Chronique Album
Date de sortie : 01.08.2025
Label : Transgressive Records
Rédigé par
Franck Narquin, le 29 juillet 2025
Le 1er août 2025, un nouveau gang de filles arrive, sauvage et lettré, prêt à faire exploser les mythes et quiconque cherche encore le fruit originel dans un verger de symboles bien rangés ferait bien d'écouter The New Eve Is Rising en entier et sans pause. Car ici, pas de dogme, pas de morale et encore moins de patriarcat, les pommes y sont dévorées goulument et les graines recrachées avec fierté.
The New Eves, quatuor de Brighton formé en 2021 et fraîchement signé chez Transgressive Records, débarque avec un premier album à la fois brut et mystique, baroque et tendu, pastoral et viscéralement contemporain. Leur musique est une messe païenne où une flûte bucolique s’accouple avec une ligne de basse post-punk, où les cordes dissonantes à la Velvet Underground soutiennent des chœurs de femmes inspirés autant par le collectif NYX que par les sorcières de Salem.
Le titre d'ouverture, The New Eve, donne le ton. C'est un manifeste, une déclaration d'indépendance charnelle et poétique où la nouvelle Ève ne subit plus la faute mais revendique son appétit, son corps, ses règles et son plaisir. « The New Eve fucks if she wants to », scandent-elles, sans honte et sans appel. C'est toute une mythologie renversée qui s'invente ici, entre cri de guerre et poème d'amour au vivant.
Dans cet album, le corps féminin n'est jamais objet mais sujet ardent, blessé et glorieux. Astrolabe le chante avec une intensité mystique, mêlant passion cosmique et pulsion sacrificielle : « Would you die for me baby? ». Le désir y est une apocalypse volontaire. Dans Highway Man, c'est la femme qui tire la première. Après avoir été traquée et encerclée par des policiers en rut, elle les abat un à un, sans hésitation, dans un geste d'autodéfense salvateur. Dans Rivers Run Red, sommet de tension et de beauté, les flûtes évoquent la musique ouest-africaine et les chœurs la sororité polyphonique tandis que le refrain y est martelé comme une incantation. Ici, la douleur devient fête, la colère devient rythme et le corps blessé chante sa renaissance.
Mais The New Eves n'ont pas besoin de hurler pour bouleverser, il leur suffit parfois de se retirer dans leurs forêts intérieures. Cow Song est une errance bucolique et sensorielle, un désir de retour à soi, au souffle, au sol. « I am longing to be inside of my body », la plus simple des phrases, devient ici une revendication radicale. Un folk long, à la Black Country, New Road, mais plus doux et plus tactile. Mid Air Glass et Mary explorent d'autres formes de délicatesse, l'une, éthérée et suspendue l'autre, nostalgique, tirant vers une ballade folk à l'harmonica, avant de s'élever dans une emphase à la Porridge Radio. Circles, à l'inverse, est un déluge de cordes riot grrrl et le Volcano réunit tout l’univers du groupe dans une fresque finale de huit minutes, où les genres, les voix et les formes fusionnent dans un chaos organique et puissant.
Ce qui frappe chez The New Eves, au-delà de la musique, est ce geste global où tout est pensé collectivement. De la production à la scène, des vidéo clips aux costumes, elles construisent un univers cohérent, transversal, où l'art visuel, la danse, la poésie et la musique dialoguent sans hiérarchie. On pense à Kate Bush, à Laurie Anderson, mais aussi aux sorcières guerrières de Monique Wittig. Leur live ? Une éruption volcanique, entre rituel, exorcisme et happening. Elles ne citent pas leurs influences, elles les incarnent. Patti Smith, Nico, PJ Harvey, le Velvet Underground, NYX, Black Country, New Road, tout cela résonne, oui, mais sans pastiche. Leur « ritual folk » n'est ni un revival ni un collage, c'est une mue.
The New Eve Is Rising est un disque qui saigne, qui brûle, qui coule et qui soigne. Un disque qui regarde les racines pour faire lever les tempêtes. Un disque qui ne cherche pas à plaire mais à ébranler. Un disque qu'on écoute les deux pieds dans la boue et les mains levées vers la foudre. Et si ce n'est pas la nouvelle genèse, alors c'est au moins une sacrée renaissance.