Chronique Album
Date de sortie : 17.06.2022
Label : Everything Sucks
Rédigé par
Adonis Didier, le 16 juin 2022
L'Espagne. Ses plages de sable chaud, ses oranges et son huile d'olive, son soleil écrasant, ses sangrias et son jambon. C'est bon, vous vous y voyez ?
Ça tombe bien, l'histoire de GHUM commence en plein Londres, Royaume-Uni, à ce moment-là encore en Europe, enfin oui... mais non... mais officiellement toujours.
On est en 2016, il pleut sur Trafalgar Square, la brume ne se lève jamais, et comme il est 16h la nuit va bientôt tomber. Ce Londres, c'est celui de quatre jeunes femmes que rien ne semble rapprocher, si ce n'est leur affection pour la musique sombre, nageant dans les eaux de marais glacés, noyant le son dans l'écho de salles sans lumière. Comprenez par cette habile imagerie la cold wave de The Cure, le post-punk de Joy Division, et plus récemment des groupes comme Warpaint et Soft Kill. La rencontre se fait par l'intermédiaire de Gumtree lorsque Marina MJ, jeune bassiste brésilienne, cherche à monter un groupe dans la capitale anglaise, et publie une annonce.
Répondront à l'appel Laura Guerrero Lora (voix, Espagne), Jojo Khor (guitare, Malaisie, toujours du sable, plus de jungle) et Vicki Ann (batterie, Brighton UK, toujours la plage, moins de degrés Celsius). Les quatre jeunes femmes vont sortir deux EPs en deux ans, et jouer en première partie de Dream Wife et L.A. Witch. Elles devront, comme nous, arrêter les concerts pendant quelques deux tours de la Terre autour du Soleil, mais non sans continuer à composer, pour enfin sortir cette année leur premier album, Bitter. Un disque affirmant un style plus punk, à la densité et la cohérence remarquable au vu du melting-pot de nationalités et de profils qui composent le groupe.
Le style, parlons-en. La formule mêle les précédentes inspirations cold wave à un impact plus direct tiré du mouvement riot grrrrrl et du grunge des L7 ou Bikini Kill. De leur rythme trépidant et hypnotique, on tire des sensations de A Place To Bury Strangers débruité et bas du front. Pour la photo, imaginez une frontman volcanique cracher un mélange d'anglais et d'espagnol bourré d'écho et de chorus, pendant que guitare et basse alignent les bombinettes punk tête baissée devant une batterie battant le rythme des pas sur la piste de danse new wave.
Les bombes punk-wave, c'est bien la nouveauté dans le style de GHUM, et c'est ce qu'on nous envoie directement en pleine tronche. L'album s'ouvre sur les deux singles Some People et Deceiver, histoire de ne pas faire dans la dentelle, rejointes quelques chansons plus tard par Bitter, troisième single imparable du LP, traçant à 180 dans la nuit parsemée d'étoiles à la lueur blafarde. Les textes sont sombres, hantés, la voix caverneuse, PJ Harvesque, la guitare agressive, aiguisée. Pas question d'idées noires avec des cachets ou des lames de rasoir dans sa baignoire. Ici, on met une brique sur l'accélérateur, le moteur à fond, et on trace sans phares sur les autoroutes de la Sierra Nevada.
Mais les filles savent aussi ralentir, faire monter la tension, lancinante, hallucinogène, jusqu'à la rupture. Preuve en sont Bad Brain, Shallow, ou le long final Rivers, où la musique mesmérise de longues minutes, avant que Laura ne craque enfin et laisse exploser la rage qu'elle avait enfouie, en vain, si longtemps dans ses tripes. Cette rage, elle sait aussi la muer en tristesse pudique sur la magnifique Echo. "So you can't hurt my feelings, I keep them underground", entend-on répéter, comme un mantra, une voie à suivre. L'amour de The Cure se fait ici clairement sentir, plus que sur tout le reste de l'album, et les filles ne pleurent pas plus que les garçons.
Seul bémol, on regrettera l'enchaînement Echo / Shallow / Rivers qui conclut l'album par dix-huit minutes de tempo lent faisant malheureusement progressivement retomber l'intensité d'écoute. Comme dit plus haut, les trois chansons vont de très intéressantes à excellentes, mais leur impact (surtout pour Rivers) aurait sans doute été plus fort en les plaçant différemment, ou en n'en gardant que deux des trois.
Pour finir sur une note infiniment plus positive, comment ne pas parler de Perro. Le chien en espagnol, perdu dans la rue, cheminant seul dans la nuit, Perro est à la croisée de tous les styles de GHUM, pépite totale remplie de grunge, de folie, de contestation et de post-punk. A la fois lente et puissante, hypnotique et révoltée, on est là face à une, si ce n'est la meilleure chanson de Bitter. Sans doute parce que ça hurle en espagnol, on pense bille en tête aux Pixies. La basse ronde, l'ambiance malsaine, la montée couplets calmes / refrains éclatés. Mais cette chanson c'est aussi du Joy Division, du PJ Harvey, du The Cure, du The Jesus & Mary Chain, du L7, et tout un tas d'autres piliers d'une certaine vision de la musique, gravés dans la mémoire musculaire de quatre jeunes femmes au talent désormais sûr et maîtrisé.
Une conclusion ? Au nexus de leurs influences punk et cold wave, GHUM réussissent, en guise d'album, à créer un énorme chaudron rempli de splendides chansons que l'on a toutes l'impression d'avoir déjà entendues quelque part, mais qui n'appartiennent sans l'ombre d'un doute qu'à elles.