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Festival des Artefacts

Strasbourg, du 11 au 22 avril 2012

Live-report rédigé par François Freundlich le 14 avril 2012

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Le Festival des Artefacts de Strasbourg propose cette année une programmation intéressante et variée, à travers plusieurs soirées dans les salles de la Laiterie pour les groupes alternatifs, ou du Zénith pour les têtes d’affiches.

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Cette soirée d’ouverture lance le festival en douceur avec une majorité d’artistes à tendance folk, au sens large du terme. La danoise CALLmeKAT ouvre le bal dans la petite salle où se produiront les groupes les plus intéressants de la soirée dans une ambiance intimiste. La jouvencelle s’installe derrière ses nombreux synthétiseurs pour déployer une pop lo-fi bercée par sa douce voix aigue, fredonnant du bout des lèvres une folk minimaliste et mélancolique. Cette princesse venue du froid se teinte également d’un pop rock plus entrainant lorsque le batteur qui l’accompagne se fait entendre. Elle jongle entre ses multiples claviers vintage, tapotant quelques touches de l’un tandis qu’elle lance quelques nappes de l’autres. Mais c’est surtout sa voix semblant s’envoler à chaque instant qui attire l’attention. Elle est clairement mise en avant, comme piquant la glace dans laquelle semble enfermée l’instrumentation. Un passage au kazoo conclura joyeusement le concert sur un morceau plus entêtant. Visiblement ravie, CALLmeKAT a su séduire dès l’ouverture, un festival au public encore clairsemé.

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Passons ensuite par la grande salle ou des formations plus grand public se produiront. Le nordiste Greenshape est venu accompagné de son groupe pour apporter une ambiance folk pop plus classique. On sent que la prise de risque va être minimale et les compositions sont dans l’ensemble peu surprenantes, comme ces mélodies que l’on a l’impression de connaître avant qu’elles ne soient jouées. On pourrait affirmer que cela ressemble plus à Bryan qu’à Ryan (Adams), aussi bien dans la voix éraillée que par l’aspect lisse des morceaux. On s’attend à voir Kevin Costner débarquer avec son arc à moins que cela ne soit Jennifer Lawrence, selon les goûts. On sent l’influence de Johnny Cash mais il manque cette profondeur et l’ennui gagne, car l'ensemble tourne rapidement en rond. Le passage de Régis Israël de la guitare au clavier a le mérite d’apporter une touche d’originalité tandis que les courtes histoires en anglais qu’il raconte sont bien écrites, pour peu que l'on s’intéresse aux textes. Avant de n’être trop gagnés par la torpeur, revenons dans la petite salle.

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L’anglais Matt Elliot s’installe seul sur sa chaise avec sa guitare sèche pour le moment de délicatesse de la soirée. Dès les premiers échos, on se sent enveloppé par sa voix grave et envoutante. Il parvient à nous transpercer en quelques accords, créant une atmosphère particulière qui rend le public attentif, silencieux, sous le charme d’une telle perfection. Car il faut bien le reconnaître, le chanteur de Bristol est un perfectionniste et chaque note de sa guitare est pesée, chaque arrangement qu’il déverse est mesuré au millimètre près. Jouant de ses pédales pour enregistrer les boucles des différents niveaux de ses compositions, il s’accompagnera parfois à la flûte à bec ou en sifflant simplement tel un cow-boy solitaire.
Matt Elliott surprend à chaque titre, insufflant par exemple une distorsion criarde à sa guitare acoustique afin de libérer l’essence écorchée puisée au fin fond de son âme. Lorsque la guitare sèche revient, c’est pour prendre des sonorités espagnoles et tournoyantes décrochant un sourire au public. Un comble après le spleen déstructuré des longs morceaux d’introduction. Tout en humilité, Matt s’accélère, ralentit, double sa voix, stoppe tout : il joue avec nos frissons. Le songwriter nous gratifiera d’une reprise minimaliste de I Put A Spell On You avant la magnifique Also Ran pour terminer le set. Il répète inlassablement « I will haunt you in your sleep », ce qui a effectivement fini par arriver. Ce concert d’une rare beauté restera comme l’un des plus marquants du festival.

