logo SOV

The Kills : 10 ans de romance !

Dossier réalisé par Maxime Delcourt le 22 février 2012

Bookmark and Share
Depuis dix ans, le duo The Kills s’est spécialisé dans l’attaque à main armée. En 2012, quatre casses leur sont clairement attribués. Enquêtons.

L’histoire raconte que chacun des deux compères exerçait à la fin du siècle dernier, à une époque où les logiciels comme GarageBand n’existait pas encore, au sein d’équipées sauvages différentes. Elle, américaine, était la chanteuse de Discount, groupe de garage-rock originaire de Floride. Lui, anglais jusqu’au bout des Fish & Chips, s’exerçait au punk-rock dans l’obscur groupe Scarfo. On ne va pas tomber dans le piège facile des réflexions futiles, mais rien ne semblait les réunir. Jusqu’au moment où...

Naissance des Kills
Les histoires sur les serial killers commencent souvent de la même façon : de manière anodine. Que ce soit par perversion, vengeance ou folie, tout meurtrier opère selon des méthodes bien établies. Il faut suivre sa proie pendant des semaines, l’analyser, faire corps avec elle, la manipuler. La rencontre entre Jamie Hince et Alison Mosshart est de la même trempe : tout est à double tranchant. Histoire de brouiller les pistes et d’entretenir le mystère, ils créent leurs personnages : Hotel pour Monsieur, VV pour Madame. L’un est un rockeur issu du punk underground, l’autre chante et tourne depuis ses quatorze ans, autant dire que les deux tueurs ont certainement appris à dire fuck avant de dire maman.


Flash-back. 1999, de passage à Londres avec Discount, Alison Mosshart et ses collègues s’installent à l’hôtel. Comme tout bon groupe de rock, ils choisissent d’y répéter. Qu’importe les voisins pourvu que l’on ait l’ivresse ! Heureuse coïncidence, le voisin de palier en question s’appelle Jamie Hince et vient de tomber sous le charme du son qu’il entend. Ce son, c’est le chant ample et incandescent d’Alison. Ni une ni deux, elle décide de quitter l’hôtel pour s’installer quelques jours chez Hotel. Échanges, rires et fêtes, on imagine aisément les quelques jours passés ensemble, avant qu’Alison ne retourne sur sa terre natale. Après des mois à composer de la musique séparément et s’envoyer des esquisses d’enregistrements par la poste, c’en est trop. Elle décide de rejoindre son désormais nouveau partenaire musical à Londres, comme si l’éloignement leur était impossible.
Intrigués l’un par l’autre, les deux comparses improvisent une tournée en Amérique pour tester leurs chansons, sans manager, sans nom et... sans disque. Une belle manière de la mettre aux labels anglais ? En effet, dans le chaos absolu que représente le rock de l’an 2000, devenu un objet rétro qu’on affiche dans les musées, Alison et Jamie reviennent aux fondamentaux : le bon vieux triptyque guitare, basse, batterie. Vive la liberté ! En véritable personnage à la Kerouac, le duo part, en tête-à-tête, sur les routes de l’Oncle Sam à bord d’une vieille voiture d’occasion achetée au paternel d’Alison, qui tient un commerce en Floride, l’endroit même où elle découvrit la musique à travers les cassettes oubliées dans les autoradios. De retour à Londres, ils enregistrent et mixent Keep On Your Mean Side sur un huit pistes en deux semaines, une chanson par jour, dans le même studio, Toe Rag, qui habita quelques temps auparavant l’album Elephant des Whites Stripes.


Si l'on tenait absolument à expliquer les actes des deux comparses, ceux-ci copuleraient avec les plus salaces fantasmes du rock, là où Patti Smith dialogue avec Royal Trux, où les Fugazi festoient avec Sonic Youth, où John Lee Hooker et Captain Beefheart font des jam sessions avec le Velvet Underground. On affirmerait qu’ils correspondent aux photographies d’un instant. A notre plus grande joie, The Kills, puisque tel est leur slogan à présent, poussent le charme (ou est-ce le vice ?) plus loin pour agencer un crescendo jouissif vers la violence. Reste à savoir si le crime paie.

Première rafale : Keep On Your Mean Side. Rien ni personne n’y survivra. Peur sur la ville ! Sale temps pour la sécurité ! Les phrases chocs ne suffisent plus. Normal, me direz-vous, le plan était bien monté. D’une sobriété à donner de l’urticaire à la grandiloquence grassouillette de Chris Martin ou Bono, nos Bonnie & Clyde des temps modernes, dans un refus honorable du spectaculaire, instillent leur venin. Douze frappes, chacune avec un profil similaire, chacune mixée par le béton armé. La police n’y peut rien, le duo agit sans se poser plus de questions que ça, d’une violence rapide et sèche. Estomaqué, bouche bée, fasciné, les superlatifs ne suffisent plus à décrire l’état dans lequel on se trouve face à la brutalité du choc.

