Gwenno

Habituée jusqu'ici à utiliser les langues telles que le cornique voire le gallois, la chanteuse Gwenno Saunders se dévoile pour la première fois en anglais sur Utopia, son quatrième album solo. Un disque sur lequel la musicienne ne renie en rien son passé, celui-ci constituant bien un retour, non pas à ses racines généalogiques, mais à ses premières amours musicales, celles de l'époque de The Pipettes.

Utopia, c'est d'abord un club de Las Vegas, un lieu de fête et d'excès où, à seize ans, Gwenno dansait tous les samedis en marge de sa tournée avec Lord Of The Dance, célèbre spectacle de danse irlandaise. Mais c'est également une métaphore : celle de l'espace intérieur où souvenirs et chaos s'entremêlent. Et c'est exactement ce que raconte cet album. Chaque chanson renvoie à un voyage dans le temps même s'il n'est pas chronologique.
Les dix compositions qui le forment constituent une carte intimiste pour la chanteuse : de London 1757 évoquant les migrations galloises vers Londres, à 73 ravivant un trajet de bus et la redécouverte de ses origines à Dalston, quartier de Hackney dans le nord-est de Londres, en passant par Ghost Of You qui explore les métamorphoses de sa maison d'adolescente. Impossible également de ne pas citer Dancing On Volcanoes, superbe single où la chanteuse danse avec ses fantômes, ceux des bars clandestins et des amitiés perdues. Ce quatrième album de l'ex-Pipettes a été principalement composé au piano, hormis Hireth, écrite à la harpe. Il a été enregistré live dans le salon de Gwenno en compagnie de son mari, Rhys Edwards, leader d'Ulrika Spacek et d'Astrel K. Le résultat est un travail sonore d'une grande délicatesse.

Si certaines compositions peuvent flirter avec des influences rétro ou des boucles électroniques qui font inévitablement penser à Broadcast ou Saint Etienne, l'album est terriblement moderne grâce à des mélodies lumineuses. Y Gath, rare titre chanté en cornique, avec son synthé crissant est peut-être musicalement le lien musical avec Tresor, son précédent opus. Alors que ce dernier, mais aussi Y Dydd Olaf et Le Kov racontaient l'enfance et l'héritage, Utopia s'ancre cette fois dans l'âge adulte.
Exit les chansons remplies d'ésotérisme présentes sur Tresor. Cette fois, à l'image de la pochette où elle apparait vêtue d'une robe de soirée scintillante, la Galloise charme l'auditeur de sa voix douce portée sur des mélodies flamboyantes et parfaitement orchestrées telles que Hireth, conclusion presque jazz aux accents délicats et précieux qui nous entraine une dernière fois dans les souvenirs de la belle. De Brighton à Cardiff en passant par Las Vegas et Hackney, le récit de cette vie remplie de lumière et de turbulences. Moins baroque que ses prédécesseurs, ce disque gagne en justesse et en émotions. Il parle à toutes celles et ceux qui ont déjà eu vingt, trente ou quarante ans et qui, un jour, ont eu besoin de comprendre d'où ils venaient.

Utopia marque un tournant dans la discographie de Gwenno. Il constitue une première œuvre anglophone conçue au piano, empreinte d'une sincérité brute et d'une douce mélancolie. Véritable autobiographie musicale, ce disque embrasse un quart de siècle d'existence, entre insouciance et chaos, sans toutefois jamais sombrer dans la nostalgie. Comme un miroir tendu vers le passé, Utopia résonne avec justesse et émotion.