Chronique Album
Date de sortie : 07.07.2025
Label : COP International
Rédigé par
Bertrand Corbaton, le 19 juillet 2025
Il est de ces retours totalement improbables, de ceux qui s'apparentent à l'apparition d'un spectre dont on avait oublié l'existence tant il appartenait au passé. Red Lorry Yellow Lorry, groupe formé à Leeds au début des années 80, nous gratifie aujourd'hui de ce type de come back puisque toute trace ou presque avait été perdue depuis 1991 avec l'album Blasting Off. Voici ainsi Strange Kind Of Paradise, suite de l'EP Driving Black, comme pour terminer un chapitre laissé en jachère pendant trop longtemps. Ce retour spectaculaire n'est pas sans rappeler celui de The Wolfgang Press réapparus comme si de rien n'était quelque vingt-neuf ans après leur dernier album.
Il y a fort à parier que les Lorries ont quitté depuis bien longtemps les méandres de vos souvenirs, si tant est que ces gars soient un jour parvenus jusqu'à vous. Il faut dire que vous n'avez pas là le groupe le plus connu de la première période post-punk. Pourtant, Talking About The Weather, leur premier effort sorti en 1985, avait de quoi rivaliser avec les meilleures productions de l'époque, et une écoute vous mettra face à un album solide dans tous les compartiments. Guitares tranchantes, basse imposante qui ravage tout sur son passage, entourent la voix grave et rugueuse de Chris Reed. S'il ne fallait qu'un morceau pour vous en convaincre, allez donc vous précipiter sur le titre éponyme de l'album qui résonne comme un pilier du post-punk des années 80. Malgré ces débuts prometteurs, Red Lorry Yellow Lorry n'ont pas su résister au temps, certainement en raison de changements de line-up trop fréquents pour permettre au groupe une réelle stabilité souvent nécessaire pour s'inscrire dans la durée.
Mais après tant de temps passé loin du circuit, que reste t-il des Lorries, aujourd'hui composés de Chris Reed au chant, David Wolfenden à la guitare, David « Ding » Archer dont le nom ravira les fans de The Fall, et Martin Henderson à la batterie ? Il reste des années de silence qui semblent ne jamais avoir existé si l'ont en croit l'énergie qui qui transpire des pores de Strange Kind Of Paradise. Ici, se retrouvent les thèmes chers à Chris Reed, l'ironie féroce, la désillusion et une espèce de besoin d'exister, un instinct de survie. Certains titres sont absolument remarquables, à l'image de Many Trapped Tears, au refrain totalement convaincant. Le travail de Wolfenden sur ce titre est saisissant par l'intelligence des mélodies qui tapissent ce superbe morceau.
Il n'est pas le seul à mettre en valeur Strange Kind Of Paradise. Le délicat As Long As We're Breathing tire également son épingle du jeu. Il y a quelque chose qui pourrait rappeler Johnny Cash à certains égards dans le ton grave ce Reed. Là encore, David Wolfenden s'illustre par les mélodies poignantes et la touche incisive de son jeu. Parfois les Lorries s'amusent sur des partitions assez éculées d'un rock plutôt bateau et un peu pompeux, à l'image du titre éponyme ou de Walking On Air. On se dit alors que ces riffs redondants auraient été largement dispensables. Pourtant, au final, l'ensemble tient debout et la banalité de certaines approches sont vite oubliées soit grâce à l'ingéniosité du jeu de Wolfenden, soit par la surprise de refrains accrocheurs.
À ce titre, Shooting Stars Only est révélateur d'un groupe qui refuse de tomber dans la facilité en dépit de certaines intro à première vue simplistes. Le groupe a pourtant un savoir-faire certain lorsqu'il est question de vous embarquer là où vous ne vous l'attendiez pas. Qu'importe alors si Killing Time, ou Driving Black peuvent paraître légèrement en-dessous, l'ensemble est suffisamment intéressant pour se réjouir de ce retour de l'oubli. Il se dégage quelque chose de magnétique de Strange Kind Of Paradise, des chemins de traverses se dévoilent de part et d'autres. D'accord, cet album ne changera pas la face de la musique, mais ces compositions qui évoqueront par moment Wire sont assez pertinentes pour attirer votre oreille et vous faire admettre que le temps n'a pas rogné grand-chose à ce groupe à la trajectoire incertaine.
Red Lorry Yellow Lorry signent donc ici un excellent album, de quoi ravir les fans qui ne comptaient plus entendre de nouveaux morceaux. Bien sûr, les plus nostalgiques pourront regretter une esthétique post-punk disparue depuis longtemps. Pourtant, l'âme et la poésie des Lorries sont toujours là, et il est difficile de bouder son plaisir. À tel point qu'on se surprend à rêver de l'ouverture d'un nouveau chapitre.