No Wow : la récidive
Il est bon de préciser que si ce premier chapitre de l’histoire en marche ferait le bonheur de n’importe quel thriller américain, il est réaliser par deux cerveaux frappadingues et obsédés par le DIY. Penser chaque mouvement, réaliser la moindre des harmonies, céder à l’audace, calculer parfaitement l’ensemble, voilà leur but. Le crime était donc prémédité. Si besoin est, Cat Claw témoigne de cette démonstration de force, faussement chaotique. Ils ont leurs secrets, ils ont leurs combines et ils jouissent ensemble. Qu’importent les modalités avec lesquelles ils opèrent. D’ailleurs, ils ne reconnaissent pas tous leurs actes, cela peut aller de la simple allusion à des revendications clairement définies. VV et Hotel sont-ils les éminents représentants d’un rock en blousons et bottes de cuir ? La suite nous en apprendra certainement davantage.

Savourant leur coup réussi, les deux drôles de zigs ne s’en contentent pas. Après le temps nécessaire de transition et de réflexion, une période de mutation d’usage dirons-nous, le duo étire de nouveau le rock vers la déchéance. On sent le travail de forcené, la sueur des bras gisante sur les guitares. Surtout, le duo revient plus viscéral, plus tendu et plus sexy que lors de sa première salve. Soyons francs, inutile de modérer les propos, ils torchent le rock comme on envoie un coup de boule dans un bar à cinq heures du matin après plusieurs pintes. En résumé : restez tranquilles !

En conjuguant inspiration arty et colère froide, on entend le rock de PJ Harvey qu’on croyait si bien connaître. Plus jamais entendu depuis Dry (1992), ce rock débarque avec ses propres imperfections, son innocence broyée pour de bon. Sur The Good Ones et No Wow/Telephone Radio Germany, les guitares s’efforcent, dans une veine meurtrière, d’imiter l’homme dont le bras arme le tir du pistolet. C’est malsain et insolent, déchainé et sexuel – ce qui ne gâche rien - et ça dégaine dans tous les sens, mais les faits sont là, ça ne peut être une coïncidence : les Kills, nous mettent les tripes à vifs. Refusant d’être les seconds couteaux de l’affaire, ils fracassent tout ce qui bouge. Comment ? Comme ceci : en balançant à la tronche des auditeurs des brulots rock au son lourd et étoffé, sans jamais se replier. En creux, entre les cris des guitares, on peut lire une évidente question : qui a dit que les grands artistes se dévoilaient toujours trop tard ?


Les Démons de minuit : Midnight Boom
Retour au calme. On se détend, mais pas pour longtemps. Trois ans de silence, c’est long, certes, mais trois ans passés dans le frisson du fantasme ça l’est d’autant plus. Éloignés des lumières de la ville pour mieux revenir, l’intenable duo réapparait en 2008 avec Midnight Boom, album de rock brut et enivrant où la notion de vivre pour mourir prend tout son sens. On ne sait si c’est le syndrome de Stockholm qui nous parle, mais, embarqué dans cette course poursuite qui balaye une fois de plus tous les groupes rock qui nous plaisaient jusque-là, on se dit que le voyage, leur voyage, vaut décidément le coup. Qu’importe le risque. Après tout, une vie longue et ennuyeuse est-elle préférable à une vie courte et bien remplie ? Histoire d’agrémenter un peu leurs décharges d’adrénalines, les Kills agissent la nuit. Eh oui, aux pays du gangstérisme, quand on passe en mode vendetta, on le fait avec style. En grattant un peu, on se doute que la nuit, pour ses deux personnages de l’ombre, rien ne peut déranger. C’est un temps secret, une ligne droite que rien ne peut dévier. Ainsi, le rock retrouve ses intentions originelles.
Selon les dires des deux protagonistes, Midnight Boom s'est avéré très long à enregistrer avec des dizaines et des dizaines d’essais, tous aux oubliettes à l’heure qu’il est. Dans les boutiques et dans les rues, cette confidence ne fait pas que des heureux. On craint leur nouvelle joute. Première écoute : l’angoisse est justifiée. Encore une fois, à l’instar de leurs concerts, la tension entre les deux musiciens s’intensifie au gré des morceaux. Si, toujours selon leurs propos, Keep On Your Mean Side était « la peau et les os », No Wow « l’aorte », de Tape Song à Sour Cherry, Midngiht Boom en est plus que jamais le cerveau. Bercé par les poésies américaines et européennes, cédant à l’insomnie et à l’insécurité, The Kills entreprennent de mettre de l’ordre dans le chaos. Une nouvelle façon de procéder qui fait des étincelles. Il sera difficile d’éviter les coups de jus.

