NightjaR

On connaissait Jimi Goodwin en tant que co-fondateur, bassiste et chanteur de Doves, groupe mancunien toujours en activité et dont les élégantes compositions pop et rock indé ont marqué de leur empreinte la musique anglaise du début de ce siècle. Plus confidentiels et moins inspirés, ses travaux solos demeuraient dans la même lignée sans toutefois rencontrer le même succès. On a beau se rappeler qu'au début des années quatre-vingt-dix les membres de Doves officiaient au sein de Sub Sub, un groupe de house-music influencé par leurs nuits à l'Haçienda et le summer of love anglais de la fin des années quatre-vingt, rien ne laissait imaginer qu'en 2024, Jimi Goodwin ne sorte sous le pseudonyme de NightjaR un pur album de hip-hop qu'on jurerait provenir de Brooklyn plutôt que de la ville ayant vu naitre Anthony Burgess et Ian Curtis.

La liste des invités, préférant au noms ronflants les CV affutés, fera saliver les amateurs du genre. On y trouve Jason Williamson de Sleaford Mods, Pan Amsterdam, l'alias du trompettiste américain Leron Thomas pour ses projets hip-hop, le pape du rap US alternatif Quelle Chris, le MC anglais Sonnyjim adoubé par MF DOOM et DJ Premier ou encore les valeurs sûres issues de l'underground du hip-hop américains, Homeboy Sandman et Guilty Simpson. Mala Leche a beau être un disque 100% hip-hop old school, pour autant il n'est pas réservé aux seuls puristes. Au contraire il devrait séduire néophytes et même quelques indécrottables allergiques au rap, telle notre collègue Laetitia Mavrel qui affirme ne pas faire la différence entre le Wu Tang Clan et Benny B. mais qu'on a vu danser comme une possédée au concert de Cypress Hill à Rock en Seine.

Avec cet album, Jimi Goodwin ne cherche pas à épater la galerie ni à se lancer dans une lucrative carrière de producteur de rap tel Dom Marker ou James Blake mais s'offre tout simplement une parenthèse enchantée en véritable amateur et amoureux de hip-hop à l'ancienne, bricolo, inventif et inspiré. Les instrumentations jazzy de Broken Saturday Night, Pirates et Space-Bar rivalisent avec les meilleurs titres de Guru et les flows nonchalants de Quelle Chris et de Sonnyjim font merveille sur le single Baby Don't.

Ceux qui ont aimé l'album PHANTOM OF THE AFTERS de Kojaque devraient se régaler avec Piano Heights ou Thee Omen mais si vous « n'êtes pas très rap », on vous conseille l'ultra entraînant Burnt up Nights qui empile les samples à la manière de The Avalanches et ferait danser le plus extrême aficionado d'And Also The Trees ou Smashing Little Boat qui revisite à la sauce hip-pop le titre de 1968 Jolly Mary du groupe de rock psychédélique July. On peut même parler de post-punk si vous êtes en manque de repères car Blood Red Dead permet de s'imaginer à quoi ressemblerait la musique de Sleaford Mods s'ils passaient un an à fumer des joints affalés sur les plages californiennes. Il y en a pour tous les goûts sur les seize titres de Mala Leche qui ne compte aucune faute de goût et se termine même de manière magistrale avec un long final de rap-jazz de plus de huit minutes grâce à l'exaltant Glove Department.

A la question « Tu as écouté Mala Leche de NightjaR ? » ne répondez pas bêtement « Non, pourquoi ? » mais plutôt « Bien sûr et ça m'a donné envie de me replonger dans les disques de J.Dilla, RZA, Guru et DJ Shadow ! » car toi même tu le sais, le hip-hop c'est ton pote.