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Gabe Gurnsey

Diablo

Gabe Gurnsey - Diablo
Chronique Album
Date de sortie : 09.09.2022
Label : Phantasy
4
Rédigé par Franck Narquin, le 10 septembre 2022
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Après une première partie de carrière au sein de Factory Floor, groupe post-industriel aussi confidentiel qu'essentiel? et un premier album solo un peu concept, le bien nommé Physical sorti en 2018 sur Phantasy, le label d'Erol Alkan, Gabe Gurnsey revient avec Diablo, second opus qui devrait enfin offrir au producteur anglais la reconnaissance qu'il mérite, tant celui-ci est plus incarné, plus abouti et plus accessible que son prédécesseur.

Comme le chantait Mouloudji, cette mue porte un nom : l'amour, l'amour, l'amour. Si le brillant laborantin nous épatait avec ses trouvailles sonores, il pouvait parfois lasser avec ses titres un peu trop rêches et répétitifs. On avait beau admettre l'évident talent du monsieur, son travail sentait un peu trop la chambre de vieux garçon pour pleinement convaincre. Il suffisait pourtant juste d'ouvrir les rideaux, de laisser entrer le soleil et d'aérer un grand coup, pour que le vilain geek se transforme en prince dansant. C'est exactement ce qu'a fait Tilly Morris sur Diablo. Partenaire à la ville et muse en studio, l'anglaise chante sur la plupart des morceaux et apporte un vent de fraicheur, une sensualité nouvelle et une approche beaucoup plus pop à la musique de son dulciné.

Mais ne nous méprenons pas, si Gabe Gurnsey a délaissé les batteries pour la programmation en quittant Factory Floor, la section rythmique demeure toujours l'épine dorsale et le point de départ de chaque morceau. Si sur Diablo les mélodies sont plus marquées et les sonorités plus chaloupées qu'à l'accoutumé, cet album n'en reste pas moins un véritable disque de musique électronique, du genre de ceux qui plaisent aux gens qui n'aiment pas le genre autant qu'à ceux qui ne vivent que pour ce genre. Efficaces sans jamais être racoleurs, les dix titres semblent conçus pour la fête et prêts pour les pistes de danse mais supportent également parfaitement une écoute au casque, vautré dans son canapé tel un éternel confiné.

Les influences revendiquées de ce projet s'avèrent d'ailleurs extrêmement larges. Gabe cite pêle-mêle et sans aucun complexe ou hiérarchie, Simple Minds, Suicide, DAF, Peaches, la techno de Detroit, la deep house et Eurythmics. On peut en effet trouver un peu de tout cela à des degrés divers sur Diablo mais ce qui marque avant tout est son approche « germanique » avec un son à mi-chemin du Hansa Tonstudio (ce label de Berlin ou de nombreux groupes pop sont venus puiser un aspect dark, urbain et électronique, de David Bowie à Pixies, d'Iggy Pop à Killing Joke, de Nick Cave à Tangerine Dream) et d'International Deejay Gigolo Records (le label de DJ Hell, pionnier de l'electroclash avec des groupes comme Fischerspooner et Miss Kittin & The Hacker). A ce stade de la chronique, à moins de ne connaître aucun des noms précités (coucou Maman !) ou de n'avoir jamais fait la queue au Berghain, vous devriez quelque peu cerner l'atmosphère générale.

S'ils semblent emprunter des terrains connus ou déjà entendus, les dix titres de Diablo ne tombent pas dans le panneau de l'hommage trop appuyé ou du pastiche. D'accès facile, la plupart des morceaux séduisent d'emblée, remplissant ainsi aisément leur fonction première, faire remuer le popotin des jeunes gens modernes, tout en dévoilant lentement, au fur et à mesure des écoutes, leurs charmes cachés et s'invitant subrepticement dans vos salons et chambres à coucher pour squatter autant vos playlists Spotify que les platines du DJ. L'anglais parvient ici à jouer des oppositions de styles en les mariant subtilement sans jamais les affadir.
Sur Push, la rythmique martiale, froide et sèche, tranche à merveille avec la voix chaude et sensuelle de Tilly Morris. Les beats technoïdes de You Remind Me, Blessings et Higher Estates, fiers et droits, fleurant bon le Roland TR 808, semblent fondre d'un seul coup au contact de l'extrême douceur de pistes vocales invoquant sans détour I Feel Love de Donna Summer et Giorgio Moroder. Sur Diablo et So Sweet, Gabe et Tilly brouillent les cartes de l'intime et de l'artistique, et s'affrontent dans des duels à couteau tiré, jouant à laver leur linge sale en public, avant de visiblement se rabibocher sur l'oreiller au son des très charnels Power Passion et Give Me.

Gabe Gurnsey réussit avec ce deuxième album le petit exploit de rendre sa musique plus abordable sans se renier ni dénaturer son style. Au contraire, en s'extirpant de ses confortables canons indie et électro qu'il maitrisait à merveille et en s'aventurant du côté de la mélodie et de l'efficacité immédiate, le producteur anglais a dû puiser dans ses réserves et changer son logiciel pour finalement gagner en spontanéité et en créativité. Si la chrysalide fut longue pour Gabe Gurnsey, elle n'en est pas moins belle et Diablo, majestueux papillon de nuit, devrait sans peine déployer ses ailes sur tous les dancefloors de la planète.
tracklisting
    01. Push
  • 02. Hey Diablo
  • 03. Power Passion
  • 04. You Remind Me
  • 05. I Love A Sea On Fire
  • 06. Give Me
  • 07. Blessings
  • 08. Higher Estates
  • 09. So Sweet
  • 10. To The Room
titres conseillés
    Push - Hey Diablo - You Remind Me
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