Les mois passent, des rumeurs circulent à propos d’une possible fin de leur aventure. Et on l’avoue, on commence à croire à ces vilaines rumeurs. Pour notre défense, il faut dire qu’entre le troisième album et Blood Pressures, Alison Mosshart entreprend un adultère avec The Dead Weather (quatuor rock formé en compagnie de l’ex-White Stripes Jack White). Le secret, c’est qu’ils ne meurent jamais. Quand ils sont touchés, ils revoient leur plan de bataille et les rouages du crime. Peut-être cherchaient-ils à comprendre ce qu’ils avaient de plus fort que les autres ? Peut-être est-ce pour cela que l’album traite principalement de sexe ? On ne le saura jamais. On laisse donc volontiers ces questions aux services secrets. Enregistré au Key Club Studios à Benton Harbor dans le Michigan, Blood Pressures prouve que le barillet ne s’est pas enrayé. Alors, les coups de feu s’abattent, les passages en revues se multiplient, le groupe s’efforçant de ne jamais user du même processus. Bref, ça tape fort. Le groupe l’avouait clairement en 2008 au site Pop News « On ne voudrait pas enregistrer un autre album de la même façon que Midnight Boom ». En résumé, vivre au jour le jour. Et pour rester fidèle à cette punchline, Jamie Hince y explore pour la première fois le sampling, la programmation et, chose surprenante, son amour pour le reggae sur le premier single de l’album, Satellite. Sans foi ni loi on vous dit.


D’autres surprises grondent au sein de l’album. De la ballade chantée par Jamie (Wild Charms), Lennoniene au diable, à l’influence du blues des années trente toujours aussi présente (Pots And Pans), les coups de guitares s’entrechoquent et mettent en exergue le perfectionnisme des deux crapules. Du rock en blousons et bottes de cuirs disions-nous ? Une nouvelle fois : âmes sensibles s’abstenir !

L’influence transatlantique
Quelque soit la manière dont on l’aborde, la musique des Kills finit toujours par nous attirer dans ses cavalcades dangereuses. On les a fantasmés du temps des White Stripes, on les a suivi entre Londres et New York. Mais c’est au-delà de toute réalité qu’on parvient à les comprendre.
Blood Pressures étant inspirée d’une photo de Mick et Bianca Jagger, à l’appartement d’Alison, brodé d’instruments vintage et de photos de rock stars, de Lou Reed à Nick Cave, tout reflète leur opulente addiction au détail. On se disait bien que l’esthétique seule ne pouvait tout expliquer.
S’ils n’aimaient pas tout contrôler, on pourrait croire qu’il s’agit ici d’un choc des cultures, mais ce serait amener le lecteur vers une fausse piste. Qu’on le veuille ou non, et malgré l’opposition permanente entre homme et femme, Angleterre et Amérique, The Kills c’est un petit peu plus que cela. C’est l’instantané, l’accident, l’amour pour l’art et la musique, le travail permanent, le grondement du bitume... Sans doute est-ce pour cela qu’ils préfèrent réaliser leurs infractions en Europe, loin des nombreuses règles et de la (trop ?) grande sécurité des Etats-Unis.

L’échappée belle continue
Pour ces deux comparses flanqués derrière leurs vieux t-shirts délavés, leurs santiags, leurs blousons de cuirs ou leurs manteaux de fourrure à faire pâlir l’ignoble Bardot, la virée sauvage semble pouvoir se poursuivre encore de longues années, dans un noir et blanc contrasté. Embarqué dans cette chasse à l’homme, l’urgence est toujours le maître-mot, mais sans aucune négligence, avec une tension folle qui circule. Leurs carnets de route peuvent continuer à noircir, toujours en quête de réécrire l’histoire. Après tout, qu’auraient été les années deux mille sans eux ?


Flash-forward : les rafales se perpétuent, sans jamais commettre de bavures ni rechercher la planche à billets, les textures se complexifient et laissent s’exprimer une certaine forme de vulnérabilité. En jonglant entre ballades rock mélodiques et hymnes abrasifs, le duo se réinvente encore. Comme dans les vieux livres, ils ont compris que, pour qu’un être puisse se réaliser, il se doit de naître une seconde fois, spirituellement. On entend souvent ce genre d’histoire, avec les Kills, on les a vécues. Ils ont renversé le pouvoir et bouleversé le monde avec leur parole, laissant derrière eux une terre brûlée. Et dans la philosophie du grand banditisme, quand on en vient aux tirs, seuls les vrais restent ! Dans ce monde-ci, en tout cas, il en est ainsi.

Merci à Domino Records pour les informations fournies dans le cadre de la rédaction de cet article.