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Difficile de quitter cette ambiance pour passer à autre chose alors que le duo Mansfield.TYA a déjà débuté son concert. Les deux nantaises s’échangent les instruments, passant d’un synthé à une guitare ou à une batterie plutôt malmenée pour proposer une chanson française teintée d’un folk abrupt. On a souvent l’impression que les voix sont mal assurées, elles sont avant tout particulièrement irritantes dans leurs sonorités respectives. Le phrasé rend la compréhension des textes difficile même si ces derniers semblent être plutôt intéressants. Le problème est principalement que les instrumentations couvrent la plupart du temps les voix. Peut-être est-ce volontaire, leurs moues parfois dubitatives signifiant qu’elles n’étaient pas très en forme ce soir-là. Les violons sont plutôt agréables même si le manque de cohérence pèse sur la prestation. On s’interroge lorsque Julia Lanoë s’énerve subitement en proférant des cris de mauvais death metal et en jetant plusieurs fois le micro au sol. S’en suit un titre complètement faux au niveau du chant qui nous pousse à lever le camp vers des lieux plus attractifs.

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Il faut se frayer un passage pour accéder à la petite salle. Chapelier Fou est déjà devant ses machines pour un set électro teinté d’instruments acoustiques samplés. Partant le plus souvent d’éléments joués avec son violon pincé ou à l’archet, l’homme au béret brode des compositions instrumentales le plus souvent down tempo. Ses boucles de violons peuvent rappeler le travail de Yann Tiersen, mais basé sur des machines beaucoup plus présentes. Un seul titre sera accompagné de la voix d’un de ses comparses apparaissant sur un écran. On aurait plutôt apprécié un duo avec Matt Elliott, les deux musiciens ayant déjà collaboré au sein de The Third Eye Fondation. Le multi-instrumentaliste a proposé un moment intéressant qui aura eu le mérite de faire danser le public.

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Pour terminer en beauté (et quelle beauté), les Artefacts ont gardé le meilleur pour la fin avec l’américaine Zola Jesus. La petite blonde fête ses 23 ans ce soir et les joyeux anniversaires ne vont pas manquer chez un public de fans. Tout de blanc vêtue et exprimant une sensibilité brute aussi bien dans sa voix profonde que dans ses mouvements au summum de la grâce, Nika Danilova impressionne. Zola Jesus, c’est en quelque sorte la mort du cygne dans une version rock expérimental qui n’a de cesse de se réinventer. Tout son corps est en perpétuel mouvement, suivant les saccades imposées par une batterie puissante. Sa voix à la fois grave et juvénile impose une folle énergie en mélangeant une force rock à une délicatesse soul. On pense à Cocteau Twins même si Nika s’épanouit dans son univers parallèle. Ses pieds nu tapent le sol avant qu’elle ne se replie complètement sur elle même en se jetant au sol, comme si elle laissait ses dernières forces dans son chant en se cachant le visage. La violoniste électrique et le claviériste qui l’accompagne déploient une atmosphère inquiétante, sombre et glaciale. Ils restent dans l’ombre de Nika qui parcoure la scène comme une étoile filante perpétuellement en quête d’elle même. Elle s’approche subitement du devant de la scène pour sauter dans la fosse, tout en s’appuyant sur l’épaule de votre serviteur au premier rang. Là voilà qui danse hypnotiquement avec son public, interloqué de voir cette puce s’agiter devant eux avec une telle fougue. Elle revient sur scène pour frapper frénétiquement une cymbale de toutes ses forces avant de se réfugier, haut perchée, sur une enceinte à droite de la scène. Zola Jesus offrira à La Laiterie un rappel somptueux dans un piano voix majestueux, qui aurait pu faire fondre les touches noires sur les touches blanches. On aurait aimé que le concert dure des heures mais Nika nous laisse dans le désert de son Arizona natal, des images plein la tête.

L’alternance des groupes ne nous aura pas permis d’apprécier tous les concerts de cette soirée d’ouverture mais notre préférence est nettement allée aux prestations de la petite salle. Matt Elliott nous a emporté très loin avec lui, tandis que l’on a aura du mal à se défaire du charme de Zola Jesus, qui restera certainement comme la grande prestation de cette édition 2012 des Artefacts.
artistes
    CallmeKat
    Greenshape
    Matt Elliott
    Mansfield.Tya
    Chapelier fou
    Balthazar
    Zola Jesus