ce soir, dont le fameux single Bloodbuzz Ohio, une perle de douceur mélodique. Les chœurs d’Aaron Dessner se mélangent à des guitares amenées au paroxysme de leur tension au bout de chaque chanson. Un violon et une section de cuivres s’ajoutent délicatement à des arrangements live millimétrés.
C’est avant tout ce qu’on aime chez The National : une volonté d’approcher la perfection dans la superposition des sons tout en laissant une place à une certaine dérive dans chaque morceau. Pour reprendre une citation très connue intra-muros : ils sont forts The National. Les anciennes chansons ne sont pas oubliées : on retiendra les claviers de Secret Meeting avec Matt Berninger criant toute sa rage sur le final en se dirigeant vers le public mais retenu par le câble de son micro. Ou encore de très belles version d'Apartment Story et Anyone’s Ghost, chantées en chœurs par un public de fans tout acquis à leur cause. Pas de Start A War ce soir, mais en plein milieu du concert, on aperçoit alors Pipo le Chat faisant du crowd surfing. Lorsque Matt le voit, il décide de descendre dans le public pour le brandir et l’installer sur un ampli : premier moment de gloire. En fin de concert, un ancien titre spécialement dédicacé aux fans français les suivant depuis si longtemps est annoncé, et c’est Mr November, chanson de clôture l’album Alligator qui est proposée. Cette version du tube toute en émotion prend l’auditeur par les sentiments avec ses petites touches de guitares sur une batterie qui se déchaine. Les anciens morceaux sont reçus beaucoup plus chaleureusement que les nouveaux par le public. On retiendra que The National a livré la prestation la plus dense, chaleureuse et classieuse de la soirée, celle qui laisse le visage illuminé d’y avoir assisté.
Alors que l’on discute tranquillement du concert, les DJs s’arrêtent de mixer pour laisser place à une musique parvenant d’un endroit inhabituel. « Ca vient d’où ? De l’entrée du site ? D’en haut ? »... On nous a encore réservé une surprise pour la vingtième édition. Un énergumène seul avec sa guitare acoustique et une voix magnifique joue depuis le haut des remparts du fort, là où normalement seules les chèvres avec un badge ont accès. J’ai du mal à l’apercevoir, puis je reconnais Josh T. Pearson (Lift To Experience), avec ses cheveux longs et sa barbe fournie. Il se trouve qu’à ce moment précis, François Floret, programmateur du festival, se trouve devant moi et confirme la surprise auprès de mes voisins. Errant dans son festival, bousculé par des anglaises éméchées, il écoute paisiblement le nez en l’air la voix angélique et les mélodies folk du texan provenir. Mais on se retourne vers la scène car le bruit de l’installation du concert suivant gâche la prestation : Josh stoppe le concert et laisse The Flaming Lips faire leur show.

On s’approche alors pour la grosse artillerie festive du week-end. Un écran en forme d’arche géante est installé derrière la scène et des fans affublés de gilets oranges sont déjà présents autour des instruments pour danser. Une animation de femme dénudée apparaît sur l’écran, elle s'allonge comme si elle allait accoucher. La vidéo zoome alors sur son sexe et une porte s’ouvre dans l’écran à cet endroit précis. Ce sont quatre garçons qui en sortent : le genre d’entrée sur scène qui marque les esprits.
The Flaming Lips attaquent directement, un son puissant mélangeant guitares et nappes de synthé raisonne tandis que le turbulent Wayne Coyne entre dans une bulle gonflable géante, roulant sur le public jusqu’à la régie sur le titre électro-punk The Fear. A son retour, deux canons géants projettent au loin fumée, confettis et rubans qui viennent s’accrocher sur le haut de la scène. Des dizaines de ballons multicolores sont lancés et rebondissent dans le public. L’écran diffuse toujours des clips de couleurs explosives tandis que le groupe donne tout ce qu’il a pour produire le plus de bruit possible. Très bonne idée pour une fête d’anniversaire.
Des riffs ravageurs couplées à une batterie punk se font entendre avec un volume sonore élevé, notamment pendant Worm Mountain, tandis que Wayne Coyne s’égosille dans un porte-voix en faisant tourner des ballons et en les jetant au loin. L’énergie déployée est énorme, le public en prend plein les yeux et les oreilles, et il est difficile de croire qu’on assiste ce soir à un tel spectacle tellement improbable. Un géant en costume d’ours fait son apparition pour porter le leader du groupe pendant Silver Trembling Hands tout en se déhanchant.
Une accalmie se présente en milieu de concert avec quelques ballades jouées en acoustique (I Can Be A Frog), alors que Wayne Coyne apparaît en gros plan sur l’écran géant, filmé par une caméra placée sur le micro. Le public est invité à participer en réagissant aux mots chantés dans les couplets. Petit moment de douceur avec Yoshimi Battles The Pink Robots en acoustique, durant lequel deux énormes animaux en baudruche font leur entrée de chaque coté de la scène : des grenouilles pour certains, des pokemons pour d’autres. On repart de plus belle dans le défoulement avec The W.A.N.D. et le deuxième moment de gloire pour Pipo le Chat qui se voit attrapé par la queue et tourné en rond dans tous les sens : on n’a plus de nouvelles depuis.
Le spectacle se termine sur une version longue de Do You Realize? dont le refrain est chanté en chœur par un public échaudé qui se lâche et n’en finit plus de lever les bras au ciel. Les canons crachent leurs dernières fournées et le show s’arrête dans l’hystérie. On reste sur place quelques minutes pour se remettre en se demandant ce qu’il vient de se passer. The Flaming Lips sont allés loin, très loin.

Avouons qu’à ce moment précis, avec la fatigue, après avoir remué, sauté, crié pendant The Flaming Lips, toute l’énergie s’est envolée. Pourtant il reste The Rapture, supposé être LE groupe de la soirée pour nous faire bouger et finir d’achever ce qu’il nous reste de jambes. La Route du Rock, ce n'est pas tous les jours, et nous voilà reparti pour le devant de la fosse afin de finir en beauté. On assiste alors à un concert beaucoup plus rock qu'électronique, teinté de bruitages de synthés divers et variés. La voix de Luke Jenner se fait plus pop que sur disque et parfois légèrement mollassonne. Bien sûr les tubes Get Myself Into It et House Of The Jealous Lovers sont là pour redonner la pêche à un public qui a du mal à se donner pleinement après un week-end qui a parfois pu être éprouvant. La batterie est linéaire, le synthé donne la mélodie et les guitares se font légères tandis que Luke Jenner monte dans les aigus. Il nous gratifie de quelques solos de guitares, recroquevillé sur son instrument, comme pour en tirer un maximum. Une bonne prestation de The Rapture au final, même si l’excitation est retombée pendant quelques passages creux qui ont stoppé net nos membres inférieurs.

C’est terminé pour cette vingtième édition... le public a vibré durant tout le week-end grâce à une programmation qui en aura fait voir de toutes couleurs, de la pop au du rock en passant par l’éléctro. On retiendra la prestation des canadiens de Caribou pour la danse endiablée, d’Owen Pallett pour la magie, ainsi que The Black Angels, Foals et Archie Bronson Outfit pour les moments les plus rock de l’édition. Massive Attack a bien défendu son nouvel album, quant à The National, ils resteront comme la perfection pop du week-end dont The Flaming Lips resteront l’apothéose finale. On se donne rendez-vous à la Route du Rock édition hiver en février pour les vrais vingt ans du festival !
artistes
    The Rapture
    The Flaming Lips
    The National
    Serena Maneesh
    Archie Bronson Outfit
    Thus:Owls
    Karaocake
    Ethel