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Mura Masa

demon time

Mura Masa - demon time
Chronique Album
Date de sortie : 16.09.2022
Label : Anchor Point Records
35
Rédigé par Franck Narquin, le 15 septembre 2022
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Alexander Crossan, natif de Guernsey, petite île perdue dans la Manche et paradis fiscal dépendant de la Couronne britannique quoique géographiquement bien plus proche de Flamanville que de Kensington, s'est fait connaitre en 2017 sous le pseudonyme de Mura Masa. Alors âgé d'à peine vingt-et-un ans, il sort un premier album éponyme porté par deux tubes planétaires, dont Love$ick (feat. A$ap Rocky), diffusé depuis en boucle dans les DJ sets d'Ibiza, les G20 de la Grande-Motte et les universités d'été de la chambre des notaires de la Roche-sur-Yon. Talent précoce, aussi avide de recherches sonores que natural hitmaker, le jeune producteur se trouvait quelque peu emprunté sur son deuxième album R.Y.C et ne parvenait pas, à une ou deux exceptions près, à atteindre les sommets, créatifs ou commerciaux, de son premier opus. Sur demon time, il décide de s'inspirer de ses glorieux prédécesseurs Timbaland et The Neptunes qui, il y a déjà plus de vingt ans, avaient décidé d'abolir les barrières entre avant-garde et grand-public. Son troisième album sera donc aussi créatif que récréatif, ne se souciera pas du bon goût et inventera ses propres saveurs.

Auditeur attentif des scènes musicales actuelles autant que prestidigitateur sonore, Mura Masa passe en revue presque toute la pop moderne sur demon time. Une question ne cessera pourtant de nous tarauder tout au long de l'écoute de ces onze titres, Mura Massa est-il un producteur révolutionnaire façonnant le son de son époque ou un simple opportuniste s'appropriant tous les styles musicaux en vogue ? Génial et roublard, cet album l'est tour à tour, on laissera donc l'auditeur se faire son propre avis. Je vois d'ailleurs déjà quelques fidèles lecteurs saigner des oreilles à l'écoute de deux ou trois morceaux qui n'auraient pas fait tache dans le Hit Machine de Charly et Lulu, le samedi, en compagnie d'un public en folie. Nous sommes ainsi contraints de constater que si certains titres sont d'une inventivité formelle éblouissante, d'autres se vautrent dans le tout-venant mainstream.

Evoluant dans un univers ou le concept de genre musical parait aussi désuet qu'une carte d'électeur des Républicains ou qu'un album de Kasabian, nous tenterons tout de même d'identifier les principales lignes directrices empruntées par Musa Musa sur demon time. Bien qu'infusant une grande partie de l'album, c'est sur le morceau titre demon time et slomo que sont poussés à fond les curseurs de l'Hyperpop, style chéri autant des jeunes TikTokeurs que des hipsters en mal de sensations fortes, que Wikipédia définit comme « un micro-genre musical issu de l'EDM et de la pop traditionnelle qui s'inspire de l'emo, du hip-hop et du lo-fi, se plaçant à l'interstice de la musique mainstream et de la musique savante ». Clairement influencé par AG Cook et son écurie PC Music ainsi que par les petits foufous de 100 gecs, Mura Masa se sort haut la main de cet exercice périlleux qui a parfois vite fait de sombrer dans la parodie.

On attendait de voir ce que l'anglais pouvait tirer de la pop mainstream, tendance Dua Lipa pour schématiser, espérant qu'il puisse pervertir ces produits de consommation standardisés et insuffler un léger vent de subversion tout en haut des charts. C'est pourtant là que Mura Masa déçoit le plus. Alors que la plupart des autres titres bénéficient à minima d'une production recherchée et innovante, les morceaux les plus grand-publics semblent réalisés en pilote automatique, sans aucune originalité ni aspérité comme sur les horripilants prada et blush, qu'on dirait issus d'un mauvais David Guetta, ou sur le très dispensable e-motions où il ne tire rien de la voix, pourtant habituellement sublime, d'Erika de Casier. La seule exception à la règle se nomme 2tegher. D'apparence un peu lisse et inoffensif, le morceau porté par le chant androgyne de Gretel Hänlyn se trouve peu à peu contaminé par des trouvailles de productions et d'arrangements électro et s'avère finalement un des sommets de l'album.

Plus à l'aise avec les bangers que les bluettes pop, Mura Masa casse la baraque quand il s'aventure du côté du rap. Les sonorités suaves de blessing me portées par le flow nonchalant de Pa Salieu vous feront gentiment secouer la tête, avant que Slowthai ne vienne vous la cogner sauvagement contre les murs sur up all week où son impayable verve se voit sublimée par une production aussi minimale qu'agressive. Ces deux morceaux trouveraient sans aucun doute une place de choix sur la plupart des albums des blockbusters du hip-hop anglo-saxons. Si la définition ci-dessus de l'Hyperpop semble sied à merveille à Mura Masa, celui-ci semble s'épanouir encore plus pleinement sur ces productions hip-pop.

Surfant sur la vague electro-latino, Mura Masa n'hésite pas à s'y engouffrer avec tonto sur lequel il invite Isabella Lovestory, sorte de Rosalia de Wish et emprunte même au titre Saoko de la même Rosalia l'idée du sample de jazz au milieu d'un morceau dance sur hollaback bitch. Bien que la copie soit propre, on rappellera à l'élève Alex que c'est toujours mal de pomper sur sa voisine de classe !

Plus qu'à un album, demon time, ressemble à une compilation de singles aux styles variés dont certains trôneraient fièrement au rayon « coup de cœur du disquaire » et d'autres se verraient illico relégués dans le bac des soldes. Pour autant, n'est-ce pas plutôt notre vision de vieux puristes, amoureux du concept de l'album, qui est ici mise à mal tant Mura Masa semble souffler pleinement le vent de son époque, où l'on produit avant tout des « sons » pour les plateformes de streaming et des vidéos pour Youtube. Laborantin hédoniste et dilettante stakhanoviste, Mura Masa épate autant qu'il agace et si l'écoute d'une seule traite de demon time peut sembler indigeste, on se régalera en venant y picorer de-ci de-là quelques friandises au grès de son humeur et de l'heure de la journée.
tracklisting
    01. demon time (feat. BAYLI)
  • 02. bbycakes (feat. Lil Uzi Vert, PinkPantheress & Shygirl)
  • 03. slomo (feat. Tohji & Midas the Jagaban)
  • 04. 2gether (feat. Gretel Hänlyn)
  • 05. up all week (feat. slowthai)
  • 06. prada (i like it) (feat. Leyla)
  • 07. hollaback bitch (feat. Channel Tres & Shygirl)
  • 08. blessing me (feat. Pa Salieu & Skillibeng)
  • 09. tonto (feat. Isabella Lovestory)
  • 10. e-motions (feat. Erika de Casier)
  • 11. blush (feat. Leyla)
titres conseillés
    2gether - up all week - hollaback bitch - blessing me
notes des lecteurs