Chronique Album
Date de sortie : 25.07.2025
Label : Tiny Library Records
Rédigé par
Jérémi Desplas, le 22 juillet 2025
La musique, comme moyen de reconstruction intérieure, a depuis toujours produit des albums à fleur de peau, miraculeux car miraculés, l'expression de ceux qui n'auraient jamais dû être là et qui par conséquent donnent à chaque note la puissance de ce dont on réalise la valeur. Et parmi ces albums sortent encore du lot ceux qui parviennent à le communiquer avec une instrumentation pas forcément inédite, mais avec des compositions dont chaque élément est parfaitement à sa place. Si cela permet de décerner le titre de « grand album », alors on peut l'affirmer : Autofiction, le troisième album de Far Caspian, est un grand album.
Groupe basé à Leeds autour du multi-instrumentiste irlandais Joel Johnston, Far Caspian égrène depuis plusieurs années maintenant des œuvres lo-fi, tantôt dream pop, tantôt bedroom pop. Après deux albums plutôt attachants (Ways To Get Out en 2021 et The Last Remaining Light en 2023), Joel Johnston a créé son label Tiny Library Records et commencé à produire des artistes tels que Green Gardens ou Ellur, ouvrant la porte à une inspiration nouvelle pour cet album. Diagnostiqué de la maladie de Crohn en 2021, Far Caspian met en avant depuis le début les difficultés liées à cette maladie et la santé mentale. Arrivé au point où, selon ses propres termes, il ne se laisse plus définir par la maladie et s'inquiète moins du regard d'autrui, Autofiction permet clairement à sa musique de passer un cap. Plus optimiste, mais sans jamais se départir de sa profondeur et d'un côté mélancolique, plus diversifié musicalement, ce nouvel album est en tout point remarquable.
Ditch, le premier morceau, contient déjà tous les éléments qui vont nous guider à travers cet album par ailleurs très homogène : une base acoustique agrémentée de petits éléments électroniques. La voix réconfortante de Joel Johnston captive immédiatement, comme a pu le faire celle d'Aidan Knight, et l'ambiance d'éveil confus mise en place gagne brutalement en intensité pour nous embarquer immédiatement. L'enchaînement avec First Day est parfait : d'une mélodie accrocheuse comme pourraient en écrire Catchers, le chant délicat oriente le morceau vers une joie mélancolique enveloppante, tout en nuances et équilibre. Comme une joie estivale, mais sans l'été.
Après une entrée en matière aussi convaincante, The Sound Of Changing Place montre l'étendue des capacités d'écriture de Far Caspian. Entre réminiscences de slowcore et son de guitare évoquant les débuts de Current Joys, on tient un morceau lent d'une très grande classe, qui progresse en permanence et n'ennuie jamais. Window brouille encore les pistes et s'avère des plus consistants.
Tout au long de l'album, diverses sonorités vont et viennent en évoquant Hood ou d'autres groupes de Richard Adams comme The Declining Winter. Un grand paradoxe de l'album est qu'on n'arrive pas à situer le contexte de l'écriture : en pleine forêt ou bien enfermé dans une chambre. Une cabane dans les arbres peut-être ? En tout cas Lough et ses une minute et cinquante-deux secondes amènent la lumière avec des sonorités cristallines et une voix dont on se dit qu'elle pourrait crier, mais n'en ressent pas le besoin et c'est tant mieux.
Le milieu de l'album arrive avec une nouvel fois son lot de surprises, comme si Far Caspian n'avait pas déjà montré que cet album n'avait déjà plus grand-chose à montrer. Here Is Now est un grand morceau de bravoure, en montagnes russes avec une entrée en matière rapide et surpuissante et un milieu en apnée, comme le vol d'un oiseau marin qui plonge avant de se remettre à planer. Une fin en apothéose pleine de grésillements étranges à la Grandaddy qui sont parfaitement à leur place, et on peut emballer le sommet de l'album.
A Drawing Of The Sun pose une nouvelle fois des arrangements électroniques et la section rythmique de manière extrêmement subtile comme pourrait le faire Big Thief. Pourtant, Far Caspian reste un groupe aux structures très britanniques : An Outstretched Hand / Rain From Here To Kerry s'enroule autour d'une mélodie soutenue mais délicate, avant de se métamorphoser complètement. Le morceau-titre, plein d'optimisme, sonne comme les morceaux les moins électroniques de Notwist et qui pourrait être une très bonne conclusion si Whim et surtout le logiquement nommé End ne s'en chargeaient avec brio, en résumant tout ce que l'album a proposé en une dizaine de chansons dont aucune ne serait à jeter ou à altérer d'un chouïa. La conclusion est lumineuse autour d'une boucle électronique et d'une boucle de guitare à fleur de peau. « At the end of the day, it will all fall down » chante Joel Johnston avant de finir dans un grand fracas. On ne sait ce qu'il veut vraiment dire, mais ce que l'on vient d'entendre n'est pas près d'être oublié.
Suspendu entre les saisons, entre le rêve et la réalité, entre l'espoir, la crainte et la résolution, accueillant mais d'une richesse illimitée, Autofiction est un album prêt à nous accompagner à chaque instant, et chaque fois d'une manière différente. Un album-monde en toute modestie, et pour l'éternité.