Chronique Album
Date de sortie : 07.02.2025
Label : Libertino Records
Rédigé par
Adonis Didier, le 5 février 2025
C'était une nuit pleine d'étoiles qui baignait la petite ville de Carmarthen, peu avant l'incident. Un astronome averti aurait sans doute remarqué que les certaines des étoiles que l'on voyait dans le ciel n'avaient rien à y faire, et que d'autres n'en étaient même pas, mais le hasard allié au fait que Carmarthen se situait et se situe toujours au beau milieu de la campagne galloise fit qu'aucun astronome averti n'était, cette nuit-là, présent pour y pointer sa lunette en l'air. Passé minuit, Hollie Singer, Gwenllian Anthony, et Heledd Owen sortaient transpirantes et passablement éméchées d'un pub dont le nom contenait, au choix, un animal, une couleur, ou le nom d'un bled du coin. Ayant passé la soirée à jouer et fêter la sortie de leur deuxième album, Bato Mato, le meilleur album de 2022 si l'avis d'un humble narrateur vous importe, les trois galloises dont la somme se nomme Adwaith coupaient comme à leur habitude par Cae Tylwyth Teg, qu'une traduction approximative rendrait par « pré aux fées », pour rejoindre leur maison de l'autre côté de la ville.
L'histoire ne dit que peu de ce qui arriva réellement dans le pré aux fées cette nuit-là, et le meilleur témoignage, car il était le seul, que recueillirent les autorités était celui du vieux Willy. Un témoignage de grommellements incompréhensibles comptant pour moitié une histoire de moutons volés, l'autre moitié indiquant que les dits moutons avaient été enlevés par une théière géante pleine de loupiotes et, précision olfactive surprenante mais indispensable, dont s'échappait à intervalles réguliers une fumée au parfum de chicha mûre-myrtille. Ainsi, trois jeunes femmes qui ne devaient que traverser un champ avaient vraisemblablement rencontré en chemin une théière volante pleine de fumée et de moutons, et n'étaient finalement jamais arrivées chez elles. Ainsi, il faisait trois ans que nous n'avions eu de nouvelles d'Adwaith, groupe aussi discret qu'il est talentueux, double vainqueures du Welsh Music Prize, et espoirs de plus en plus confirmés de la scène pop-rock du Pays de Galles.
Des têtes de pont humbles, effacées, qui ne sortent que très peu de leurs contrées et ne chantent évidemment qu'en gallois, dont on avait fini par se dire à force de ne pas les voir qu'elles avaient bel et bien terminé dans une soucoupe. Une exagération pour certains, une vérité pour d'autres, et revenant des confins de l'espace en transit par Vénus dans une théière pleine de moutons propulsée par à-coups d'une fumée sentant la chicha mûre, un troisième album, un double-album, un alien de 2025 appelant de son titre au réconfort et à la joie : Solas.
Vingt-trois chansons gravées sur quatre faces, une heure et quinze minutes de musique imprimée sur deux vinyles, et comme dirait le plus sage et blagopathe d'entre nous : « c'est toujours ou presque une idée de merde ». Un commentaire nuancé, plein de demi-mesure, dont on ne sait encore comment il s'applique à ce nouvel album d'Adwaith, alors en espérant goûter à la lumière solaire de la théière spatiale d'ici la conclusion, parlons un peu musique.
Pour cela, revenons à Bato Mato, leur précédent album, une perle scintillante de pop de rock et de shoegaze, une revisite du genre par des jeunes femmes pleines de vie et amoureuses des grands espaces. Transmutant en nappes de guitares les eaux salées de la Bae Caerfyrddin, les blanches falaises et les vertes prairies de la patrie du poireau, l'album écartait d'une voix sûre et éthérée les nuages encombrant le ciel gallois pour laisser place à un dream-rock solaire, puissant, attaché à sa terre et à ses racines. Et si la formule a changé sur Solas, c'est pour prendre quelque peu de la hauteur. Quelques centaines de millions de kilomètres de hauteur, pour être vaguement précis, et ce dès son introduction Planed.
Planète en gallois, la chanson accueille par une boucle électronique sur laquelle s'abattent des trombes de synthé et de guitare, les voix se font sensuellement robotiques, l'espace-temps se tord pendant que la théière saute d'un corps céleste à l'autre et... danse ! MWY imprime le rythme d'une basse disco et de synthés spationautes comme en pleine guerre froide, à oublier la vie dans un squat de Berlin-ouest sur un mélange d'ABBA et de Kraftwerk, avant les chœurs enfantins et les touches Airiennes de Gofyn, l'ambiance kitsch-SF de Pelydr-X, la folie trip-hop Wyt Ti Ar Y Lein, la chevauchée stellaire Coeden Anniben, les violons galactiques de Paid Aros, et parce que l'espace est un immense vide glacé seulement rempli par de la matière noire, Gorllewin Pell. Qu'est-ce que ça veut dire ? Aucune idée, mais ça sonne bien, aussi bien que la basse et les choeurs de Sain, aussi bien que les tirs de rayons lasers émaillant Purdan, que la mystique lunaire et hypnotisante de Y Ddawns.
Au milieu de tout ça subsiste l'ancien Adwaith, Tristwch, Solas, Ni, Addo, de très belles chansons que l'on dirait échappées de Bato Mato et du pré aux fées, là où Willy élevait tranquillement ses moutons avant d'apprendre que les théières volantes fument de la chicha mûre-myrtille. Mais alors, pourquoi diable, au nom de tous les vénusiens de l'univers, a-t-il fallu faire de l'immense disque de quarante minutes abrité dans Solas un double-album d'une heure et quart ? Epuisant tant l'écoute que la cohérence musicale, tentant de faire coexister dans un même sillon des univers aussi distants que le Pays de Galles et Alpha du Centaure, fatigant tant la pointe du saphir que la concentration de l'auditeur, Solas est une poupée russe abritant en son sein un disque parfait, mais dont l'enveloppe pleine et entière ne fait que vérifier l'adage qui veut que faire un double-album au troisième millénaire, « c'est toujours ou presque une idée de merde ».
Libre à vous, donc, d'en faire une playlist de quarante minutes à laquelle n'importe quel critique rock doué d‘un minimum d'esprit aurait sans hésiter mis la note maximale, car malgré les critiques, aucune chanson ici présente ne s'abaisse à être moins que très bonne, quand Adwaith nous prouvent encore une fois, sous couvert de quelques regrets, qu'elles sont bien le plus grand groupe de rock du Pays de Galles depuis que les années commencent par un 2, et que les théières fument la chicha mûre-myrtille dans le ciel avec des diamants.