En ce joli mois de mai, la mafia bar italienne fait main basse sur Paris. Trois petites semaines auront suffi à infiltrer la capitale avec NINA en solo au POPUP!, eterna en électron libre à la Block Party du Supersonic et, ce soir, Double Virgo au Point Éphémère. Ajoutez à cela le premier album de la batteuse Rita P et la signature de Mark William Lewis sur le flambant neuf label A24 Music, et l'on comprend vite que bar italia n'est plus un groupe, mais un projet tentaculaire, une hydre aux têtes multiples, capable de hanter à peu près toutes les scènes alternatives actuelles.
Reste une question que personne ne pose mais que tout le monde rumine, Double Virgo est-il un side project des mecs de bar italia, ou bar italia un supergroupe composé de Double Virgo et NINA ? Qui était là en premier, l'œuf ou le cool ? Qui se cache derrière le compte Instagram world_music_ ? Combien de side-projects a réalisé Dean Blunt (à dix prés) ? Peut-on offrir un DVD d'Irréversible à un enfant de neuf ans ? Autant de questions sans réponses, et au fond peu importe car Sam Fenton et Jezmi Tarik-Fehmi excellent dans l'art du flou stratégique, entre la nonchalance post-punk et le plan marketing arty et branché. Après quelques sorties confidentielles sur PLZ Make It Ruins, le label de Vegyn, et un ironique
Greatest Hits sorti l'an dernier, Double Virgo s'apprêtent à frapper fort.
Shakedown, leur véritable debut album, sortira le 3 juillet sur le label suédois YEAR0001 (Viagra Boys, Yung Lean) et s'annonce déjà dantesque.

Mais revenons à nos moutons noirs. La soirée débute avec
Rodolphe Coster, légende bruxelloise underground, silhouette longiligne, tatouage The Slits sur le bras, guitare sèche, synthé glacial et ceinture à clous. Il déroule un set froid, tendu, synthétique et élégant, plus proche d'un concert d'art contemporain que d'un apéro rock à Paname. En bonus, l'intégralité de son cachet est reversée à la
Gaza Skate Team, une organisation palestinienne qui transforme les skateparks en refuges mentaux pour la jeunesse gazaouie. Le geste est classe, le set aussi. Skateboarding is not a crime contre l'humanité. On commente vite fait le palmarès cannois (que des numéros dix dans la team de Binoche avec Bi Gan, Oliver Laxe, Joachim Trier et Jafar Panahi) pendant que Double Virgo montent eux même leur matériel sur scènes. Pas de régisseur, pas de frime. À 21h04, les lumières s'éteignent, le groupe sourit, c'est assez rare pour le souligner, et c'est parti.
Enfin presque. Les deux premiers morceaux,
Green Lanes et
Bingethinking, sont ruinés par un son exécrable, basse assourdissante, voix fantôme, guitare en bouillie. On craint le pire, un concert bâclé, balancé à l'arrache dans une ambiance de fête de fin d'année de la MJC de Marly-le-Roi. Mais le groupe assume, prend cinq bonnes minutes pour tout régler à nouveau. Jezmi rassure l'audience, “It's not our first gig, despite appearances” puis lance
Where There Originals, et là, tout change. Le groupe se transforme et passe de la Coupe de France à la Champions League et devient une machine de guerre au groove désinvolte, tout en détachement mais sans approximation. Le public commence à bouger, quelques pogos s'invitent au premier rang, la soirée peut commencer. On enchaîne avec des titres déjà cultes (
Burning Bridges,
Splashy) et quelques inédits prometteurs du prochain album (
coi boi,
alarm bells in central plaza), le tout avec un naturel désarmant, comme s'ils jouaient dans leur salon.

Après une petite heure, un rappel est simulé en sortant à peine de scène pour aussitôt y revenir. Le public en veut encore mais Sam annonce qu'ils n'ont plus rien à jouer. Tu bluffes Martoni, se dit-on. Mais Martoni ne bluffait pas, ou n'avait pas appris à ses musiciens de scène à jouer autre chose que les douze titres prévus sur la setlist. Ils reprennent donc à nouveau, et deux fois de suite,
Bingethinking. Une première version rapide et une seconde version encore plus rapide. Parce que pourquoi pas. Double rappel improvisé pour Double Virgo.
Un double constat s'impose. Primo, le duo s'améliore à chaque concert, plus relâché, plus fun, moins distant. S'ils sont toujours sur le fil du rasoir, si on sent que le fiasco n'est jamais loin, c'est pour faire enrager les haters mais surtout pour notre plus grand bonheur car ces slackers retombent toujours sur leur pied. Deuxio,
Shakedown, avec ses titres affutés et une production plus maîtrisée, risque bien de venir tutoyer le niveau de
Tracey Denim et imposer Double Virgo comme un des meilleurs groupes actuels de la scène UK et confirmer que, malgré les tentatives de répression, la mafia bar italienne n'est pas près de tomber car derrière le flou il y a des chansons, et derrière la pose, un vrai projet.