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La Route du Rock

Saint-Malo, du 25 février au 1er mars 2015

Live-report rédigé par François Freundlich le 8 mars 2015

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Cette deuxième soirée de Route du Rock collection Hiver à la Nouvelle Vague de Saint-Malo fait la part belle aux voix féminines de différentes générations, avec, pour conclure, un nouveau venu sur la scène électro britannique, Ghost Culture. Mais avant cela, les très attendus Blonde Redhead et autres Deerhoof vont livrer des concerts mémorables devant une salle comble et aux aguets.

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De jeunes pousses catalanes ouvrent la soirée : les membres de Mourn n'ont en effet que dix-huit ans, voir même quinze pour la petite sœur à la basse, et sont au septième ciel si l'on en croit le pull-over de la guitariste. Leur réputation les précédant puisqu'ils ont déjà une place de choix dans certains médias et futurs gros festivals mais on doute tout de même légèrement lorsque les ados entrent en scène. Ces doutes s'estompent immédiatement puisque on se prend rapidement à remuer la tête au son de leurs compositions fougueuses et énervées. Leur teenage-rock est un brin mélancolique et lancinant mais possède également sa dose de fun avec ces coupures et ses relances incessantes. Les voix des deux guitaristes barcelonaises savent se faire rageuses, possédant les instincts d'un spleen punk et ardent. Les titres sont courts mais hyper-efficace parlant aussi bien de leurs problèmes d'adolescents que de leurs otites récurrentes. On pense parfois à Electrelane dans leur attitude nonchalante et leurs crescendos énervés, ainsi que dans le placement des voix aiguës passant subitement au criard (si l'on excepte ce titre chanté en catalan). Ce concert de Mourn est passé tout seul, comme celui d'un jeune groupe qui a tenu ses promesses en assumant ses quelques erreurs. Il était mignon de voir la chanteuse veiller sur sa « little sister » de bassiste en la chaperonnant du bout des yeux. On a hâte de les revoir chez eux lors du Primavera Festival de Barcelone.

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La déferlante californienne sur Saint-Malo n'est pas terminée puisqu'un nouveau groupe de Los Angeles s'en prend à nos oreilles avec les Meatbodies. Il s'agit du projet de Ched Ubovitch, guitariste de Mikal Cronin, et également dans l'entourage de Ty Segall. Ces chevelus enchainent les mélodies accrocheuses mais jouées avec une énergie punk, rugueuse et parfois dissonante. Derrière leurs positions de guitar heroes, le mélange de leurs voix cassées et braillardes est aussi jouissif que leurs explosions subites de batteries mêlées à des solos de guitares. Les cheveux longs ajoutent une légère touche de Wayne's World à ce concert à l'énergie communicative. Leurs riffs lourds et autres déviances loufoques n'est pas sans rappeler les Black Lips qui auraient repris une dose de Pixies en intraveineuse. Meatbodies savent également faire dans la subtilité lorsque la saturation s'éloigne du garage à la rythmique hyper rapide pour se rapprocher d'influences plus psychédéliques. Le groupe a certainement l'habitude de voir plus de mouvements de foule dans son public mais nous sommes à La Route du Rock, son public de mélomane s'exprime différemment mais apprécie le groupe à sa juste valeur. Cette viande fraiche a fait du bien aux tripes.

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Les deux groupes qui suivent ont la particularité de posséder une chanteuse japonaise et d'être parmi les groupes de rock indépendant les plus en vue. Armée de la basse Hofner de Paul McCartney, Satomi Matsuzaki et son groupe Deerhoof vont faire exploser tous les codes du genre devant nos yeux ébahis. Derrière ses chorégraphies « ninjaérobic » et sa petite voix aiguë et dissonante aux accents orientaux, s'étend un punk rock aux accents noise en roue libre, semblant changer de direction à chaque instant. La guitare rouge d’Ed Rodriguez est diabolique, suintant sa saturation dans de subits assauts. Les titres courts s'enchainent mais la furie reste là, en permanence adoucie par cette voix apportant toute la mélodie aux compositions, un peu comme si Sonic Youth avait repris deux fois des Takoyakis. L'originalité des californiens semble être sans limite, leurs titres explorant des directions aussi vallonnée que les collines de San Francisco. Les prestations de Deerhoof font certainement partie des plus folles de la musique actuelle. Leur intervention en français recevra toutefois la palme du bide du festival, l'ensemble de la salle n'ayant rien compris de ce que voulait nous expliquer le batteur Greg Saunier. Mais n'allez pas croire que tout n'est qu'énervements chez Deerhoof puisque des passages plus flottants à la rythmique déstructurée ont également émaillé la prestation. On quitterait presque ce concert en marchant à l'envers sur les mains tellement les Deerhoof ont retourné notre perception des choses.

