Chronique Album
Date de sortie : 19.02.2021
Label : City Slang
Rédigé par
Emmanuel Stranadica, le 22 février 2021
Il y a un peu plus d'un an de cela, les Tindersticks sortaient le merveilleux No Treasure But Hope. Après une tournée avortée, comme de nombreuses autres à cause de la COVID-19, les anglais ont toutefois décidé de ne pas rester inactifs et d'attendre que le contexte sanitaire s'améliore partout dans le monde pour reprendre une quelconque activité. Le groupe a choisi de se retrouver pour donner naissance à un douzième album, le joliment dénommé Distractions.
En guise de distraction, c'est assurément un début d'album déconcertant que l'on découvre en écoutant Man Alone (Can't Stop The Fadin'). Oui, déconcertant d'une part sur la durée de la composition mais surtout par la teneur de celle-ci. La sonorité électronique du morceau avec cette basse et cette boîte à rythmes sur lesquelles des boucles de voix (parfois interminables) de Stuart Staples viennent se conjuguer apportent un côté littéralement inédit à la musique des Tindersticks. On peut éventuellement rapprocher ce morceau de Put Your Love In Me présent sur la bande originale du film Les Salauds.
Entre folie, chamanisme et psychédélisme, l'entrée en matière de Distractions ne peut laisser indifférent. Confusante au possible, la chanson passionne ou fatigue, c'est selon. Même si c'est assurément le moment le plus atypique du disque, cela ne constituera pas l'unique surprise de cet album. Aux antipodes de cette entrée en matière, I Imagine You, qui lui fait suite, nous entraîne cette fois dans un voyage situé entre chuchotement, chant, parler et délicatesse musicale.
Au-delà de désorienter, les sept chansons de Distractions comptent trois reprises et non des moindres. A Man Needs A Maid de Neil Young (originellement sur Harvest) prend une tournure soul notamment avec l'accompagnement vocal de Gina Foster. Minimale mais follement envoutante, la cover est sublime. Les deux autres reprises seront également de très haute volée. Lady With The Braid de Dory Previn et ses sept minutes nous ramène également cinquante ans en arrière. Mais c'est possiblement You'll Have To Scream Louder des TV Personnalities et son côté groovy qui nous séduit au plus haut point. Celle-ci évoque This Fire Of Autumn sur l'album The Something Rain.
Vient un nouveau changement radical avec Tue-moi, moment d'intimité mortifère au piano nous entrainant dans une folle détresse. Écrite et chantée intégralement en français, ce qui n'était plus arrivé depuis Plus De Liaisons en 1995, la chanson terriblement poignante serait inspirée de l'attentat perpétré au Bataclan à Paris. On ne peut pas sortir indemne de cette chanson. Le chant des oiseaux qui ouvre l'ultime The Bough Bends nous aide heureusement à revenir à nous. Sur fond d'une intro aux sonorités asiatiques, la délicate chanson de neuf minutes vient conclure de magnifique manière ce disque si particulier.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que les Tindersticks n'ont pas manqué d'audace pour leur douzième album. Compliqué au démarrage, merveilleux dans sa conclusion, ce disque riche en rebondissements est assurément un grand cru, même sans les grandes envolées lyriques qu'on adore chez ce groupe sont bien absentes. Entre rêverie et expérimentation, Distractions est un disque singulièrement particulier qui occupera une place de choix dans la conséquente discographie du groupe, notamment grâce à sa face-b littéralement parfaite .