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La tête d'affiche de cette 10ème Route du Rock Hiver est le groupe culte Blonde Redhead dont on se souvient des prestations dantesque en 2004 où on avait cru finir foudroyé dans le Fort de Saint-Père (leur concert avait été arrêté et l'électricité coupée sur le festival) et en 2011 ou leur prestation avait cette fois stoppé la pluie. Pas de danger aujourd'hui puisque le festival est couvert, on peut se laisser totalement envahir par la déesse Kazu Makino et ses acolytes Amedeo et Simone Pace. Si les New Yorkais joueront quelques titres de leur dernier album en date Barragán, dont les deux premiers morceaux en introduction, ils proposeront une setlist Best Of en faisant la part-belle à leur riche discographie. On prend une première claque dès l'entame de Falling Man ou la voix inimitable d'Amedeo entonne ces textes existentiels, armé d'une guitare lancinante. Nous voilà enveloppé par la grâce piquante du trio, planant très haut au-dessus de nous. Le tube sera enchainé avec l'excellente Hated Because Of Her Great Qualities du nom moins excellent Melody Of A Certain Damaged Lemon, prolongeant cet état d'extase par la voix trainante de Kazu sans cesse à la limite de la rupture.
Nous observons la magicienne, penchée face à son microphone et libérant sa voix de poupée écorchée sur ces entrelacs de guitares aériennes et délicates. Les extraits de Barragán la verront rejoindre ses claviers pour des développements plus électroniques s'intégrant idéalement dans le concert malgré nos quelques craintes à ce sujet. L'excellent album Misery Is A Butterfly se voit mis en valeur avec l'énigmatique Melody qu'ils n'oublient jamais de jouer en France Gainsbourgienne. Amedeo reprend le dessus avec Doll Is Mine : on voltige sur sa voix au sommet, nous transperçant de part en part. On se réjouit aux premières notes de In Particular, l'occasion de se croire en l'an 2000 et de fredonner ces « X X, Alex, I'm you only friend » avec la voix citronnée de Kazu. Blonde Redhead terminent sur le titre éponyme de l'album 23, non sans avoir fait sauter les plombs et avoir du attendre quelques minutes dans le vide. Il ne sera pas dit qu'un concert de Blonde Redhead à la Route du Rock se sera passé normalement, mais l'expérience est toujours inoubliable.

Pour terminer la soirée dans une ambiance électronique, Ghost Culture est chargé de représenter la scène britannique face à cette afflux californien sur Saint-Malo. Nouveau prodige des clubs londoniens, James Greenwood s'installe au milieu de ses machines dans un noir quasi-total, parfois interrompu par quelques éclairs. Nous n'apercevons pas grand-chose mais son électro minimal réunira les quelques derniers festivaliers encore en verve pour remuer. Ghost Culture accompagne ses synthés blipés et acides d'une voix lointaine, murmurée et planante s'échappant à peine de compositions méticuleuses. Il conçoit des sonorités house-pop propres et nettes évoluant lentement dans des crescendos fantomatiques et sombres aux accents 80's. On pense parfois à Jamie XX avec ces nappes de synthés sombres et dansantes à la fois. La moitié de la salle devait être occupée par des fantômes, cette nuit de samedi dans une Nouvelle Vague aux allures de maison hantée.

On termine la nuit avec des Magnetic Friends nous faisant plaisir en lançant un Sweater Song de Weezer dans le bar de la Nouvelle Vague, préfigurant déjà l'édition été qui se déroulera dans six mois. Cette version hiver fut en tout cas parmi les meilleures avec de géniales prestations de Blonde Redhead, Deerhoof ou Allah Las et des révélations comme Mourn, Grand Blanc ou Absolutely Free pour un festival affichant complet. On a hâte de terminer en beauté dans la chapelle du Conservatoire, au bord de la mer, pour deux concerts intimistes, un beau dimanche après-midi de mars...
artistes
    Blonde Redhead
    Deerhoof
    Ghost Culture
    Meatbodies
    Mourn